Dans la nuit du 18 au 19 janvier, c’est une macabre découverte qu’ont fait les gardiens du pénitencier Drakengot. Dans la cellule du parrain supposé de la cosa nostra. Mis en arrêt en 2047 par Vampyr, les brigades criminelles n’ont jamais pu prouver la position de Raffael Leonetti, mais de nombreux témoignages, dits officieux, concordait en ce sens. Son corps a été retrouvé sans vie et visiblement roué de coups d’objets contondants, le rapport d’autopsie a déterminé pas moins de 40 coups de poignards, d’armes improvisés. Raffael Leonetti laisse derrière lui 3 enfants, âgés de 14 et 12 ans, ainsi qu’une femme, Demetria Leonetti, auxquelles nous présentons toutes nos condoléances. Rappelons que Madame Leonetti n’avait pas été épargnée par la cascade de procès liés aux accusations de Vampyr, avant d’être totalement innocentée. Elle jouit toutefois d’un portefeuille d’actions conséquent et assure l’avoir obtenu par la seule force de son acharnement et non des activités illégales de son époux.

Revenons sur un article qui avait défrayé la chronique il y a cinq ans. En mémoire de notre ami Fredrick Gallagher, retrouvé mort, pendu devant nos bureaux après la publication de son interview avec un membre de la mafia italienne. Quant à sa source, nous supposons qu’il s’agissait de Dominic Gambino, dont les morceaux de corps ont été retrouvés à divers endroits de la capitale.

Bonjour, comment souhaitez-vous que je vous appelle ?
Al Capone.
Al Capone ? Comme le célèbre gangster qui a sévi à Chicago durant la prohibition ? (je n’ai pour toute réponse qu’un haussement d’épaule.)
Bien, pouvez-vous me dire pourquoi vous avez accepté de me parler ? Vous savez que je publierai cet entretien ?
(rire) Ca fera parler de nous, c’est l’idée, la mienne. C’est une campagne de propagande.
Vous espérez donc remplir vos rangs par cette initiative ? Comme le ferait l’armée, pourquoi pas vous, c’est ça ?
(hochement de tête.)
Comment espérez-vous attirer la sympathie des habitants d’Europolis ?
Pas d’Europolis, on n’en n’a rien à foutre d’eux, on vise les natifs et/ou les nationalistes italiens. Dans notre famille, nous sommes tous italiens ou avons des parents qui le sont, c’est la première condition pour devenir un Homme d’honneur. Vous le savez, c’est une information que le monde entier connaît.
En effet, je me suis un peu renseignée sur votre “famille” puisque c’est ainsi que vous décrivez, pourtant, j’ai cru comprendre qu’il y avait quelques… Conflits entre vous.
Comme partout, vous connaissez beaucoup de familles qui ne connaissent pas de conflits ? Nous réglons nos affaires entre nous, à notre manière et sans impliquer de personnes extérieures.
Depuis la création de la capitale, Europolis a connu de nombreux règlements de comptes, depuis combien de temps y êtes vous-même installé ?
Dès la naissance du projet, notre organisation a injecté un paquet d’argent pour que vous puissiez y vivre. On ne vous entend pas vous plaindre d’avoir 4 murs et un toit sur la tête, par contre vous voudriez nous renvoyer alors que nous participons activement à l’économie de cette capital, mais sans nous, vous vous casseriez la gueule.
Pourtant, si mes renseignements sont bons, il y a eu un changement de pouvoir. Que ce soit ici, comme en Sicile. N’est-ce pas le Don Tizio qui a mis en place cette “coopération” dans la création de la Capitale ?
Un gros con, un anarchiste, il ne respectait pas les traditions, ce bâtard en est mort. Nous, on a un putain de code d’honneur. Ce que perd le Don, son successeur s’en empare. Ce n’est qu’en 2033 que le pouvoir a changé ici, par les émissaires direct du Don de Sicile.
Pouvez-vous me parler de ce code d’honneur ? Je pense en connaître une, l’Omerta ?
Exact. La loi du silence, on ne dénonce pas de crimes, aucune trace écrite, on ne parle pas aux flics, si l’un de nous parle, celui qu’il trahit peut tuer celui qui a brisé l’omerta, sous condition d’avoir l’accord de la Coupole. On règle nos affaires entre nous v’voyez. Je n’ai pas le droit de vous parler de la cosa nostra, dans quelques jours, je suis un homme mort. On respecte nos femmes et on ne commet pas l’adultère, même si elles nous font royalement chier. Par conséquent, ceux qui nous accusent d’être liés au proxénétisme ne savent pas de quoi ils parlent, la femme c’est sacré.
Vous êtes en train de me dire, que vous vous condamnez à travers cette interview. N’est-ce pas cher payer pour une propagande ?
J’ai 62 ans, j’ai fait mon temps en ce monde, je suis catholique vous savez, alors en vous parlant, je brise le silence consciemment et je mourrais comme je l’ai choisi, mais pas de ma main.
(je comprends que c’est un vétéran de la mafia, un vieil homme fatigué) Est-ce tous ces règlements de comptes qui vous rendent si… désireux de mourir ?
Pas seulement. Nous sommes une organisation très hiérarchisée, sans aucune exception, on commence tout en bas de l’échelle, on prête serment et nous devenons un Homme d’honneur, ce que vous appelez des hommes de main, nous sommes des soldats, nos états de service et notre loyauté nous font monter dans la hiérarchie. On prend souvent ce grade parce que le précédent a échoué, autrement dit, on n’a pas le droit à l’erreur ou c’est la chute ou c’est la mort, la rigueur est de mise. De soldat, on devient des caporegime, capitaines, on gère une dizaine d’hommes en plus d’un champ d’activité. Si on survit, on devient Sotto capo, sous-chefs, en relation directe avec le Don on met en place ses ordres par l’intermédiaire des caporegimes. Pour finir, nous avons les associés, ils ne sont pas Siciliens, mais collaborent avec nous sans être dans le secret de nos agissements.
Les Sotto capo sont-ils les conseillers du Don, le Parrain ?
Non. Il a ses Consiglieres, conseillers. Jamais plus de 3. A Europolis la hiérarchie n’a pas bougé depuis 2033, nous avons un Don et ses deux Consiglieres. Tous ceux qui se sont essayés à les renverser ne sont plus de ce monde.
D’accord. En somme, plus vous montez dans la hiérarchie, moins vous vous salissez les mains ?
Exact. Mais nous avons sur la conscience la mort de chaque Homme d’honneur que nous perdons.
Quelle est votre grade ?
Sotto capo, j’ai perdu au moins une centaine d’hommes au cours de mon existence. Je n’ai plus rien à perdre, ma femme est morte d’un cancer, notre fils a été tué il y a des années. Je n’attends plus rien de la vie.
(ce vieil homme n’a plus rien à perdre lassé d’avoir tant de morts sur sa conscience, sa religion ne lui autorise pas le suicide. En me parlant, il signe son ordre d’exécution. Il brise l’omerta pour nous.) Vous me dites faire une campagne de propagande par cette interview, vous m’expliquez que ce n’est pas adressé à tout le monde, vous êtes visiblement élitiste dans votre recrutement, que faut-il pour vous rejoindre ?
La question serait plutôt, que ne faut-il pas être si l’on est natif d’Italie ou d’origine italienne et catholique. Si vous êtes fils de prostituées, homosexuels ou même bisexuels, divorcés, proches parents d’un membre fonctionnaire des instances répressive, policiers, procureurs, et compagnie, il en va de même pour quiconque a un proche membre d’une mafia concurrente, vous n’avez pas votre place. Les proches de victimes de la Cosa nostra sont totalement exclus. Nous avons quelques femmes, mais elles sont extrêmement rares dans notre branche, elles font même preuve d’une cruauté pire que les hommes, parce qu’il faut s’accrocher dans notre milieu.
Pas de divorce, pas d’homosexualité, ça rejoint le catholicisme, n’est-ce pas contradictoire avec vos activités illégales ?
Il n’y a rien d’illégal à fournir à nos associés ce que la société considère comme répréhensible, nous suivons un code d’honneur très strict. Nous respectons les femmes, on ne convoite pas celle d’un autre et on ne la traite pas comme du bétail pour se faire de l’argent...
Pourtant, vous avez été lié à du proxénétisme il y a des années...
Ne m’interrompez pas, j’y viendrai. On dit toujours la vérité entre nous, le mensonge est un péché synonyme d’exécution si on l’apprend. Ne jamais collaborer avec la police, ne jamais parler de nous, ni même écrire quoi que ce soit en public, ou vous briser l’omerta. La plus petite inadvertance peut signer votre arrêt de mort. Quand on a un rendez-vous, on l’honore, même si votre femme est en train d’accoucher, la Famille passe avant tout. On ne se livre pas à l’alcoolisme ou toute autre forme de dépendance, garder l’esprit clair est primordial, c’est pourquoi on nous trouvera rarement dans des bars ou discothèque dont nous ne sommes pas propriétaires. On ne s’entretue pas, sauf ordre du Don, lui seul à droit de vie ou de mort sur la Famille.
Si nous avons été liés au proxénétisme, la Famille d’Europolis était encore sous l’influence du Don Tizio, avant que le Don actuel n’intervienne. Ils ne respectaient pas le code d’honneur, en sus de s’associer à des connards de l’Est de la pire espèce, ils perdaient toute l’influence que nous avions gagné au fil des années.
C’est à partir de cette année, 2033 me semble-t-il, que les règlements de comptes se sont intensifiés.
Et pas qu’un peu. Il se trouve que les connards de l’Est n’ont pas apprécié le changement de pouvoir, alors le Don et ses Consiglieres ont déclenché une guerre meurtrière pour prendre le monopole. C’est à ce moment-là que je suis devenue Sotto-capo, et croyez bien que ce n’était pas une mince affaire de survivre dans cette guerre qui a duré 5 ans. Nous avions quasiment le monopole de la Capitale, quand le Don et ses Consiglieres ont opté pour une nouvelle tactique, ainsi, nous avons partager le territoire plutôt que de poursuivre le massacre.
Laissez moi deviner, c’était en 2038 ?
Je viens de vous dire 5 ans, le calcul était vite fait.
C’est surtout à partir de cette année que les morgues se sont désemplit. Donc vous avez pris l’influence sur Blue Island si je ne me trompe ?
Ouais. On a deux/trois autres endroits en dehors de Blue Island, pour rappeler que nous avions le pouvoir et que dans notre bonté, on a accepté le partage plutôt que l'éradication, qu’ils ne l’oublient pas.
(un sourire étire les lèvres du mafieux, rien de joyeux.) Ne craignez-vous pas une riposte, tôt ou tard ?
C’est déjà le cas, nous avons délimité les territoires avec nos concurrents certes, cela n’implique pas le monopole sur tout, nos activités sont pour la plupart similaires et le marché pas si vaste que ça, c’est à celui qui se montre plus malin que l’autre en affaire pour obtenir le meilleur. La guerre se poursuit, continuellement.
Puisque vous en parlez, quelles sont vos activités au sein de la Cosa nostra ?
Parmi les plus connus, le pizzo, le trafic en tout genre, hormis humain, les jeux et paris, c’est de nature public depuis que des repentis ont parlé il y a des années, c’était bien avant ma naissance.
Il doit bien y avoir des choses que nous ignorons ? Infiltration politique, économique ?
Chantages, menaces, corruptions, assassinats, tout ça, c’est de nature publique, des présomptions ou la réalité, c’est tout l’intérêt de préserver quelques secrets. Pour ma part, je dirige le trafic de monnaies, pas uniquement des faux et nous avons un champ d’action extrêmement vaste, vous pouvez légitimement vous demander dans quoi nous n’avons pas d’actions.
Je vois, vous alimentez le mystère d’une certaine façon. Pourquoi des Italiens vous rejoindraient ?
Vous ignorez donc que le chiffre d’affaires annuel s'élève à des milliards d’Eurodollars ? Le crime organisé est généreux, vous pouvez me croire et les plus malins savent en profiter sans que les fédéraux s’en aperçoivent.  
Encore faut-il rester en vie pour en profiter.
Le faible n’a pas sa place parmi nous, le traître non plus
J’ose pousser ma chance en vous demandant des noms. Quelques noms reviennent souvent, Carparelli, Gambino, Leonetti...
Vous serez bien assez chanceux si vous êtes encore en vie d’ici la fin de cette semaine, profitez de la popularité que vous apportera cette interview, publiez là avant que votre mort soit inutile pour les ignorants.

L’interview fut inachevée par notre ami, sans doute perturbé par l’annonce de sa mort prochaine, ou peut-être n’a-t-il pas eu le temps de le terminer avant que la pègre italienne ne l’assassine. Nous n’avons jamais pu remettre la main sur les traces de cette interview, si ce n’est son ébauche, envoyée par mail à sa femme, la veille de son assassinat.

Aujourd’hui, la question se pose, qui va reprendre les rênes de cet empire sicilien si le Parrain est mort ? Une chose est sûre, cela laisse présager des jours funestes à ceux qui convoitent le trône.