Je compte et je recompte soigneusement mes billets, essayant d’occulter la douleur qui me vrille le crâne alors que tout semble flou autour de moi. J’ai envie de gerber en vrai et je sais même pas comment j’arrive à marcher droit. Ah ouais, parce que je marche pas en fait, je suis appuyée contre un mur là. J’attends que mon fournisseur arrive, en espérant vaguement qu’on croira pas que je fais le tapin. Bon, en même temps, j’ai pas la tenue pour, mais les gens sont tellement tarés dans le coin qu’on peut se poser des questions.

C’est pas lui que je vois en temps normal mais l’autre dealeur semble être aux abonnés absents. Et j’avais pas envie d’aller pleurer dans les pattes des bénévoles qui distribuent des trucs aux clodos et autres camés du même genre. Je suis pas comme ça. Pas vraiment. Je me frotte les bras, sourcils froncés, alors que je me demande vaguement à quel point je suis pathétique mais, en vrai, j’y peux pas grand-chose. J’existe pas vraiment alors je peux pas aller toquer à la porte d’un hôpital pour demander des soins non ? Enfin, je pourrais me créer une identité de toutes pièces mais j’ai peur que ça tienne pas, qu’une fois à l’hosto ils comprennent et ils décident de me garder pour toujours. Et de me faire subir de nouveau des expériences. Et ça j’en ai encore moins envie que le reste.

Du coup, je me retrouve plantée là comme une idiote, à me geler le cul alors qu’il est beaucoup trop tard pour que les honnêtes gens se baladent dans un coin pareil et à me demander à quel point ma vie est merdique pour que j’en sois réduite à ça. En gros. Pourtant, ça pourrait être carrément pire hein, on va pas se mentir. Je pourrais être en taule par exemple. Ou pire, de nouveau dans un labo. Je grimace à cette pensée qui revient tout le temps en ce moment et je finis par sortir mon téléphone portable, lançant un jeu à la con en attendant que le type arrive.

Je vois une silhouette au loin et je me demande si c’est lui. Mais, quand je plisse les yeux pour essayer de le reconnaitre, je vois un type le choper et lui faire je sais pas quoi. Rien de bien sympa visiblement, vu qu’il se relève pas. Et je grimace, me demandant à quel moment va falloir que je me tire et fissa. Sauf que le type arrive vers moi d’un pas tranquille, comme si tout était on ne peut plus normal. Je toussote alors qu’il arrive à ma hauteur, un rien mal à l’aise. « … euh, z’êtes le nouveau caïd du coin ? Un truc du genre ? Nan parce que là, c’était impressionnant. » Ou juste flippant mais c’est un détail ça. Et j’ai pas trop envie de le contrarier, allez savoir pourquoi. « J’aurais ptet dû dire salut… » Un silence et j’ajoute, comme si j’étais pas en train de flipper toute seule. « Salut donc. Je peux vous aider ? » Ouais, nickel comme ça.

La nuit est noire. Glaciale. Humide. Europolis est toujours emprisonnée dans ce paradoxe étrange qui est qu’il y fait toujours si froid alors que les entrailles de la cité, à ciel ouvert, réchauffent les âmes en perdition de ses habitants. Ils sont là, juste en dessous. Je ressens leur odeur pestilentielle, ce mélange de vice et de stupre, de drogue et de sexe, qui les emprisonne dans un carcan entre rêve et cauchemar.


Personnalités faibles, jouets des trafiquants d’armes, de stupéfiants ou de chairs. Mes binoculaires modifiées par Johannes me les font voir, plus bas. Rythme cardiaque. Infrarouge pour la chaleur corporelle. Je vois ces corps qui brillent dans l’obscurité, ces battements rendus erratiques par une vie trop riche de vices et d’abus, dans lesquelles ils se complaisent pourtant. Ce soir, je ne prends pourtant pas la température des Hommes mais de la ville elle-même. Je prends son pouls, et j’essaie de mesurer l’étendue du mal qui la gangrène.


Dealers, vendeurs d’armes démilitarisées sous le manteau, putes et trafiquants. Ils sont tous là. Je n’interviens pas pour la racaille, d’ordinaire, sauf s’il y a des dangers immédiats. Ce n’est pas le cas ce soir, pourtant la femme que je surveille semble chercher de son propre chef les pires ennuis. Son dossier, tout ce que j’ai pu trouver sur elle, c’est creux et vide de sens. Pourtant, les alarmes de Johannes sont toutes au rouge, celles qu’il place sur les autres espions des services de police. Une quantité de gens les surveille en fait, de journalistes sans vergogne à d’autres services de sécurité de l’Etat, mais aussi quelques hackers et autres rançonneurs omnicanaux. Un dealer s’approche. Une camée. J’imagine qu’elle vend des informations recueillies auprès de la maréchaussée pour ensuite s’acheter ses doses…


Je dois l’interroger, ce soir.


Bien positionné, j’intercepte le vendeur de mort blanche et le happe dans les ténèbres. Coups de surins qui ripent sur l’armure souple de Johannes. Vampyr lui appose sa marque, après courte et intense bastonnade. Nez cassé, visage tuméfié, et l’emblème de Vampyr, le Y, au fer rouge sur la joue grésillante. J’enjambe le type inconscient. La police ne tardera pas. Dans ces quartiers où tout semble noir, il y a toujours quelque créature pour scruter les ténèbres. La cape m’encadre, entourant mon corps et ma tenue d’un halo sombre, ancien tissu militaire pour camoufler les installations aux bombardements de nuit ; perméables aux infrarouges et à d’autres modes de repérage. Je reste dans l’ombre, pour ne pas me dévoiler.


Vieille habitude, qui renforce la mystique du masque. La voix grave et déformée par le micro sous mon masque s’élève dans la ruelle.


| Oui, vous pouvez m’aider, Sasha Pachkov. Je sais qui vous êtes. | Parler lent, phrases détachées. | Et je pense que vous savez aussi qui je suis. Qu’avez-vous à voir avec le gang des Mad Foxes ? |

Un jour, j’écouterais mon instinct. Celui qui me dit de rester chez moi et de payer un mec pour aller se fournir à ma place. J’ai le fric pour ça, même largement. Même si ouais, j’ai encore du mal à m’y faire, à me dire que je pourrais vivre autrement, que je pourrais me trouver un coin moins merdique, voire, truc de dingues, trouver un appartement décent. Mais non, je continue dans mes mêmes travers. J’ai juste écouté Jean et investi le fric. Je l’ai mis en sécurité quoi. Même si j’ai gardé des billets dans mon matelas parce que je trouve ça carrément cool. Enfin, c’est pas le problème là de suite.

Mon souci, c’est que je suis encore en train de faire de la merde, tout ça pour un médicament qui fera, au mieux, effet pendant quelques heures. J’arriverais probablement à dormir mais, après, ça recommencera. En plus, le coin est carrément pourri. Point positif, je passe inaperçue avec ma tenue. Je suis une junkie parmi d’autres ou un truc du genre. Ca empêche pas d’être en danger, de risquer de me faire agresser, violer ou je sais pas quoi d’aussi festif. Demain, je réfléchirais à une façon de m’approvisionner. Parce que là, je suis pas capable de rien de toute façon.

Mais bon, le pire dans tout ça c’est que mon dealer se fait… tabasser ? Tuer ? Je sais pas trop. Alors, on va pas se mentir, ça me fait ni chaud ni froid fondamentalement. Je le connais pas plus que ça et, si ça m’emmerde un peu à l’idée de devoir démarcher un autre type jusqu’à obtenir ce que je veux, je sais qu’il me faudra pas longtemps pour oublier son existence à lui. C’est moche, je sais. Mais la vie est moche.

Le type se rapproche quand même. Et j’aime pas ça. Je sens un frisson me parcourir l’échine et mes poings se crispent dans mes poches, même si j’essaie d’avoir l’air de rien, de faire comme si j’étais pas sur le point de me faire pipi dessus ou un truc tout aussi classe. J’inspire longuement, essayant de retrouver un semblant de sang-froid. J’ai survécu à tellement de trucs, c’est pas pour flipper devant un mec qui a pas le cran de montrer son visage non ? Quand même, j’ai un standing.

J’arque quand même un sourcil, me figeant alors qu’il prononce mon nom. Et sans la moindre hésitation en plus. « Pour un peu, je dirais que vous étiez en train de me suivre. Faut pas faire votre timide hein, vous pouviez m’aborder autrement qu’en butant un pauvre type qui avait probablement une famille de rats à nourrir. » Je me mordille la lèvre, regardant autour de moi alors que je cherche vaguement des options pour me tirer. Evidemment, je suis pas convaincue, surtout que s’il me connaît, je risque pas de pouvoir être tranquille. « Vous êtes un taré avec un masque et une voix bizarre. J’ai bon ? » Oui, je devrais probablement pas chercher la merde. D’autant que mon cerveau me souffle que ça doit probablement être le fameux Vampyr. Ce serait un truc de dingues quand même, surtout que ce type est plus une légende qu’autre chose, je me suis souvent demandé s’il existait vraiment. « Pourquoi vous vous intéressez à eux ? » J’aurais peut-être dû demander de qui il parle, mais je pense que ça aurait été du temps perdu en vrai.

Frontalement. Sans prendre de gants. Je sais qui elle est et je sais aussi qu’elle aura peur. Mais elle a survécu à quantité d’épreuves déjà. Elle a déjà survécu à pire qu’un mec masqué qui vient la tarauder de nuit. Elle se trompe malgré tout, si elle en vient à cette conclusion. Parce que je ne suis pas uniquement un mec masqué. Je suis Vampyr. Deuxième du nom, peut être, mais j’ai encore moins à perdre que le premier. Regrets et remords sont étouffés au même titre que mes scrupules, alors que je baignais dans mon sang des années plus tôt, essayant de ramper sur le sol bitumeux et détrempé d’Europolis alors que ma femme enceinte était violée et égorgée à deux mètres de moi.


Ce genre de personne, de coupable, ça utilise parfois l’humour et le sarcasme comme des remparts. Comme un espèce de bouclier, une parade pour masquer la peur et souligner l’intelligence ou les émotions, parfois les deux. Je la regarde sous ce masque blindé, ce casque ouvragé pour l’obscurcir et le durcir… Rempli de technologie, qui ne m’aide en rien pour détecter le mensonge et la duplicité, mais pour analyser les bruits, les fréquences radios, ou encore certaines données. Je n’ai pas besoin de lui pour savoir qu’elle ne me prend pas vraiment au sérieux.


Pas encore.


La résistance chauffe contre ma cuisse droite, dans le renfort de l’armure balistique. Je n’ai eu qu’une pression à exercer sur le côté que déjà, le sigle en Y du vampyr se chauffe à blanc au travers de l’isolation calorifuge pour me permettre de la marquer au besoin. Comme tous ces violeurs, ces pédophiles, ces dealers ou ces trafiquants. Pas de pitié pour le crime quand il n’en exerce aucune. Ces toxicos. Des gens que la société avait affaiblis à force de promesses trompeuses et d’espoirs fallacieux. Des individus dont la volonté n’avait pas été assez forte. Je ne leur jetais pas la pierre ; avant le drame qui me l’avait Retirée, j’étais faible moi aussi. Elle se fait fière et pleine de morgue. Je la vois Elle par-dessus son épaule.


| Torben… |


Elle me hante mais je ne La regarde pas. Même si ça me fait crever.


| Je vous connais. Je sais où vous habitez. Nul besoin d’avoir à vous suivre quand vous êtes aussi prévisible. Votre… « ami » n’est pas mort. Mais il se souviendra de mon passage. |


Avec l’espoir fou qu’il s’en rappelle. Journaliste de formation, j’avais la mémoire des visages, depuis tout gamin quand je regardais des films avec mon père et que je reconnaissais n’importe quel acteur selon la manière dont il était grimé. C’était pareil aujourd’hui. Je la regarde alors qu’elle m’insulte, mais ça glisse sur moi comme s’il ne s’agissait que de détritus que le vent emportait avec lui. Dans cette ville, il y avait bien plus salissant que des mots.


| Parce qu’ils sont bien plus dangereux qu’ils n’y paraissent. Parce que ceux qui les cherchent aussi sont bien plus dangereux encore. Et tous sont plus dangereux que vous. Je ne suis pas venu pour plaisanter, Sasha. |


D’un bond, je suis contre elle. La maintiens, gantelet enserrant son cou. Juste assez pour la douleur, l’inconfort. Pas assez pour l’étouffer.


| Vous avez peur d’eux. De certains d’entre eux, en tout cas. Comment croyez-vous qu’ils réagiront quand ils s’interrogeront sur les responsables de leur dernier échec ? Vous êtes russe. Vous êtiez chargée de leur sécurité, de leur planification. Dites-moi ce que je veux savoir, et ils auront bien plus gros problème que vous à gérer. Vous souhaitez vraiment perdre votre liberté pour ces gens ? Vous savez qui ils sont. Parmi eux, des tueurs, des violeurs, des bourreaux. Eux ou vous. Ou vous tous. Ca ne tient qu’à vous. |

J’ai attaqué Sasha, bondissant sur elle pour la plaquer contre le mur.
Il me reste 08 Points de Baston avant de tourner de l’œil.

Alors là, concrètement, on peut se demander dans quel merdier je me suis fourrée. J’ai déjà été dans des situations pas terribles hein, on va pas se mentir, mais là, je saurais pas dire pourquoi, mais ça m’a l’air carrément pire. Enfin, si, je sais pourquoi. Ce regard. Ce putain de regard. Je l’ai déjà vu parfois, ce genre de regard qui vous confirme que le mec préférera crever que se rendre. Un truc du genre quoi.

Et en plus, je vois pas trop comment je pourrais me sortir de là en fait. J’essaie de garder mon calme, prenant des inspirations pour éviter de trop trembler et de passer pour la pire des chochottes incapable de tenir face à un taré psychopathe. D’autant que ce qu’il me dit n’est pas là pour me rassurer en vrai. Je plisse des yeux, oubliant un instant mes genoux qui commencent à s’entrechoquer bien malgré moi. « … comment ça vous savez où j’habite ? Mais vous êtes qui putain ? Et c’est pas mon ami, c’est juste un connard parmi d’autres. Y en a tellement que c’est pas en lui faisant la leçon que ça changera quoi que ce soit. Vous avez juste laissé la place à un autre mec là, rien de plus. Ca va même être pire en fait, ses clients vont chercher un autre fournisseur, ça va se battre et … bref. » Oui, je sais, je sais, déjà, savoir qui est ce type va pas beaucoup m'aider, ce que je dis non plus et, même si c'est Vampyr, je vois pas ce que ça changerait dans ma vie en vrai.

Je lève les yeux au ciel, essayant d’ignorer les gouttes de sueur qui glissent le long de mon échine. On est en plein hiver, je devrais pas transpirer. Je me mords l’intérieur de la lèvre tellement fort que je commence à sentir le goût métallique du sang dans ma bouche et je me fige quand il prononce mon prénom. « Okay, vous me connaissez. Vous les connaissez eux aussi. J’ai pigé. » J’ai réussi à pas avoir la voix qui tremble de trop mais, quand il me plaque contre le mur, je peux pas m’empêcher de retenir un couinement de frayeur. Je pense qu’il peut sentir sans problème mon pouls qui bat la chamade et j’écarquille les yeux quand il continue. Mais j’arrive quand même à souffler, d’une voix tremblante. « J’y suis pour moi rien si tout ce truc a foiré ! J’ai fait de mon mieux pour les aider et … mais putain comment vous savez tout ça ? » J’aime pas ce qu’il dit. Parce que c’est pas totalement vrai, mais c’est pas totalement faux non plus. Je commence à les connaître. Un peu. Et je sais pas si j’ai peur d’eux. Jean m’a fait flipper, c’est vrai, même Lukas arrive à me faire baliser quand je vois cette ombre danser au fond de ses yeux. Mais de là à penser qu’ils me buteront dès qu’ils en auront l’occasion, y a un pas que je suis pas prête à franchir pour le moment.

Je pose mes deux mains sur le bras qui enserre mon coup et j’essaie de le secouer, histoire de relâcher un peu la pression. « Lâchez-moi, je vais pas me tirer ! Et je peux pas … je sais pas… vous voulez savoir quoi sur eux ? Vous savez pas déjà tout ? » Vu qu’il sait déjà un paquet de trucs sur moi alors que je pensais avoir réussi à effacer mes traces plutôt proprement, je commence à craindre le pire. D’autant que moi, je sais rien sur lui. A part qu’il pourrait me buter si la réponse lui plaît pas. Et que je sais pas si je pourrais lui donner ce qu’il veut. Ou si j’en aurais envie. Ou je sais pas encore quelle connerie dans le même genre.

***

Sasha essaie tant bien que mal de lui faire lâcher son emprise.

***

Il me reste 6 points de baston avant de tourner de l'oeil.

Je ne prenais aucun plaisir à me battre, ni à malmener des témoins, à les intimider. Il fallait quand même que je me préserve parfois, de ces démons qui m’habitaient. Je devais éviter qu’ils me dépassent, qu’ils me fassent perdre le contrôle. Tous ces criminels me donnaient la nausée, mais plus le temps passait et plus je me sentais proche d’eux par mes actions, par ma mentalité même, mais surtout par mes méthodes. Combattre le mal par le mal. J’avais jadis eu beaucoup de scrupules à ce genre d’extrêmité, c’était sûr et certain… Mais mes bonnes dispositions vis-à-vis de la totalité du genre humain avaient pris fin en même temps que j’entendais ma femme hurler et gémir sous les abus de ces salopards.


Je regarde la jeune femme en face de moi, et je ne ressens toujours pas la moindre pitié, même quand je la malmène un rien pour la pousser à coopérer. Ce n’est pas une tueuse ; je ne l’ai pas lu dans les lecteurs de Johannes. Elle commence à flipper. Je sens dans les capteurs la vitesse des battements de son cœur, et je vois aussi les signes au travers du masque de combat de Johannes. La peur s’instille si aisément dans l’esprit des hommes, pourvu qu’on sache ce qui les fait tourner. Ce qui les motive intimement. Ça rend les choses plus faciles. Elle se perd dans ses explications. Je sens qu’elle est fébrile, et pas qu’un peu. Je me fiche de son avis, comme de son jugement. Pour moi, ils n’ont pas de valeur pour beaucoup de raisons.


| Je suis Vampyr. |


De toute façon avec mes récentes sorties, j’allais bientôt réapparaître. D’abord sur les réseaux sociaux. Ensuite, dans les journaux et à la télé. Puis sur les écrans de tous les flics de la ville, et dans le collimateur de toute la pègre qui pullulait en ville. Je ne dis rien de plus, juste la vérité, sans me contraindre à quoi que ce soit d’autre. Elle a peur, mais elle continue de jouer les fières. C’est incroyable comment tous ces gens sont si arrogants, si mal élevés. Toujours à jouer au plus malin. Ils n’avaient pas compris que la vie était une chienne et qu’elle pouvait se charger de faire disparaître ces sourires malsains de leur visage, le soir venu, d’un coup de trique dans une allée sombre ? Je sens son corps si fragile contre le mien. Je pourrais la briser. Je n’en ai pas envie. Ses crimes méritent arrestation, sans doute, mais les petites souris du crime organisé sont toujours utiles.


| Sûre que tu as compris, petite ? Je le sais, c’est tout. Tu n’es pas facile à trouver. Mais il y a des traces. Il y a toujours des traces. Sur eux, elles sont cachées en lieu sûr. A l’abri des pirates. C’est pour ça que tu ne dois pas avoir appris grand-chose d’eux par tes canaux habituels, sans doute. Qu’importe. |


Mais elle se débat, et je prends son coude dans le visage.


| Tu nous laisses mourir, Torben! |


Pas très fort, juste de quoi me faire desserrer un rien l’emprise. Je ne la marque pas, malgré le rictus de rage sous le masque. Je reste concentré. Je la secoue des deux bras, et la claque violemment contre le mur.


Le micro sort une voix déformée, monstrueuse, alors que je hausse le ton.


| Donne-moi leurs noms. Je sais que tu les connais. LEURS NOMS ! . |

J’ai attaqué Sasha, bondissant sur elle pour la plaquer contre le mur.
Il me reste 08 Points de Baston avant de tourner de l’œil.

Et merde, merde, merde. C’est à peu près ce qui me vient quand il me confirme ce qui pouvait sembler une évidence à qui aurait pris deux minutes pour réfléchir. Mon cœur fait un bond et autant dire que c’est pas bon pour mon karma ça, mais alors pas du tout. « Vampyr ? Mais t’es pas supposé t’occuper des vrais méchants putain ! Pas des gens qui font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir et font de mal à personne ? » Ouais, je sais, c’est tellement manichéen comme façon de voir que je me mettrais presque des claques à moi-même si j’en avais la possibilité. Mais, dans le fond, j’ai pas entièrement tort. J’ai jamais tué personne, je me contente de faire ce que je peux avec ce que j’ai, autant dire pas grand-chose. J’ai survécu à tellement de trucs que ça me ferait mal de tomber face à lui, j’avoue.

Pourtant, j’ai pas vraiment mon mot à dire dans cette histoire. Et ça, c’est moche. Tellement moche que ça me donne juste envie de relever la tête et de continuer à l’envoyer chier verbalement. Juste pour pas passer pour une victime. Ce que je suis pourtant, je suis pas totalement stupide. J’ai du mal à déglutir alors que je me débats tant bien que mal, réalisant à quel point je suis pas bien épaisse, pas bien musclée et pas bien quoi que ce soit face à lui. « Et merde, si t’en sais autant que ça, tu te doutes bien que j’ai aucune information qui pourrait t’intéresser ! Evidemment qu’ils existent plus nulle part, que quelqu’un a soigneusement effacé leur traces. Y a plus rien sur eux. Que dalle. Ou alors c’est tellement verrouillé qu’il faudrait toute une vie pour le craquer. Et je sais, j’ai essayé. C’est pas des fantômes pour rien. »

Et je fais même pas d’ironie pour le coup, je suis honnête. Je sais que dalle sur la plupart d’entre eux, si ce n’est des fragments de vie que j’ai appris çà et là. Rien d’utile, vraiment. Et même si ça l’était, je saurais pas dire pourquoi, mais j’ai pas la moindre envie de le cracher. Que ce soit Vampyr ou un autre. Je parlerais pas de loyauté, c’est pas mon genre, mais ça y ressemble un peu. Après tout, le patron est en taule et personne est venu toquer à ma porte alors que j’ai pas déménagé. Il aurait pu pourtant, me balancer. Sans scrupules. Et il l’a pas encore fait.

J’ai un cri de douleur quand il me pousse contre le mur, laissant échapper un hoquet de surprise alors qu’il hausse le temps et, mine de rien, un peu sonnée par le choc. « Je les connais PAS ! C’est à peine si j’ai leurs surnoms et des prénoms. Et encore, je sais même pas si ce sont les vrais sérieux ! » Je sais, je vais me faire massacrer. Si je sors de là en vie, je suppose que je devrais m’estimer heureuse. Traumatisée, mais heureuse. Ou une connerie du genre. Mais, alors qu’il se rapproche pour me secouer, j’essaie de me débattre encore, de lui mettre un coup de pied, un coup de tête. Peu importe, un truc qui le touche un peu et, avec un miracle, lui fasse lâcher son emprise pour que je me tire. Ouais, on peut toujours rêver. Surtout que ça marche genre, pas du tout en vrai. Fait chier, je veux pas mourir ici moi.

***

Sasha continue de se débattre et tente de taper où ça pourrait faire mal… l’espoir fait vivre !

***

Il me reste 4 points de baston avant de tourner de l'oeil.

Dans cette armure sombre je me sens invincible, ou presque. Je savais très bien que je pouvais tomber sur plus fort, plus rapide, plus intelligent que moi.. C’était déjà arrivé. Jusqu’à Johannes qui avait lui aussi fini par rencontrer son destin. Je ne prends aucun plaisir à interroger cette gamine, qui avait fait l’erreur de s’introduire dans des endroits informatiques étroitement surveillés par mon ancien mentor ; notamment certaines banques de données de la police ou des archives de la ville, rubrique urbanisme. Ces logiciels de décryptage et de tracking étaient dépassés depuis la mort de Johannes, mais ils m’avaient permis de remonter le flux de données de ces endroits aux pare-feus et aux DNS externes, de fil en aiguille… Long travail de sape, orchestré par des personnes infiniment plus douées que moi, aux ordres de celui qui avait monté tout ce que Vampyr était aujourd’hui. Je la regarde, alors qu’elle me dit qu’elle ne fait de mal à personne.


| Huit morts et deux douzaines de blessés, tu veux les noms ? Les photos des victimes, de leurs familles ? J’ai tout ça avec moi. Tu y as contribué. Tu les as rencardés. |


Je me souvenais de cette conclusion d’un chroniqueur écouté d’Europolis, star des heures de grande écoute. Dieu a inventé Storeberg pour défendre la justice, et Vampyr pour punir les méchants. Je n’écoute pas les faux-semblants derrière lesquels elle se cache éhontément, n’assumant rien de ses choix. Elle croit que je suis à son écoute, que je suis là pour distinguer le vrai du faux, et de lire chaque nuance. La justice ne s’embarrasse pas tant de toutes ces nuances de gris qui ont pollué le libre exercice de la loi depuis des décennies. Elle est avec eux, ou elle est avec les gens ordinaires. Ni plus, ni moins. Je ne comptais pas exercer la moindre pitié. Je n’étais pas superman, ni toutes ces figures romanesques qui comprenaient et qui capturaient sans faire de bobos. Arrêter un type, ce n’était pas si compliqué pour qui avait les renseignements et la volonté d’agir. J’étais là pour exercer un travail bien plus difficile ; faire en sorte que chaque type arrêté soit un exemple pour les milliers d’autres qui polluaient la ville de leurs vices et de leur égoïsme.


| Je ne te crois pas. |


Elle se débat et dis et répète même qu’elle ne sait rien de rien. Je serrais un peu plus fort ma prise, les gants crissant alors qu’ils serraient son corps et le maintenait contre le mur.


| Noms, surnoms, adresses. Tu les connais. Tu les as déjà vus. J’en suis sûr. Ces mecs ne connaissent rien en informatique, sinon ils ne feraient pas appel à toi. Je veux tout savoir. Où tu es allée pour les rencontrer. |


Au loin, le bruit d’une sirène de police. J’appuie sur le déclencheur de la résistance qui chauffe à blanc l’insigne du Y inversé ; fumée qui sort du costume sur le côté de la cuisse, entre les fibres thermo-isolantes.


| Tu parles, et tu me prouves que tu n’es pas comme eux. Ou tu gardes le silence, mais tu perds ta vie, ton futur, et ton visage. |

J’ai attaqué Sasha, bondissant sur elle pour la plaquer contre le mur.
Il me reste 08 Points de Baston avant de tourner de l’œil.

Je déteste ça. Je déteste cette putain de ville. Je déteste ces types qui se prennent pour les rois du monde parce qu’ils ont du matos, des pouvoirs ou je sais pas quoi. Et ce mec, Vampyr, il vaut pas mieux que les autres en fait. Alors qu’il se dit du « bon » côté. Sauf que le bon, le mauvais, c’est bien de la merde tout ça. Et la rage que j’éprouve en ce moment précis vaut à peu près la peur qu’il me fait éprouver. Autant dire que les deux ne font pas vraiment bon ménage et, forcément, je suis pas capable de me tirer de là. Ou de répondre à ses questions.

Parce que sa façon de faire me braque encore plus que le reste pour être parfaitement honnête. On peut dire que je suis une tête de con ou un truc du genre mais, au final, le résultat est là. Il m’emmerde à me balancer les morts de leur braquage précédent. Comme si c’était mon problème. Ouais, je sais, c’est de la mauvaise foi un peu mais je m’en fous. « Oh arrête ! Et tu vas me parler de tous les gens qui crèvent tous les jours aussi ? Tu vas trouver moyen de dire que je suis coupable ? Je les ai pas flingués putain ! J’étais même pas là ! » J’étais occupée à me faire retourner le cerveau par je sais pas quoi, ce qui est pas forcément beaucoup mieux en vrai. « Si je les avais pas rencardés, ils auraient trouvé quelqu’un d’autre. Je suis loin d’être la seule à savoir trouver des putains de plans ou des bouches d’égout. Même toi tu dois en être capable ! »

Je me voile probablement la face et je pousse trop loin. Mais de toute façon, foutu pour foutu, autant que je garde un minimum d’amour-propre non ? Même si certains diraient que c’est surfait. Et je fronce les sourcils quand il dit qu’il me croit. « Mais putain c’est la vérité ! » Le pire c’est que oui mais visiblement, ça a pas l’air de le préoccuper plus que ça. Je me débats avec de moins en moins de conviction, songeant que ça me ferait quand même chier de mourir dans cette ruelle. Et la boule que j’ai dans l’estomac se fait bien plus présente. C’est probablement pour ça que j’arrête de me débattre complètement, mon regard rivé sur son masque. « Ce sont eux qui me trouvent. Pas moi. Ils sont venus à mon ancien boulot, dans la ruelle. Y a une nana qui est venue chez moi aussi. Elle est jamais revenue. On a communiqué par des moyens détournés, impossibles à tracer. C’est comme ça que je fonctionne. » Bon, je suis peut-être allée une fois chez Raulne et je me rends compte que vu que le type est en taule, si je crache cette info, ça changera rien non ? « Je suis allée une seule fois chez le chef. Mais ça se voyait que l’appart où il vivait était une planque, pas un vrai lieu de vie. Ils doivent en avoir un paquet, sont pas cons. Et ils me les ont jamais donnés. »

Je soupire, posant une nouvelle fois mes mains sur ses gants pour essayer de respirer tant bien que mal. L’odeur de la fumée me fait un peu plus paniquer et je sens les larmes me monter aux yeux. « Je suis pas une putain d’héroïne ou de grand méchant. Je me contente de faire ce pour quoi j’ai été… créée. Alors merde, vas-y le héro... flingue-moi mais tu tapes sur la mauvaise personne. Je suis rien moi. Rien du tout. Juste une paumée de plus dans cette ville de merde. » Mais non, je vais pas sortir les violons. Mais merde, un justicier pareil, je m’en passerais largement.

Les compromis tuaient cette ville. La facilité avec laquelle le crime gagnait le coeur des gens, la rapidité avec laquelle tout le monde se retrouvait corrompu pour un espoir stupide d’une vie meilleure par le vice, tout cela ne manquait jamais de m’étonner et de me dépiter à la fois. A quel moment ces gens avaient-ils loupé le véritable visage de la pègre qui gangrénait l’âme de cette cité ? Le vice était peut être déjà en eux à l’origine, dans un combat gagné d’avance avec la vertu. Quoiqu’il arrive, c’était déjà trop tard. Maintenant, il ne restait plus qu’à assumer. Ce que ne faisait pas la jeune Russe. Certaines personnes dans cette ville détestaient les natifs de Russie pour leur responsabilité dans la troisième guerre mondiale. Je n’en faisais pas partie. Les grands bains de sang de l’Humanité nous avaient toujours tous un peu dépassés. En revanche, je pardonnais moins sa propension à défendre des criminels.


Elle avait profité de ces casses, sans le moindre petit doute. Elle pense que c’est un jeu. Elle pense qu’on peut se dédouaner du mal qui ronge cette ville.


Elle est folle. Comme toute cette Humanité qui court à sa perte. Comme moi, aussi. Mais il me reste encore assez de bon sens et de pragmatisme pour savoir très clairement qu’on est tous coupables, dès lors qu’on met un doigt dans l’engrenage, et qu’on a tous une part de responsabilités dès lors qu’on transige avec la Loi et ceux qui la brisent.


| C’est ça, le cancer qui ronge cette ville. Cette aptitude remarquable à nier toute responsabilité. Europolis est une ville d’enfants, où les gosses jouent avec des flingues. |


Elle me confirme que je fais bien de m’en prendre à elle, quand elle explique que si ça n’avait pas été elle, ça aurait pu être quelqu’un d’autre qui aurait aidé. Je ne cherchais pas à la convaincre, je n’entrais pas dans son débat. Toutes ses excuses sonnaient comme des faux semblants, comme cette espèce humaine que la liberté avait rendu puérile au point de vouloir faire croire qu’on n’était plus jamais responsable de quoi que ce soit qui nous arrive, que c’était la faute de quelqu’un d’autre, que c’était la faute du système. Bien sûr, le chaos se nourrit de la pauvreté, de la violence, de la folie.


Mais plus que tout, il se nourrit de la faiblesse de l’âme humaine. De son attrait pour la facilité.


Elle sait, mais elle ne veut pas me dire. Je ne ferais pas comme elle, à accuser les autres à ma place.


| Très bien. C’est comme tu voudras. | la voix déformée par le synthétiseur ne rend aucune menace du ton de ma voix.


Mon poing écrase le ciment friable et pulvérise la brique à côté, grâce à la puissance de mon équipement. La pierre crisse sous la chaleur intense qui doit donner le sentiment que son visage brûle à la jeune femme. Lorsque je retire le poing et que je rengaine le symbole qui siffle encore sous la chaleur qui rapidement s’atténue.


| Si tout cet argent n’arrive pas par miracle sur le compte d’une œuvre sociale d’ici la fin de la semaine, tout ce que j’ai sur toi arrivera sur le bureau du Lieutenant Hart, à l’EPD. Si je te reprends à aider des criminels pour éviter que « d’autres ne le fassent », je te conduirais moi-même en prison, avec cette marque au cou, et bon courage alors pour survivre dans cette vaste piscine de requins. Ne prends pas tout ça pour une menace ; c’est une promesse. Une semaine. |


Johannes serait fier de moi. La petite avait encore son visage. Pour l’instant. Et moi, je disparais dans la nuit noire, toujours en quête de mes preuves sur les autres du groupe.

J’ai attaqué Sasha, bondissant sur elle pour la plaquer contre le mur.
Il me reste 08 Points de Baston avant de tourner de l’œil.

Je sais pas si j’ai plus envie de pleurer de rage que de peur. Bon, les deux se valent, on va pas se mentir. Je suis autant en colère qu’en panique face à ce type qui se croit meilleur que moi parce qu’il a fait des choix différents. Sauf qu’il a jamais été confronté à ce que moi, j’ai pu vivre. Et c’est facile de prendre d’autres chemins quand on a eu une vie plus facile. Je parie que ce type a jamais eu faim, a jamais eu à dormir dans la rue et à se soucier de pas se faire agresser.

Mais bien évidemment, tout ça, il s’en fout. Comme la plupart des connards dans son genre qui veulent nettoyer la ville. Quitte à tuer des gens en cours de route, c’est pas leur souci. Au nom de l’humanité ou de je sais pas quelle connerie du même genre. Sauf que les humains en eux-mêmes ne les intéressent pas. Heureusement qu’ils sont pas tous comme ça. Ma gorge se serre quand même alors que les larmes continuent de rouler sur mes joues sans que je cherche même à les arrêter. Il arrivera pas à me briser, il doit pas. Il a pas le droit. Je veux pas le laisser gagner.

Et je plisse des yeux dans sa direction, la mine mauvaise, alors que je trouve je sais pas où la force de souffler, d’une voix sèche. « Parce que t’es responsable de rien toi ? C’est pas parce que t’as commencé à rendre justice que t’as pas fait de la merde avant. T’as autant de la merde sur les mains que les autres. Et rien de ce que tu feras ne changera ça. » Alors ouais, techniquement, j’en sais rien. Mais même s’il est blanc comme neige, ce dont je doute, il a laissé faire pendant des années. Et il se permet de juger les gens. Ca, je peux pas l’accepter. « C’est à ceux qui laissent les flingue en libre accès que tu devrais attaquer. Pas les gosses. » C’est tellement facile de balancer des trucs comme il le fait, comme si c’était des vérités ou des merdes du genre.

J’écarquille des yeux quand il reprend la parole, sentant la panique monter encore d’un cran alors que je pensais même pas que c’était possible. Et je murmure, d’une voix tremblante. « Non, non, non... » Tout en fermant les yeux. Sauf qu’il se passe rien. Enfin si, je sens la chaleur juste à côté de mon visage. Mais pas sur moi. J’ouvre un œil, voyant la fumée sur la pierre à côté de moi et je sens mes jambes trembler. Heureusement qu’il me tient en fait, sinon je pense que je serais déjà par terre. Je me contente de hocher la tête, sans être bien sûre de bien imprimer tout ce qu’il est en train de me dire en vrai. Une œuvre de charité ? Des flics ? La prison ? Et euh quoi ? Oh merde, si j’oublie quelque chose, il va revenir me tuer ce con. J’en suis sûre. Et je veux pas mourir. Pas comme ça. Enfin je sais pas si la prison ce serait pas pire au final. Sauf que j’ai pas envie d’avoir à vraiment me poser la question. Je déglutis, espérant qu’il va me laisser enfin tranquille.

Ce qu’il finit par faire. Et je me retrouve par terre, en larmes, genoux repliés contre moi. Je sais pas combien de temps il me faut pour arriver à me relever et à rentrer chez moi avec l’envie de ne plus jamais en sortir. Jamais.