Les habitudes, ces choses qui tiennent lieu de vérités pour les solitaires...

Sourcils légèrement froncés, je fais glisser mon doigt sur la tablette pour passer à la page suivante de l’article que je suis en train de lire. Encore quelque chose d’inquiétant sur la politique de la ville, qui ne fait que mettre de plus en plus en avant le nombre de marginaux incapables de trouver une place dans ce joyeux bordel. J’ai toujours eu du mal à comprendre ce genre de problèmes. Peut-être parce que j’ai fait partie de cette pseudo classe privilégiée, que je n’ai jamais eu à me soucier de manger, de savoir où dormir… et que ma place, j’ai eu tout loisir d’y consacrer mon énergie pour me la faire comme je le voulais.

J’ai tout de même un soupir, me demandant comment des filles comme Lena vont pouvoir se trouver un avenir là-dedans. Et, alors que j’arrive à la dernière ligne, j’envoie le lien par mail à Chloé. Peut-être qu’elle sera intéressée par un nouveau pamphlet anti-bureaucratie d’Europolis d’un auteur qu’on ne connaissait pas encore.

Et je regarde l’heure, curieux. J’étais un peu en avance, je le sais bien. Mais j’avais besoin de prendre un peu l’air et de couper avec l’ambiance survoltée au boulot. Un peu de calme dans l’atmosphère feutrée du restaurant que j’ai choisi ce mois-ci, vu que c’était mon tour, ça fera pas de mal. Je me rends compte que, depuis le retour de Lena, je n’ai pas trouvé le temps de me libérer pour ce qui est devenu, avec le temps, une véritable habitude. Un des rares points de repères réguliers que j’ai eu depuis la mort de Debra. Pourtant, c’était improbable qu’on devienne amis. J’ai eu du mal, au début, à l’idée de me rapprocher d’une amie de ma femme, préférant me morfondre dans mon coin.

Mais à croire que tout ne se passe pas comme on l’imaginait. Et là, je suis en train de chercher une excuse potable à défaut d’être acceptable pour avoir annulé nos deux derniers déjeuners. Autant dire que pas grand-chose ne me vient et je grimace à cette pensée alors qu’une silhouette familière passe enfin la porte du restaurant.

J’ai un sourire alors qu’elle s’approche, songeant vaguement que, même si je la trouve particulièrement jolie, j’ai jamais pensé à quoi que ce soit avec elle. Enfin autre qu’amical donc. Parce que j’aurais trouvé ça super glauque au début, on va pas se mentir et puis, avec le temps, elle a pris une place un peu particulière. Et je m’en serais voulu de tout gâcher juste une pour une nuit sans lendemain. Vu que pour moi, autre chose est totalement exclu depuis longtemps.

Je me relève quand elle arrive à ma hauteur et je l’embrasse sur la joue avant de la serrer brièvement contre moi. « Lara, je suis content de te voir. » Et je me rassois, laissant filer un silence avant de reprendre, sur un ton amusé. « Ça fait dix minutes que je cherche une bonne excuse pour avoir annulé nos deux derniers déjeuners. Mais en fait c’est… plus compliqué que je l’aurais cru. Alors tu m’en voudras si je me contente de dire que je suis désolé et que ça se reproduira plus ? » Il faut dire que ça me manquerait, en réalité, ces petits moments totalement hors du temps. On vit notre vie chacun de notre côté mais, jusqu’à ces derniers mois, jamais je ne ratais ce moment. Je réprime un soupir, mon regard ancré dans le sien, comme si j’attendais sa sentence, même si je tente, reprenant le ton que j’ai habituellement avec elle. « Comment tu vas toi ? » Ouais, je sais, c’est un peu banal mais, au fond, faut bien commencer quelque part non ? Sauf si elle est juste venue là pour m’envoyer bouler, ce que je n’espère pas.

4 Avril 2050

Lara avait connu Nolan par le biais de sa femme, enfin ex-femme. Cette dernière était une cliente de la boutique avec qui la brune avait fini par sympathiser. Debra était une femme douce et gentille. L'Atlante n'aurait jamais pensé pouvoir rencontrer une personne qui lui ressemblerait autant. Malheureusement, elle ne put profiter de sa présence que durant un laps de temps assez court. Elle s'était à priori retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. Son départ avait été tragique, soudain. Elle était mariée depuis peu de temps et son époux, Nolan, avait semblé être très affecté à son enterrement. Cela était sûrement normal dans un mariage amoureux, une véritable union. La brune avait été touché par la détresse de ce dernier. C’était la curiosité du journaliste qui l’avait amené à venir lui demander pourquoi elle était là, comment elle connaissait sa femme et tout un tas d’autres questions. Heureusement les réponses avaient été simples, sans danger pour son secret, aussi avait-elle pu répondre le plus naturellement du monde, lui expliquant alors que sa défunte femme avait été sa cliente, travaillant dans un magasin de lingerie au centre commercial Smith. A force de se voir et de parler, elles avaient sympathisé et avaient commencé à se voir en dehors. C’est pourquoi, la jeune femme avait eu envie de venir lui rendre hommage à cet enterrement humain.

De fil en aiguille, le jeune homme et elle étaient devenus proches. Lara avait été celle qui l’avait soutenu durant cette période sombre. Et puis finalement, ils avaient instauré cette sortie restaurant, une fois par mois, pour papoter, faire le point, parler chacun de leur vie, vider leur sac au besoin. Elle s’entendait vraiment bien avec le journaliste et avait donc était rapidement déçue lorsqu’elle avait reçu les messages de décommande de son ami. Elle espérait sincèrement qu’il n’y avait rien de grave mais finalement, ce qui semblait être une simple routine, un rendez-vous sans réel importance, se transforma en un léger vide. Alors quand elle avait reçu un message lui précisant le restaurant où ils devraient se retrouver, plutôt qu’une annulation de plus, l’Atlante fut ravie de la nouvelle. Pour une fois, cela tombait un jour où elle ne travaillait pas et cela lui convenait parfaitement. Levée très tôt, comme toujours, encore plus depuis qu’elle craignait le retour de deux Atlantes pas franchement commodes, elle suivit sa routine habituelle jusqu’à ce qu’elle sorte de la douche. Ne travaillant pas, la brune opta pour un petit déjeuner maison. Elle se mit donc aux fourneaux pour préparer des toasts, une tranche de bacon grillé et un oeuf sur le plat. Depuis qu’elle vivait à Europolis, elle avait testé toutes sortes de petite déjeuner. Mais rien ne lui faisait plus plaisir que de manger salé, comme un petit rappel d’où elle venait.

Une fois qu’elle eut terminée, elle s’habilla, enfilant des bas, une robe cintrée et des talons qu’elle ne pouvait mettre au travail à cause de leur manque de confort. La brune s’installa sur son ordinateur et reprit ses recherches. Depuis la discussion qu’elle avait eu avec Alcide, elle ne cessait de faire des recherches sur des potentiels indices pour les reliques ou encore les pierres d’âme. Evidemment, elle était clairement bredouille pour le moment. Mais après tout, qui ne tentait rien n’avait rien. Il en était de même avec ses capacités au combat. Elle allait reprendre les entraînements avec l’Atlante et si le soir où ils s’étaient mis d’accord là-dessus, la motivation commençait tout juste, elle était à présent déterminée à progresser et à aller réellement de l’avant. Malheureusement, ces nouvelles recherches furent vaines également. De toute manière, il allait être temps qu’elle se mette en route pour son rendez-vous. Lara prit le tram et se retrouva bien vite à l’adresse que Nolan lui avait donné. Lorsqu’elle passa la porte, elle ne mit que quelques secondes à survoler la salle et trouver la table où le jeune homme l’attendait déjà. Quand la brune fut à sa hauteur, il se leva pour lui faire la bise, la saluant et lui précisant qu’il était content de la voir.

Plaisir partagé depuis le temps.

Posant sa veste sur le dossier de la chaise qui lui était destinée, la jeune femme prit place en face de son ami avant que le silence soit rompu par un Nolan amusé par sa propre bêtise. Il n’avait pas d’excuse à trouver déjà parce qu’elle ne lui en voulait pas mais en plus, parce qu’elle ne doutait pas qu’il avait une bonne raison. La brune était cependant curieuse de savoir ce que pouvait être cette bonne raison. Aussi elle ne se gêna pas pour lui poser la question.

Non pas du tout et je t’en veux pas. Mais j’avoue que je suis curieuse de savoir ce qu’il t’est arrivé. Pour ma part, les deux derniers mois n’ont rien eu d’extraordinaire par rapport à d’habitude excepté avant-hier soir mais je suppose que tu es au courant. Donc dans l’ensemble tout va pour le mieux. Et toi alors ? Tu dois avoir un tas de choses à me raconter.

Lara faisait référence à l’attentat qu’il y avait eu au centre commercial, peu de temps avant l’heure de fermeture officielle des magasins. C’était d’ailleurs pour cela qu’elle ne travaillait pas, entre autres, aujourd’hui. Sa supérieure lui avait imposé quelques jours de repos pour qu’elle se remette des événements. Le serveur vint les voir et la brune prit comme d’habitude un kir pétillant, laissant Nolan décider de ce qu’il voulait. Puis elle ouvrit la carte pour commencer à zieuter le menu du restaurant, portant une oreille attentive à son interlocuteur. Il était clair que si elle pourrait lui parler de Alcide et du fait qu’elle avait retrouvé un ami d’enfance, elle ne pouvait clairement pas lui livrer beaucoup de choses qui avaient réellement évolués dans les derniers mois sans lui révéler son secret.

Dernière édition par Lara Jensen le Mar 23 Avr - 6:36, édité 1 fois

Marrant, je réalise, alors que je vois Lara s’approcher, qu’elle est, depuis des années, en marge de ma vie tout en la connaissant plus que bien des gens. Elle m’a rencontré alors que j’étais totalement effondré par la mort de Debra, tant par sa perte que par les circonstances. Elle m’a vu seul, aigri, en colère et j’en passe. Et maintenant ? Je me demande parfois ce qu’elle voit de moi, si j’ai vraiment changé. Je me sens moins seul depuis le retour de Lena mais cette colère, est-ce qu’elle est toujours là ? Est-ce que je serais encore prêt à tout pour faire tomber ceux que je juge responsable de la mort de ma femme ? Et après ? Qu’est ce qui se passera ?

Je réprime un soupir, essayant de me focaliser sur la jeune femme vu que, même si je me sens coupable, je suis vraiment heureux de la voir. Je lui rends un sourire alors que je m’installe face à elle, l’observant avec attention, comme pour m’assurer qu’elle va bien. Et j’ai un soupir de soulagement quand elle dit ne pas m’en vouloir. « Les derniers mois ont été… compliqués. Et inattendus. » Mais je fronce légèrement les sourcils quand elle reprend, le journaliste prenant un instant le pas sur le reste. « Je n’ai vu pour le moment que ce que la télé en a dit et ce que mes collègues laissent échapper entre deux courses au scoop. On doit bosser dessus mais je suis comme tous ceux qui n’y étaient pas, donc pas vraiment au courant. Déjà, tu n’as rien, c’est le plus important. Tu veux en parler un peu ? »

Quand le serveur arrive, je comme un scotch pour ma part, jetant un regard distrait au menu alors que je fourmille déjà de questions à son attention. Enfin, elle a vraiment l’air d’aller bien, donc inutile de m’imaginer un paquet de trucs. Je sais que ça a créé un sacré remue-ménage au journal et que tout le monde est sur les nerfs vu qu’on ne sait pas si les informations qu’on nous file sont vraies ou non pour changer. Difficile de savoir ce qui est filtré pour apaiser les tensions et ce qui est arrivé.

J’ai un temps alors qu’on pose nos verres sur la table et que je passe commande, attendant qu’elle fasse de même. Et, quand le serveur s’éloigne, je fixe mon verre un instant, songeur. « Tu te souviens de la gamine que j’avais récupérée en Pologne il y a quelques années ? Lena. Elle avait disparu et… elle est revenue. » J’ai un sourire un peu incertain, sans bien savoir ce qu’elle savait d’elle, surtout via Debra. J’ai jamais vraiment su si elle l’aimait ou pas. Elle l’avait acceptée, parce qu’elle faisait partie de ma famille mais, à part ça, difficile de savoir ce qu’il en était vraiment. Encore moins maintenant que je sais que pour Lena la situation avait été intenable au point qu’elle doive partir.

Et puis, alors que je la regarde avec intensité, je me demande si je dois lui dire. Pour mes recherches, pour les risques que je prends. Que quelqu’un sache, juste au cas où. Après tout, je lui fais confiance plus qu’à bien d’autres personnes, même si je n’ai jamais vraiment su pourquoi. Parce qu’elle était là, au bon moment. Et je me demande si c’est la même chose pour elle au final. Mais ça, c’est compliqué de le savoir vu qu’elle est encore plus secrète que je l’aurais cru au premier abord.

4 Avril 2050

Nolan avait fait un sacré chemin depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Animal indomptable et craintive, ce dernier était à présent loin d’être apprivoisé. Mais il permettait tout de même qu’on l’approche, qu’on apprenne à le connaître un peu. Les débuts de leur rencontre n’avaient pas été de tout repos. Si leur présentation s’était faite à la sortie de l’église, avant que la famille proche soit conviée pour aller au cimetière rendre un dernier hommage à son amie, le brun était repassé quelques temps après dans la galerie marchande du centre commercial Smith, aperçu par Lara qui avait demandé une pause à sa chef le temps d’échanger rapidement avec lui. Il avait été d’accord pour attendre qu’elle ait terminé le travail et étaient sortis boire un verre tous les deux. Etait-il là pour l’apercevoir ou pour tout autre chose ? La jeune femme n’en avait pas la moindre idée. Ce qui était certain c’est qu’en discutant autour d’un verre, elle avait ressenti sa peine, sa douleur et surtout sa colère. Si elle n’avait jamais perdu quelqu’un de proche à qui elle tenait de la même manière que le journaliste, elle savait tout de même ce qu’était l’injustice. Peut-être était-ce la sensation qu’elle était compatissante à juste titre, peut-être était-ce parce que la brune ne s’était pas montrée intrusive. Dans tous les cas, petit à petit, le jeune homme s’était confié et c’était ainsi que ce rituel mensuel avait fini par voir le jour tandis qu’elle avait vu l’époux de son amie se relever petit à petit. Pour autant, est-ce qu’il avait finalement tout laissé derrière lui pour avancer ? Elle n’y croyait pas trop. La majorité des hommes, à l’instar des Atlantes, était de nature vengeresse.

Compliqués et inattendus ?

Evidemment, en disant cela, il avait éveillé la curiosité de Kahlan. Malgré le fait que le brun fronçait les yeux, suspicieux et peut-être un peu inquiet pour elle malgré sa présence aujourd’hui. Il faut dire que les événements du 2 Avril avaient marqué la ville tout entière. Entre la manifestation de l’eurodéputé qui avait mal tourné et l’attentat du centre commercial, il faut dire qu’un épisode de plus le même soir aurait pu pousser la ville à finir à feu et à sang. Heureusement, la jeune femme savait se battre et surtout, c’était une Atlante. Vu les entailles à l’arme blanche que son adversaire lui avait fait, sans sa condition d’être divin, elle ne s’en serait probablement pas sortie, Alcide avait raison sur ce point. En rentrant chez elle le lendemain, elle s’était rendue compte que son absence de réponse dû à une absence tout court, non programmée, avait alerté sa meilleure amie. Après l’avoir rassuré, elle avait appris que les policiers en présence ne s’étaient pas souciés d’elle plus que nécessaire, oubliant les blessures qu’elle avait eu. Celle qui semblait être la cible de cette tentative d’assassinat avait donc gardé sa langue dans sa poche, ça l’arrangeait bien. Nolan avoua ne pas savoir grand chose et ça la conforta dans ce sens. Il lui proposa d’en parler juste avant que le serveur ne vienne prendre leur commande. Alors que son interlocuteur commanda son scotch obligatoire, seule boisson qu’il buvait ou presque en dehors d’un repas, la brune commanda un verre de whisky. Le serveur tourna les talons et ils purent reprendre leur conversation alors que le journaliste était plongé dans le menu.

Il n’y a pas grand chose à en dire. Certains n’ont pas eu de chance, personnellement j’en ai eu. Tout s’est passé très vite alors bon.

Traumatisée, Lara ne l’était clairement pas. Elle était blessée intérieurement, remontée par sa propre inutilité. Si au lieu d’un vulgaire attentat d’humains, elle s’était retrouvée face à son mari, elle n’aurait pas fait long feu. Le jeune homme alla reprendre la parole lorsque le serveur revint avec leur boisson. Elle n’avait encore aucune idée de ce qu’elle allait manger. Heureusement, son ami ouvrit le bal lui donnant quelques secondes de répit avant de balancer le premier nom de plat qui semblerait pouvoir lui convenir. Puis le journaliste se perdit dans son verre. Il semblait tout de même chamboulé par rapport à d’habitude et elle allait bientôt en connaître la raison. Effectivement, Nolan lui avait parlé d’une jeune fille qu’il avait récupéré, à qui il avait offert un toit, pas longtemps avant qu’il ne rencontre sa femme. La gamine s’était enfuie de chez lui quelques temps après que Debra avait emménagé et la jeune femme s’était sentie responsable. Elle en avait parlé plusieurs fois à l’Atlante du fait qu’elle n’avait pas su créer un lien avec cette Lena, qu’elle se sentait responsable de son départ. Si son mari n’y avait à priori vu que du feu, ce qui avait poussé son amie à se taire de peur de se tromper, cette dernière avait toujours senti une certaine tension. Elle avait eu l’impression d’être de trop ou de la faire sentir de trop au sein de ce jeune couple.

Elle est revenue ? Depuis quand ? Qu’est-elle devenue ?

Le regard de son interlocuteur était intense. Il ne semblait pas tout lui dire. Etait-ce un mensonge mal dissimulé ou une hésitation à s’ouvrir à elle qu’elle ressentait chez le journaliste ? Aucune idée mais si Lara avait envie de savoir, potentiellement pour l’aider, elle ne pouvait le forcer ainsi. Le brun était trop malin pour ne pas la voir venir de toute manière.

Alors c’est parce que Lena est revenue dans ta vie que tu n’as pas été disponible ces derniers mois ? Ou tu vas m’annoncer encore d’autres choses ?

Le sourire aux lèvres, elle leva son verre pour trinquer avec son interlocuteur avant de boire une bonne gorgée. Un peu provocante mais aussi amusée, elle ouvrait la porte en lui faisant comprendre qu’elle avait capté le truc qui le gênait sans qu’elle ne sache réellement de quoi il retournait.

Lara était là quand j’ai eu l’impression de me noyer pour de bon, quand j’ai failli être totalement bouffé par la colère que j’ai éprouvée à la mort de Debra. Oh, je ne dis pas que la colère n’est pas toujours là. Je suis toujours persuadé que jamais je ne pourrais pardonner aux coupables ce qu’ils ont fait et que les gens dotés de pouvoirs devraient apprendre à les brider, à les contrôler au lieu de les faire exploser dans tous les sens en pensant sauver un monde qu’ils ne font que détruire davantage. Mais les mois, les années ont fini par passer. Et j’ai appris à vivre avec, à faire avec. A chercher des solutions, des réponses, qui ne me plaisent pas forcément. J’enfouis tout ce qui pourrait vraiment me faire du mal, en espérant que ça finira par s’atténuer pour de bon un jour.

Même si le retour de Lena réveille des aspects de moi que je pensais disparus. J’ai un léger froncement de sourcils à cette pensée, avant de me focaliser sur Lara et de tousser un rire. « Tu vois, le talent du journaliste. En deux mots, j’arrive à éveiller ta curiosité. J’espère au moins que t’es épatée. » J’avoue que j’aurais du mal à savoir par où commencer en réalité. Entre les recherches qu’on fait avec Chloé, le retour de Lena, les souvenirs qui se bousculent de tous les côtés, je me sens un peu pris de vertige.

Quand elle reprend et parle des évènements au centre commercial, je fronce légèrement les sourcils, un peu décontenancé. « Quoi, c’est tout ? On se fait harceler par des gens qui ont envie de raconter en long, en large et en travers ce qui s’est passé et pour toi, y a pas grand-chose à en dire… » J’ai un rire alors que je secoue la tête. « Tu serais typiquement le genre de personne à m’obliger à mettre la clé sous la porte en plus de me frustrer totalement, tu le sais ça ? » Mais je suis heureux de voir qu’elle a pas vraiment l’air marquée par ce qui s’est passé. J’aime autant. Je finis par laisser le silence s’installer quelques secondes alors que j’ai lâché une des infos qui me tourmentent, le retour de Lena. Enfin, tourmenter n’est pas le terme exact. On va dire qui occupe beaucoup mon esprit actuellement. Un peu trop peut-être d’ailleurs et j’ai du mal à savoir comment me comporter. « Elle est revenue le 1er janvier. Joli cadeau d’anniversaire hein… et elle est devenue… » Je fronce les sourcils, jouant avec mon verre avant d’inspirer. « … différente. Elle a vécu des années seule, dans la rue. A pas oser revenir malgré sa situation. A se sentir de trop dans mon couple, dans ma vie. Je sais pas où j’ai pu merder pour qu’elle pense ça… et j’en suis venu à me demander ce que Debra pouvait vraiment penser de la situation. » J’ai un bref soupir, levant les yeux vers la jeune femme alors que, une fois n’est pas coutume, je parle de mon ex-femme. Sujet que j’évite tout de même la plupart du temps, on va pas se mentir.

Je finis par trinquer avec elle, sourcils un peu froncés, même si je retrouve mon sourire à l’écouter parler. « Pourquoi tu demandes ça ? Enfin… pourquoi tu le demandes comme ça plutôt. » Je suis pas sûr de vouloir entendre la réponse en vrai, comme si certaines évidences devaient rester bien enfouies pour le moment, tant que je serais pas prêt.

4 Avril 2050

Lara ne put s’empêcher de se demander ce qui était survenu dans la vie de son ami pour qu’il qualifie ses derniers mois comme compliqués et inattendus. Il faut dire qu’il y avait tellement de possibilités qui pouvaient s’être réalisées afin de bouleverser la vie du jeune homme. Ce dernier avait déjà largement subi dans sa vie, pas de la même manière qu’elle, mais dans le fond, l’Atlante préférée presque sa position à celle de son ami. Si elle ne pouvait qu’imaginer ce que cela serait de perdre un proche, cela faisait déjà bien assez mal sans que cela devienne réel même si à l’heure actuelle, ses proches se comptaient sur les doigts d’une main. Intriguée, la brune ne put s’empêcher de sourire à la remarque de son interlocuteur. Effectivement, il avait bel et bien éveillé sa curiosité et elle ne comptait pas s’en cacher. Seulement, si son intérêt était si visible, Nolan avait plutôt intérêt à satisfaire sa curiosité, s’amusant de l’avoir ainsi titillé. C’est amusée que la vendeuse lui répondit :

Epatée, je n’irais peut-être pas jusque là. Intriguée par contre oui, tu sais à quel point je suis curieuse. Et puis, je me méfie maintenant. Je reste persuadée que tu aimes te mettre dans des situations pas possibles alors j’essaye de garder un oeil sur tout ça.

Evidemment, en venant à sa rencontre, la jeune femme savait qu’elle allait devoir parler des événements qui s’étaient passés deux jours auparavant. Le journaliste avait forcément été mis au courant de ce qu’il s’était passé et il savait parfaitement qu’elle travaillait dans le centre commercial. A part si elle avait été du matin ou en repos, sinon Lara était forcément sur les lieux au moment où cela s’était produit étant donné que la fusillade avait commencé avant la fermeture des boutiques de la galerie commerciale. La vendeuse n’avait pas eu les détails des rapports de police. Elle ne pouvait pas demander cela par écrit à Kethryn, il lui fallait la voir pour ça mais cela n’était pas évident au vue de l’emploi du temps plein à craquer de la lieutenante. La brune ne se faisait pas d’illusion, elle avait répondu au téléphone de ce lieutenant, Hert non .. Hart. La centrale de police l’avait entendu parler à plusieurs reprises. Même s’ils ne se douteraient pas des blessures qu’elle avait subi, ayant filé dès que la lumière était revenue, les flics voudraient certainement savoir pourquoi elle avait pris la poudre d’escampette. La remarque de Nolan la fit sourire. Elle n’était pas de ceux qui aimaient se mettre sur le devant de la scène, même s’il n’y avait aucun risque pour sa véritable identité. La suite de sa réplique la fit même rigoler. Evidemment que ces événements l’avaient marqué. Mais elle ne pouvait pas en parler car en parler signifierait qu’elle a survécu à des blessures qui auraient très certainement achevées un simple humain. Et puis, une telle réaction face à une telle violence amènerait d’autres questions en lien avec son passé dont elle ne voulait pas parler. Plus jeune, Kahlan avait fait l’erreur de se laisser enfermer dans un quotidien de violence par son père puis son mari. Elle ne voulait plus être cette femme là, elle ne voulait plus revenir en arrière. Alcide allait l’aider à s’en dépêtrer, il avait accepté de l’entraîner au combat. Elle était cependant loin d’imaginer ce qu’il lui réservait.

C’est alors que son ami lui raconta le retour de Lena dans sa vie. Pour le coup, si cela avait effectivement très probablement perturbé sa vie, cela devait lui faire du bien également lui qui n’avait cessé de s’inquiéter pour elle. Le brun lui avait raconté le déchirement que ça avait été de voir la jeune fille disparaître de sa vie du jour au lendemain, sans aucune explication. Il l’avait cherché sans relâche. A vrai dire, Lara soupçonnait qu’il ne se soit jamais arrêté, se rattachant probablement à ces potentielles retrouvailles chaleureuses pour se consoler de la mort horrible de son épouse. Sa façon de dire que la Lena qu’il avait retrouvé était différente n’inspirait pas la confiance. Cela sentait même les problèmes. La jeune fille était devenue différente comment ? Nolan précisa un peu sa pensée, s’inquiétant des agissements qu’il avait pu avoir pour faire fuir la gamine, allant jusqu’à s’interroger au sujet des pensées de Debra. Soupirant rapidement, la jeune femme porta son lèvre à ses lèvres, savourant le vin pétillant avec sa touche de sucré liée à la crème de cassis après avoir trinqué avec son ami. Si la vendeuse avait trouvé le moyen de le faire sourire dans leur échange, elle sentait toujours cette pression, cette sensation de poids sur les épaules du garçon. Ce dernier l’interrogea sur le pourquoi de sa question, précisant par la suite pourquoi elle avait posé sa question ainsi. Lui souriant un peu amusée, il devait bien s’attendre à la réponse qu’elle allait lui donner.

Je pense pouvoir dire que je te connais depuis le temps Nolan. Au moins un peu en tout cas. Ta nature tout comme ton métier te pousse parfois à te mettre dans des situations pas possibles. J’avais donc plutôt imaginé le pire et non le meilleur lorsque tu m’a simplement annoncé que ta vie avait été bouleversé.

Observant les bulles dans son verre remonter tranquillement à la surface, son regard se dirigea alors sur la carte, regardant ce que ce restaurant pouvait leur proposer de bon tout en réfléchissant à la manière de répondre à la question détournée de son interlocuteur. Debra lui en voudrait-elle de révéler ses craintes à son mari à présent qu’elle n’était plus ? Elle n’en savait trop rien mais elle ne voyait pas pourquoi cela lui porterait préjudice étant donné qu’elle était morte. Si ce petit bout d’indice pouvait aider le journaliste a allé mieux et à prendre soin de la jeune fille qui était revenue dans sa vie, la brune trouvait le deal honorable. Reportant son attention sur son ami après avoir reposé son verre, Lara lui dit :

Si elle est différente, cela s’explique simplement par le fait qu’elle a grandi Nolan. Cela fait quoi, quatre ans ? Cinq ans ? Les gens changent avec le temps c’est normal. Ce qu’elle a vécu a forcément impacté qui elle est aujourd’hui aussi. Quand à Debra, je connaissais l’existence de Lena avant que tu m’en parles à vrai dire.

La belle ne rata pas une miette de la réaction de Nolan. En même temps, elle aurait été plus qu’étonnée si elle n’avait pas attisé la curiosité du jeune homme en lui faisant comprendre que sa défunte femme lui avait parlé de Lena. Ne voulant pas faire patienter plus longtemps son interlocuteur qui semblait pendu à ses lèvres, elle allait reprendre là où elle s’était arrêtée lorsque le serveur vint les interrompre pour prendre leur commande. Lara se contenta de commander un hamburger avec du poulet frit et attendit que le journaliste ait commandé aussi avant de reprendre, laissant le serveur s’éloigner.

Debra était assez mal à l’aise vis à vis de Lena. Elle avait l’impression de ressentir une tension à son égard sans en comprendre réellement la cause, un peu comme si sa présence à vos côtés gênait la plus jeune. Et comme Lena est partie peu de temps après son arrivée, je t’avoue qu’elle s’est sentie responsable sans savoir pourquoi. Peut-être en apprendras-tu plus aujourd’hui maintenant qu’elle est de retour. Comment a-t-elle réagi à l’absence de Debra ?

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