... et l'on a rarement besoin de plus.
ILE DE THERMODONLà où tout a commencé. L'île sur laquelle je suis née au côté de mes sœurs amazones. Ma mère m'a choisi le prénom Lara, en souvenir de ma grand-mère au près de qui elle a grandi et appris tout ce qui faisait d'elle une bonne amazone. Le prénom Lara lui a donc été naturel au moment de nommer sa troisième et plus jeune enfant. Inutile de vous expliquer la pression que cela ne tarderait pas à représenter d'être la troisième. Ma sœur la plus âgée avait fait preuve d'un véritable don pour l'herbologie dès son enfance, elle est devenue une soigneuse talentueuse avec le temps. Mois portée dans le monde des armes, elle savait pourtant toujours quel plante allégerait quelle douleur, quel mal pouvait se soigner avec quelle racine. Ma seconde sœur quand a elle à fait preuve d'un talent prodigieux aux armes à distance dès ses premiers entrainements. Capable d'abattre une puce sur le dos d'un éléphant avec un arc à un kilomètre, ses muscles puissants lui ont rapidement permis de manier la lance avec une violence incomparable. On disait parfois à la rigolade qu'elle lançait assez fort pour transpercer la plus dure des armures valkyrie et la valkyrie qui la porte. Autant dire qu'avec une sœur devenue une grande soigneuse et une autre qui était une archère et lancière surdouée, il allait falloir que je me démarque et que je sois à la hauteur du succès de mes sœurs.
Plutôt petite par ma taille pour une amazone, toujours la plus petite de ma génération en tout cas, le combat pur et brutal ne semblait pas indiqué. Si la première année d'apprentissage théorique donnait à toutes les amazones de mon âge l'envie furieuse de devenir de grande combattante à l'épée, je ne fis pas exception à ce désir. Une épée, un bouclier, une armure légère, la frénésie et la beauté du combat en un contre un. J'en ai rêvé … mais après trois années d'entrainement, quand j'avais neuf ans, il me fallait bien me rendre à l'évidence, je n'étais pas taillée pour ce genre de combat. Qu'importe les entrainements, le développement physique, la force pure et dure, ce n'était pas pour moi. Il me fallait trouver autre chose, un autre style, moins agressif, moins violent, requérant moins de force brute. J'ai donc troquée l'épée et le bouclier pour deux lames, bien plus courtes, à mi-chemin entre la dague et l'épée. J'ai commencé à baser mon combat sur ma petite taille et sur ma vivacité. Bien plus à l'aise avec ce style de combat, j'ai commencé à prendre mes repères et finalement à prouver ma valeur. Je n'étais pas la combattante que ma mère espérait, maniant avec succès épée et bouclier mais ma vitesse faisait de moi un adversaire peu commun. Abusant d'esquives et de petites frappes précises plutôt que de force, j'épuisais mes adverses par une endurance que j'entrainais avec hardeur. Je n'essayais plus de surclasser un adversaire en force, mes combats n'étaient jamais brefs et rapides sauf si je parvenais à trouver une frappe chirurgicale que mes sœurs me laissaient rarement accomplir.
Les années passaient et j''ajoutais à mon arsenal les couteaux de lancer. J'ai bien entendu testé la lance mais je n'y ai jamais trouvé le bon équilibre pour parvenir à un lancer puissant et précis, cela malgré les conseils avisés de ma sœur. Quand aux hachettes de lancer, je les trouve encombrantes au moment de devoir me battre, si je ne basais pas mon combat sur la vivacité les choses seraient peut-être différentes. Ne vous y trompez pas, je sais lancer les hachettes avec efficacité, je ne les aime pas voilà tout. Ceux sont logiquement les couteaux de lancer, plus petits, plus discrets, moins encombrants et ô combien plus précis qui ont eu ma préférence. Depuis le jour où j'ai découvert ces petites armes de jet, j'ai eu un véritable coup de cœur. Je n'ai eu de cesse m'exercer encore et encore avec ces armes, avec mes dagues, bien décidée à devenir la guerrière au corps à corps dont rêvait ma mère. Je pense avoir réussi à le faire, enfin je l'espère, aujourd'hui c'est un peu difficile de le lui demander malheureusement. J'étais fière de ma réussite mais quand j'y repense vraiment … aujourd'hui je n'aimerai pas l'amazone que j'étais alors. Fière et arrogante, persuadée d'être la plus grande combattante et de pouvoir toujours se vanter de l'être. J'étais persuadée que nous étions invincibles. Individuellement nous étions des déesses de la guerre, des prodiges du combat que personne ne pourrait jamais terrasser. Ensemble nous étions l'armée la plus puissante qui n'ait jamais existé, nous étions un bouclier infranchissable, une lance meurtrière qui pouvait pénétrer toutes les armures. A cette époque j'avais une grande gueule, je me vantais de mes victoires, comme beaucoup d'amazones d'ailleurs, j'étais fière à l'excès de chacune de mes réussites. Et pourtant je sais aujourd'hui que je n'étais pas à la hauteur. Je ne dis pas cela à cause du Déluge de Deucalion mais bien parce que j'avais 15 ans et que j'étais persuadée d'être une bonne combattante … J'étais si loin de la vérité.
Désireuse d'être utile à mes sœurs amazones même lorsque le combat ne fait pas rage, j'ai choisi la fauconnerie dès mes 12 ans comme spécialisation de chasse. Pour cela j'ai dû apprendre d'abord à appeler mon oiseau, une fauconne du nom de Rain. Nous avons commencé l'apprentissage dès qu'elle n'eut plus besoin de sa mère et aux côtés d'une fauconnière aguerrie. C'est également cette fauconnière qui m'a appris le tir à l'arc indispensable pour la chasse ainsi que toutes les techniques d'entrainement pour Rain. Cela a pris du temps pour que je parvienne à bien travailler avec Rain, mais après deux années d'échecs plus ou moins ridicules, nous avions trouvé note symbiose. J'avais fini par comprendre comment elle agissait, elle avait compris comment je chassais et ensemble nous sommes devenues un duo efficace. J'ignorais à ce moment-là que cela allait me sauver la vie.
ILE DE TORMANONC'est à 15 ans que je fus envoyée en poste pour la toute première fois. Le but était de m'envoyer sur le terrain pour m'endurcir tout en continuant à évoluer et devenir une vaillante combattante. Je remplaçais l'amazone qui était en charge de la chasse pour les quatre amazones qui habitaient l'île, un rôle que je prie très à cœur pour montrer que je méritais ma place. L'île de Tormanon est une île bordant Thermodon, plutôt petite comme le prouve son petit effectif de cinq amazones parmi lesquelles deux amazones confirmées, deux jeunes et la doyenne. Les deux amazones confirmées devant accompagner les deux jeunes dans leur première affectation tout en leurs laissant assez de libertés pour commettre des erreurs et les reprendre. Quand à la doyenne, âgée de 175 ans, elle est née sur cette île et souhaitait y écouler ses dernières années. Ses jours de combat étaient visiblement derrière elle, ses blessures le prouvaient mais elles prouvaient aussi ses accomplissements qu'elle comptait le soir et dont je buvais chaque mot comme une sainte écriture. La doyenne semblait tout savoir sur Tormanon, sur sa faune et sa flore, elle aimait raconter des combats qui y avaient eu lieu et comment les Sarmatas, responsables de l'île, avaient vaincu. Pour moi, Tormanon demeurerait toujours l'île où j'ai pu parfaire mon entrainement mais surtout découvrir la vie en dehors du camp d'entrainement. Ici il n'y avait plus d'épée en bois et d'armes émoussées, ici tout devenait extrêmement dangereux. La possibilité d'une arrivée d'étrangers et de devoir défendre mon île natale me motivait encore d'avantage, en plus d'avoir un côté affreusement excitant. J'avais à la fois envie de voir des étrangers arriver et de pouvoir les affronter, me mesurer à eux, prouver ma valeur au combat et en même temps j'en étais terrifiée. Cette peur qu'ils soient plus fort que moi, de ne pouvoir accomplir mon devoir étaient deux motivations pour devenir plus puissante et plus forte encore. Le devoir de chasse, de permettre à mes sœurs d'avoir à manger, me tenait très à cœur. Nous n'avons jamais eu faim, ni jamais eu à jeter quoi que ce soit de mes chasses et je vivais cela comme une grande réussite !
Deux années de ma vie passèrent sur cette île et je vis les amazones confirmées être remplacées par d'autres amazones. Chacune m'apportait un savoir différent, me proposait des entrainements différents et puis quelques semaines avant le Déluge de Deucalion, la jeune amazone arrivée en même temps que moi quitta l'île avec les deux amazones expérimentées. Quand la relève arriva, il n'y avait qu'une amazone confirmée et deux jeunes avec elle, l'une avait 15 ans et l'autre en avait 12. Si je n'étais pas encore une amazone confirmée, on me confiait Aminara, une jeune amazone de 12 ans désireuse d'apprendre la fauconnerie et si je faisais d'abord remarquer que je ne me sentais pas prête à avoir une pupille, que je n'avais pas encore fait mes preuves, cela ne fit qu'amuser l'amazone en poste avec moi. Je devais voir cela comme une chance d'apprendre, de voir des erreurs que je pourrai encore commettre et d'aider une jeune amazone. Après tous des fauconnières il n'y en avait pas deux cents. Je compris alors que c'était un honneur et je pris ce rôle à cœur, bien décidée à donner mon maximum pour permettre à Aminara de devenir fauconnière.
Les entrainements avec Aminara ne durèrent pas longtemps. A peine plus de trois semaines. Ensuite arriva le jour du Déluge de Deucalion, le jour où tant des nôtres sont mortes, le jour où j'ai survécu. Parce que j'étais sur cette île, j'ai eu la chance de survivre. Une chance insolente qu'il m'arrive encore de détester à ce jour. Mes deux sœurs et ma mère se trouvaient sur l'île de Thermodon au moment du Déluge de Deucalion. C'est d'abord la plus expérimentée qui s'en alla avec sa protégée. Elle me donna l'ordre de veiller sur la doyenne et sur Aminara. C'était la première mission qu'on me confiait, le premier ordre que je recevais, je devais veiller sur deux personnes. Une jeune amazone de 12 ans et une amazone qui ne pouvait plus se battre du fait de son âge et ses blessures passées. Elle voulait que nous restions là, que nous attendions jusqu'à son retour. Et nous avons attendu … deux heures. Ensuite nous nous sommes rendues toutes trois sur l'île principale de Thermodon. Incapables d'attendre plus longtemps, mais surtout pour prévenir notre sœur du danger, des bateaux qui arrivaient au loin.
Désolation.Voilà ce que nous avons trouvé quand nous nous sommes finalement rendues sur l'île de Thermodon soudainement visible par tous les humains. Avant que n'arrivent les premiers hommes nous étions toutes trois sur l'île pour ne trouver qu'un paysage désolé. Tout ce que nous aimions, toutes celles que nous aimions nous avaient été prises. De mes vaillantes sœurs et mon puissant peuple, il ne restait que des vestiges désolés. Je n'ai jamais retrouvé les corps de ma mère et mes sœurs mais au fond de moi je l'ai su en revenant vers cet maison où j'avais grandis. Le spectacle de sa destruction était pour moi un signe, celui de la mort de mes sœurs, de la disparition de ma mère. Mon cœur était déchiré. On nous apprend dès notre enfance que la mort fait partie de la vie, qu'elle surviendra un jour pour une amazone, une sœur qui nous est proche. Pourtant rien ne prépare à ce jour, pas surtout de cette façon horrible. Mais si la seule blessure ne suffisait pas, l'insulte et l'humiliation du vol Trident de Poséidon en rajoutait encore à mon désarroi. Notre tribu devait le protéger, le garder en lieu sûr et nous avions failli. J'avais failli. Comme si cela était de ma faute, que j'étais personnellement responsable de ce vol et de la disparition de mon peuple.
Que faire maintenant ? Où aller ? Restait ne semblait pas une bonne idée, il fallait fuir. Fuir l'endroit où nous avions vécu depuis notre naissance. La doyenne refusait de partir insistant que cette île était notre place, que cet endroit appartenait aux amazones et que nous n'avions pas le droit de l'abandonner. Je tentais, vainement, de lui expliquer qu'il ne restait plus rien de ce que nous avions connu, que les Hommes venaient et qu'il fallait partir. Elle ne voulut rien entendre à mes mots et mes explications, elle resterait et mourrait sur cette île. Quand à la novice, ce ne fut qu'après une longue discussion et en insistant beaucoup qu'elle accepta de me suivre, de quitter l'île et de rejoindre le monde des Hommes. Elle n'avait aucune envie de le faire, me rappelant souvent que nous étions amazones, que c'était ici que nous devions vivre et mourir. Même alors qu'il ne restait plus rien, elle ne voulait rien entendre, dans ses mots il y avait une candeur infantile, comme si tout allait s'arranger par magie, elle refusait d'accepter ce qui était arrivé. Elle était jeune et elle n'avait pas totalement tort quand elle me faisait remarquer que je n'avais aucune idée de l'endroit où nous allions nous rendre et de ce qu'il y avait par-delà Thermodon. Je ne l'ai jamais admis en face telle mais j'étais terrorisée à l'idée de quitter Thermodon.
Sans réfléchir, furieuse, vengeresse, profondément blessée, je n'ai rien pu faire pour empêcher la cadette de se jeter sur des hommes armés qui avaient posé le pied sur l'île au moyen d'un hélicoptère (notez que je n'en apprendrai le nom que plus tard). La rage qui animait son geste, je pouvais la comprendre, je la ressentais en moi, ce besoin de se défouler, d'apaiser des nerfs taillés à vif par la perte de ses proches et de tout ce en quoi nous croyions. Je cherchais encore un moyen de quitter l'île et voler un bateau semblait le plus sage. Nous connaissions l'île, nous avions l'avantage, le plan était de rester cachée en attendant la nuit et d'agir alors. Mais elle n'a pas eu cette patience, son sang amazone emprunt d'une jeunesse candide la poussa à s'en prendre aux hommes qui étaient sortis de l'hélicoptère. Son attaque furieuse emporta quatre des dix hommes avant qu'elle ne soit blessée et que je ne comprenne ce qui causait l'agitation soudaine des marins. Je terminais alors ce qu'elle avait commencé, prenant la vie de cinq des hommes. Je vis le dernier pointé son armé vers moi, une arme de feu et de fer, j'ai cru venu ma dernière heure mais l'amazone qui avait été sur Tormanon est intervenue, sauvant ma vie. Hélas pour la cadette il était trop tard, ses blessures étaient trop graves. Peut-être que si j'avais préféré la voie de la médecine à la fauconnerie, aurai-je pu faire quelque chose mais devant sa blessure je ne pouvais rien faire que d'attendre de la voir mourir. Je ne pus même pas lui offrir une dernière demeure décente, l'amazone me pressait, il fallait partir, très vite, avant que d'autres ne viennent, attirés par les coups de feu. Docilement je l'ai suivie, un peu à la façon d'un zombie, sans réflexion d'aucune sorte, le sang de la cadette sur mes mains et mes vêtements.
CANADALe nord du Canada. L'endroit où j'allais désormais m'installer. Pourquoi ce choix ? D'abord ce n'était pas un pays en guerre. Ensuite c'était un grand pays où il serait facile de disparaître. Enfin c'était un grand pays où disparaître sans avoir à le faire au milieu de la foule. Surtout, c'est là que l'amazone m'a déposée. Elle avait parcouru le monde des Hommes quelques années, afin de le découvrir, de l'étudier. C'est donc entièrement à elle que je me suis fiée pendant le long voyage qui nous emmena vers le Canada. Un voyage fait de plusieurs bateaux sur lesquels nous avons souvent travailler pendant ce voyage, parfois de façon bien plus clandestine. Elle me parlait de ce monde, de ses technologies et je tâchais d'enregistrer un maximum d'informations. Finalement nous arrivâmes à notre destination, le Canada où nous fîmes la dernière partie du trajet en voitures que nous avions "emprunté". Elle me donnait les dernières consignes, trouver un travail, me fondre dans la masse, obtenir des papiers … Je notais tout cela dans un coin de ma tête, inquiète de l'avenir mais maudissant plus encore le passé.
L'arrivée se fit dans petit chalet où je serai en sécurité. Elle était enceinte et souhaitait mettre son enfant en sécurité au près de son père. Le cœur lourd des événements survenus sur Thermodon, je la regardais repartir et me laisser, avec la promesse de revenir. Pourtant je ne l'ai jamais revue, elle n'est jamais revenue et je me demande encore ce qui a pu lui arriver. A ce moment-là de mon histoire, une partie de moi était soulagée de la voir partir. J'avais envie d'être seule. Plus qu'une envie, c'était un besoin, une nécessité, je voulais être seule, tranquille. Pouvoir faire mon deuil, accepter ce qui était arrivé, parvenir à le digérer et repartir de l'avant. C'est au nord du Canada, dans un petit chalet isolé au milieu de la forêt et visiblement abandonné que j'allais élire domicile. En fouillant un peu, je découvris que les propriétaires étaient américains et qu'ils n'étaient plus revenus depuis le début de la guerre civile américaine. Inutile de dire que l'endroit était en pauvre état, le toit avait souffert et son étanchéité laissait à désirer, de nombreuses planches auraient besoin d'être changées. Par chance les fenêtres étaient intactes si ce n'étaient pour les volets presque tous absents. Son attrait principal demeurait sa cheminée qui était le seul moyen de chauffage mais également pour obtenir de l'eau chaude. Aucune électricité dans le chalet ce qui me convenait parfaitement. Il me fallut un peu plus de quatre mois pour parvenir à remettre le chalet en état par mes propres moyens. D'après les photos que je trouvais de la famille et les papiers, ils avaient une fille, d'un âge très similaire au mien et du prénom d'Helena. C'est ainsi que j'allais décider de mon identité pour vivre parmi les Hommes. Helena Weatherby. Le chalet en bon état, une identité trouvée pour me mélanger aux humains et quatre mois de solitude à vivre de chasse et de pêche ne m'avait en aucun cas apporté la paix intérieure que j'espérais trouver ici. Je n'arrivais pas à me pardonner ce qui était arrivé sur Thermodon. Ni la mort de toutes les amazones, ni la disparition de ma tribu, pas plus que le vol du Trident ou mon échec à protéger Aminara. Tout cela vivait encore en moi mais désormais il s'y ajoutait un désagréable sentiment de solitude qui, immanquablement, me poussa vers la petite ville voisine.
Il n'y avait pas grand chose là-bas, une centaine de maisons, un supermarché, un hôtel-restaurant et un fast food. A ceux qui demandaient d'où je venais, je racontais le drame de la mort de mes parents il y a quelques semaines pendant la guerre civile et la destruction de ma maison. Je n'avais plus que le chalet où j'habitais désormais, l'histoire de l'orpheline de guerre fit son petit chemin sur les habitants qui m’acceptèrent à bras ouverts. Sans difficulté je trouvais du travail, enfin on m'offrit du travail, apprentie dans la cuisine du seul restaurant de la petite ville. Je n'avais pas besoin de plus pour me faire une nouvelle vie. Tous les gens dans la petite ville semblaient m'apprécier, mon histoire dramatique touchait tout le monde même un habitant saisonnier qui ne venait que pendant ses périodes de vacances dans sa résidence secondaire. C'était un avocat dont la femme avait particulièrement été touchée par le drame qui s'était abattu sur moi et qui parvint à le convaincre de m'aider à obtenir des papiers d'identité, les autres ayant été perdus quand j'avais fui mon pays en guerre à la mort de mes parents. Si j'avais pu effacer mon passée, je n'aurai sans doute jamais rejoint Europolis tant ma vie était agréable. Un travail dans lequel je finissais par m'épanouir, assez de temps libre pour continuer à m'entrainer aux armes, un endroit simple dans lequel j'aime vivre. Pourtant toutes les nuits le même rêve : marcher sur Thermodon pour n'y trouver que désolation et destruction et chaque nuit le même réveil en sursaut, trempée de sueur avec la même pensée : Tu les as abandonnées. Chaque jour je m'occupais pour ne pas y penser mais chaque jour je ne pouvais m'en empêcher, dès que j'avais un peu de temps pour moi, pendant mes entrainements où le soir au moment de me coucher.
EUROPOLISLe temps avait filé, comme il le fait si bien et les questions avaient fini par se multiplier dans ma tête. Si je faisais tout pour oublier mon passé, il ne me laissait pas en paix. Jamais. Pourtant j'avais des amis dans la petite ville qui était devenue mon lieu de résidence, j'étais devenue seconde dans le restaurant, le chalet n'avait jamais été plus chaleureux … Mais je me sentais comme vide, comme si quelque chose manquait en moi. Il me manquait un but, un vrai but. Devenir une bonne cuisinière c'était bien mais ma vie avait un véritable sens auparavant, celui de protéger un artefact important, j'étais une amazone, fière et vaillante. Cela me manquait. Mes sœurs amazones me manquaient. Un mal de pays intense qui me tordait le ventre à chaque fois que mes pensées s'y égaraient. Je devais retrouver mes sœurs, retrouver les amazones, je ne pouvais pas être la dernière amazone en vie. Je refusais de l'admettre ! Et j'allais commencer mes recherches pas l'endroit le plus logique en ces temps : Europolis. Cette grande ville, la cité du futur, la ville de l'avenir.
J'y suis arrivée à la mi-décembre et il ne m'a fallut que quelques jours pour trouver un travail dans un petit restaurant qui allait ouvrir. La propriétaire souhaitait y proposer une cuisine différente, voilà le défi qu'elle lançait aux quelques chefs qui se sont présentés. C'est que le restaurant ne propose pas plus de huit tables pour un maximum de 32 couverts, nombre qui monte à 48 avec les tables de la petite terrasse pendant l'été. Elle voulait une cuisine différente et je lui ai préparé ce que je préparais quand j'étais seule dans le chalet. Des produits simples, issus de la forêt, de la végétation, une cuisinière dépaysante, très végétale dans ses saveurs, elle a été emballée. Depuis l'ouverture la dernière semaine de décembre, nous sommes très régulièrement complet midi et soir, une belle harmonie s'est créée entre nous, nous aimons travailler ensemble.
Pourtant si je prends plaisir dans ce travail, je n'ai toujours pas le sentiment d'avoir réussi à me pardonner ce qui est arrivé. L'île, Aminara, les Amazones, le Trident, comme si tout était encore de mon fait. Mais ici, je pense, j'espère pouvoir repartir de l'avant. En quittant le Canada, je n'avais pas eu le cœur à emmener Rain qui semblait s'épanouir dans ces grands espaces de verdure et de forêt mais je n'ai jamais arrêté la fauconnerie. Et je n'ai pas résisté en arrivant ici à trouver une magnifique buse bleue du Chili qui répond au nom de
Bow. Agée d'à peine quelques mois mais déjà habituée à quelques exercices de fauconnerie par son propriétaire précédent, j'entends l'entrainer comme je m'entraine moi, tous les jours. Un peu perdue dans cette grande ville, j'entends pourtant retrouver mes sœurs et je l'espère de tout cœur, redorer l'honneur des Amazones.