Cela faisait un moment que le quotidien de la jeune femme était assez répétitif. Il faut dire que concilier un emploi à temps plein et des études secondaires n’était pas forcément le plus facile pour avoir du temps libre en prime. Mais cela ne dérangeait pas Kate. Elle ne voulait pas être un fardeau pour celle qui l’avait sauvé. Aussi, travailler pour se gérer financièrement et faire des études pour faire ce qu’elle désirait étaient deux choses primordiales. Fallon lui avait déjà donné tant à commencer par sa liberté qu’elle lui avait rendu en démantelant le réseau de Keaton. Elle s’efforçait donc de travailler comme une acharnée sur ses études tout en travaillant dans un bar du Red Light Corner. Elle avait trouvé ce job peu de temps après que l’africaine l’ait recueilli et elle se débrouillait toujours pour concilier les horaires. Il faut dire que la miss se rendait que très rarement en cours. Elle travaillait et apprenait bien mieux seule. Certains amphithéâtres étaient cependant trop important pour qu’elle les rate. Mais il est vrai que les autres étudiants la regardaient assez bizarrement lorsqu’elle se ramenait en cours, n’étant pas habitués à la voir.

Aussi sa matinée ne changea pas des précédentes. Levée à sept heures du matin, elle alla chercher son petit déjeuner avant de revenir dans sa chambre et s’installer à son bureau. La brune avait pris cette habitude de prendre son petit déjeuner tout en commençant à travailler tranquillement. Cela lui permettait d’émerger à son rythme sans pour autant attendre une heure avant de se mettre au travail. Il faut dire qu’elle n’avait pas une heure à perdre au vue de ses journées. Le programme du jour allait tourner autour de la balistique. Matière peu attrayante du point de vue de Kate, elle était cependant primordiale pour l’un des départements de la police scientifique. N’ayant pas arrêté son choix sur une spécialisation, la jeune femme tentait d’avance sur tous les fronts, ce qui lui demandait beaucoup de temps, de travail et d’énergie. Arrivée à l’heure de la pause, elle se leva de son siège pour faire son entraînement quotidien. A son grand regret, les entraînements qu’elle faisait avec Fallon étaient rares, nécessitant du temps de leur part à toutes les deux. Aussi, elle se maintenait tout de même en condition physique seule tous les jours ou presque. Derrière, la brune filait à la douche et s’habillait d’un slim et d’un haut avant de reprendre ses études.

Lorsque le midi arriva, Kate alla préparer à manger pour sa mère et elle. Au menu était prévu une blanquette de veau avec du riz. Plutôt simple comme repas mais au moins, ce plat avait le mérite d’être complet. S’activant en cuisine, la brune avait mis de la musique et se déhanchait toute seule tout en préparant le repas. Evidemment, seule sa mère adoptive avait pu constater cette habitude qu’avait la brune de danser lorsqu’elle cuisinait ou faisait le ménage. Elle s’était évidemment moquée d’elle plus d’une fois même si ses moqueries restaient plutôt gentilles. A la suite de cela, elle appela sa mère que le déjeuner était prêt et elle discuta avec cette dernière tout en mangeant. S’en suivit une reprise de ses cours jusqu’au moment où elle dût sortir pour aller à son travail.

Aujourd’hui, la jeune femme faisait du non-stop de l’ouverture jusqu’à la clôture. Ecouteurs dans les oreilles, elle se dirigea rapidement vers le bar où elle s’empressa de descendre toutes les chaises des tables une fois arrivée. Elle déposa sa veste et son sac dans l’arrière-boutique avant de vider le lave-vaisselle de la veille et de préparer le cocktail maison. L’heure d’ouvrir était alors venue et les clients ne tardèrent pas trop à venir s’installer pour commander. Un peu plus tard, en début de soirée, une jeune femme aux cheveux courts pénétra dans le bar. Kate ne l’avait jamais vu auparavant ce qui était assez rare, il fallait le reconnaître. Elle s’approcha de la nouvelle venue et lui dit :

Bonsoir, que puis-je vous servir ?

Déjà trois mois que Sorcha était arrivée à Europolis. Trois mois qui lui avaient paru une éternité. La mégalopole fourmillait d'activité et d'informations et Sorcha faisait son possible pour ne pas s'y noyer. Les journées ne se ressemblaient jamais et si en d'autres circonstances, la jeune femme aurait pu prendre ce fait pour un bien, il lui semblait au contraire, ne jamais savoir où poser le pied.
Ici, il n'y avait aucun arrêt du temps. Tout passait en permanence, trop vite et l'Atlante avait du mal à ne pas se noyer dans le train fou de cette nouvelle vie.

Heureusement, son joli minois l'aidait grandement. Peut-être était-ce son côté étranger, mais en général les gens n'avaient pas trente-six réactions face à elle. Soit on la prenait pour une naïve petite immigrée, soit on l'envoyait chier sans vergogne.
Les deux lui convenaient, elle adaptait au fur et à mesure son comportement en réponse à ses individus.
La journée avait été particulièrement longue. Hopkins, l'homme qui l'avait embauché prenait sa retraite et lui avait présenté son successeur, un dénommé Perkz. Au premier regard, Sorcha avait remarqué qu'il ne l'aimait pas. Particulièrement misogyne et désagréable, il ne parlait pas mais criait ou braillait sans cesse. Jamais satisfait des articles et encore moins des pigistes qui n'apportaient pas leur lot de boîtes à buzz. Aujourd'hui, il avait pris l'Atlante en grippe et lui avait signifié sans tortiller des fesses, qu'il se foutait bien de qui l'avait embauchée, il n'aurait aucun scrupule à la dégager sur le trottoir si elle n'était pas à la hauteur. Piquée au vif, Sorcha lui avait répondu de manière extrêmement méprisante. Elle avait vu le visage de l'homme virer au rouge et avait préféré sortir avant qu'il n'explose de colère ou elle de rire.

Seulement voilà, à présent elle devait trouver le sujet qui ferait d'elle la vraie bonne pigiste essentielle à se ramassis de conneries qu'était l'Atlas Obscura.
Oh évidemment pour la créature qui savait, certains faits relatés étaient véridiques, mais pour le commun des mortels, la plupart des propos relevaient de la fantasy pure, de la drogue ou bien de la stupidité.
Alors elle s'était rendue dans ce quartier, le rouge, celui qui mêlait putes, argent, alcools et drogues. Un melting pot de la bassesse humaine, une plongée en abysse pour les âmes perdues qui trouvaient un quelconque réconfort entre les cuisses d'un femme, contre la verge d'un homme ou à travers la piqûre, le cachet, le jeu ou le verre. Parfois un savant cocktail de tout cela.
Il fallait qu'elle puisse le voir de ses yeux, qu'elle découvre les limites des rumeurs qui se murmuraient ici, des corps alanguis qui baissaient leurs gardes afin de mieux lire à travers les apparences.
Elle avait une vengeance à préparer, des morts à ranimer et des alliés à rencontrer.

Sans vraiment y réfléchir, elle pénétra dans le premier bar à sa portée. Après avoir déposé sa veste et son sac dans un vestiaire, elle glissa les billets dans la poche arrière de son pantalon en simili cuir noir, moulant puis rajusta son débardeur gris clair afin de se donner une contenance. Alors elle pénétra dans la grande salle, la musique jouait déjà et les basses bourdonnaient à ses oreilles. Rhysand aurait détesté ça. Rhysand...Perdue dans ses pensées, elle demeurait immobile en plein milieu de la pièce, le regard légèrement dans le vide jusqu'à ce qu'une voix ne la ramène à la réalité, en la faisant légèrement sursauter.

Une jeune femme brune s'était plantée devant elle. Sorcha fronça doucement les sourcils alors que dans le même temps, son cerveau analysait les mots qu'il avait manqué.

- Je vous demande pardon ? lâcha-t-elle machinalement au moment même ou son esprit avait capté la raison de la présence de la jeune femme.
Elle secoua la tête et dessina sur ses lèvres un sourire.

- Ce que vous voulez, tant qu'il y a de l'alcool dedans. Pas de whisky.

Sans mot dire, elle la suivit jusqu'au comptoir et s'y installa, saisissant par la même occasion la petite liasse de billets qui embrassait ses fesses jusqu'à présent. Dès que le verre serait posé devant elle, le paiement ne tarderait pas.

La nouvelle venue semblait totalement ailleurs. Le regard fuyant, elle avait l’air dans ses pensées tout simplement. Lorsqu’elle réalisa que Kate lui avait parlé, elle tenta de se reprendre. De toute évidence, elle n’avait rien entendu de ce qu’elle avait pu lui dire mais la jeune femme se douta rapidement des intentions de la barmaid aussi la brune revint sur ses pas pour passer derrière le bar tandis que la cliente prenait place au comptoir. Les instructions étaient simples mais aussi très évasives. Souhaitait-elle quelque chose de plutôt fort et pure ? Quelque chose de fruité et dilué ? L’étudiante se débrouillait plutôt pas mal pour satisfaire ses clients mais fallait-il un minimum de données. Observant la jeune femme, elle pencha légèrement la tête par réflexe tout en l’observant le temps de quelques secondes afin de trouver ce qu’elle allait pouvoir lui servir. Son collègue lui aurait refilé une des boissons les plus chères à tous les coups mais ça n’était vraiment pas la façon de faire de la miss. Elle n’aimait pas franchement ses manières à ce niveau-là. Le jeune homme avait cherché à lui mettre le grappin dès son arrivée. Evidemment, il s’était mangé en beauté, atterrissant droit dans le mur. Avec le temps, ses ardeurs s’étaient grandement calmées mais la jeune femme sentait qu’il ne raterait pas l’occasion si celle-ci se présentait.

La serveuse hésita un instant entre un Cuba Libre et un Bloody Mary. Elle opta finalement par l’un des cocktails qu’elle préférait, le Cuba Libre. Sa préparation était plutôt simple en terme d’ingrédients mais le dosage l’était moins. Tout le monde n’aimait pas le citron et encore moins le citron vert. Certains aimaient qu’il surpasse le reste du cocktail tandis que d’autres préféraient que sa présence soit si légère qu’ils ne le remarquerait pas. La belle décida de faire en sorte qu’il se sente tout de même sans être agressif, puis ajouter une bonne lampée de rhum ambrée avant de diluer le tout dans du cola. Elle déposa alors le verre devant sa cliente. Cette dernière tirait une tête de six pieds de long. Elle tira rapidement des billets de sa poche arrière pour régler la barmaid qui la stoppa dans son élan.

Goûter d’abord, c’est un cuba libre. C’est à base de rhum.

Jetant un oeil aux alentours, deux tables devaient être débarassées et trois attendaient pour passer commande. Kate attrapa son plateau et se hâta d’aller en salle pour s’occuper de tout ça. Revenant avec trois commandes à faire et l’équivalent de deux tables en verres sales. La brune mit les verres à tremper puis commença à préparer les commandes tout en regardant la jeune femme. Bière, cocktail, apéritif plus classique, ses clients lui avaient demandé un peu de tout histoire qu’elle ait besoin de remuer toutes les bouteilles ou presque. Les verres furent remplis de diverses couleurs et quantités puis déposés à tour de rôle sur le grand plateau rond. Zieutant la nouvelle venue, la brune ajouta :

Alors le cocktail vous plait ?

La barmaid n’aimait pas forcer les conversations. Mais cela faisait également parti du job de discuter avec les clients. Aussi, elle avait pris l’habitude d’ouvrir le dialogue sans pour autant poser réellement une question. Ainsi, la personne en face ne se sentait pas obligée de répondre à l’étudiante. Attrapant le plateau doucement, elle écouta ce que la jeune femme avait à dire et s’excusa avant de retourner en salle pour servir les différentes commandes. Les hommes présents étaient plutôt agités et ils commençaient surtout à être enjoués. La jeune femme commençait à avoir l’habitude de ce type de comportement et esquivait avec beauté la majorité des problèmes. Revenant au bar, elle commença la remarque tout en regardant la brune qui était venue toute seule boire un coup. Peut-être attendait-elle quelqu’un après tout. Mais Kate ne put s’empêcher de lui dire :

Excusez ma remarque mais vous avez l’air d’avoir passé une sale journée.

La barmaid la regardait et Sorcha lui rendit son regard. Si la première inclinait la tête de manière curieuse ou amusée, la seconde affichait un air blasé à la limite de l'impolitesse. Elle se laissa un peu plus s'avachir sur le comptoir, dessinant du bout des doigts un motif sur la surface laquée.
L'Atlanta haussa un sourcil tandis que la brune s'affairait. Alerte, elle observa ses gestes et les choix qu'elle effectuait pour composer le cocktail. Un breuvage sombre avec des rondelles de citron vert flottant dedans fut déposé devant elle dans les minutes qui suivirent.
Comme convenu, Sorcha sortit un billet mais la jeune femme le refusa dans un premier temps, l'intimant plutôt à goûter le cuba libre.

Sans attendre de réponse, elle la laissa là pour vaquer à ses occupations de serveuse. Sorcha la suivit du regard un instant avant de hausser les épaules. Elle porta le verre à ses lèvres et goûta le cocktail dont les bulles lui picotèrent le palais puis la gorge. Plissant légèrement les yeux sous la surprise, elle concentra ses sens sur la saveur et la fraîcheur du breuvage. C'était bon. Vraiment.
Elle en avala une nouvelle lampée en observant la serveuse qui s'affairait derrière le comptoir.
Après que cette dernière ai chargé un plateau de divers verres pleins, leurs regards se croisèrent à nouveau et elle lui demanda si la boisson lui plaisait.
Surprise, Sorcha baissa les yeux sur son verre déjà à moitié vide et déglutit avant de répondre simplement :

- Oui. C'est très bon.

Alors la jeune femme s'excusa et poursuivit son activité de service à travers la salle, laissant l'Atlante assise là. Elle n'avait toujours pas payé, peut-être ne le ferait-elle pas d’ailleurs, si l'autre avait oublié.
La salle se remplissait encore, les rires et les voix fortes envahissaient l'atmosphère. Parfois, ils couvraient même la musique. Sorcha arrivait aisément à faire abstraction de tout ceci. Le regard vissé sur son verre, comme une alcoolique lambda, elle réfléchissait en réalité aux indices qu'elle possédait au sujet de son frère. Penser à Rhysand la rendait nostalgique et fragile mais aussi en colère et frustrée.
Pourtant, elle ne pouvait s'en empêcher.

La voix de la barmaid la tira à nouveau de sa rêverie maussade et l'Atlante lui lança un regard peu aimable avant de laisser éclater un "ah" proche d'un aboiement.
Une sale journée vraiment ? On aurait pu dire de sales semaines, de sales mois, une sale année. Sa vie toute entière était sale au point de ne plus laisser passer la lumière. Elle ne connaissait plus que les ténèbres.

- Vous au contraire, vous avez l'air heureuse, répondit-elle en tortillant une mèche de cheveux autour de son doigt avant de la glisser derrière son oreille. ça vous plait ce que vous faites ?


Au fond d'elle, elle s'en fichait bien. Tous les humains méritaient de mourir, elle aussi sous ses allures d'ange de l'abondance alcoolisée. Mais il fallait donner le change, faire semblant, alors l'Atlante faisait semblant. Sorcha but une nouvelle gorgée puis croisa les bras sur le comptoir.

- Y'a quoi de sympa à faire dans la quartier ?

Elle afficha une petite moue de nouvelle fraîchement arrivée, récemment débarqué de chez papa et maman peut-être ? Cela suffirait pour que la brune la prenne en pitié et lui indique les coins pour s'amuser. Ces coins là étaient souvent les témoins des faits plus déstabilisants.

Ce qui est sûr c’est que la nouvelle n’était pas aimable. Il y avait des gens comme ça pour lesquels on ne pouvait rien faire. Peu importe l’attitude adoptée, ils se moquaient de tout et restaient renfermés sur eux-même. Cela n’arrêtait pas Kate pour autant. Mais cela avait le don de la refroidir légèrement. D’un autre côté, la cliente prenait le temps de lui répondre sans animosité dans sa voix. Elle sirotait le cocktail assez rapidement, preuve qu’elle devait apprécier. Cela fut confirmé par la concernée elle-même lorsqu’elle lui posa la question. Chassez le naturel et il revient au galop comme disait le proverbe. A peine de revenue d'avoir servi les deux commandes, la brune fit une remarque à sa cliente sur le fait qu’elle ne semblait pas avoir passé une très bonne journée. La réaction de cette dernière fut en deux phases bien différentes. La première, dans son attitude, laissait clairement présager que la barmaid était en train de l’emmerder sévère. Ne cherchant pas se mêler spécialement des affaires des autres, la brune ne jouait pas les focus pour autant. Faire semblant pour s’attirer la sympathie de quelqu’un n’avait jamais été une possibilité à ses yeux. Sa remarque concernant le fait qu’elle soit heureuse la fit tiquer. Etait-ce simplement en réaction à ce qu’elle lui avait dit ou bien la nouvelle venue pensait-elle réellement que Kate était heureuse ? Il est certain que comparé à quelques années en arrière, elle pouvait se trouver heureuse, contente même d’avoir été trouvé Fallon et sorti de cet endroit immonde. Cela devait probablement lui suffir à se sentir bien.

Contente que ça vous plaise. Il faut croire que ma journée a été meilleur que la vôtre.On a pas toujours notre mot à dire sur ce genre de choses.

Revenue au bar, elle lui prépara son addition qu’elle lui déposa devant elle avant de reprendre sa vaisselle. Contrairement au week-end où discuter avec un client était mission impossible au vue du monde, les soirs en semaine étaient relativement plus tranquils. La jeune femme lui demanda alors ce qu’il pouvait y avoir de sympa à faire dans le quartier. Surprise par sa question, Kate marqua un temps de pause. Etait-elle nouvelle dans le coin ? Elle n’avait de toute évidence pas choisi le meilleur quartier d’Europolis pour s’installer, bien au contraire.

Hum disons que par ici vous trouverez tout ce qui est bars, restaurants, bars d’ambiance et discothèques. Ce quartier n’est pas vraiment conseillé en règle générale, encore moins pour une nouvelle arrivée en ville.

La brune ne voulait pas se montrer menaçante mais uniquement prévenante. Elle connaissait que trop bien les tréfonds de Coal District et toute la noirceur qu’on pouvait y trouver. La jeune femme ne s’était-elle pas un minimum renseignée avant de mettre les pieds ici ?

Si vous voulez visiter un quartier sympa, je vous conseillerais plutôt Blue Island ou Acropolis District.

Attrapant un torchon, elle commença à essuyer les verres un par un. Attraper, essuyer et ranger à sa place étaient des tâches récurrentes, redondantes que la barmaid connaissait par coeur à présent. Sa mère avait beau avoir l’argent qu’il fallait pour l’entretenir, Kate n’avait pas voulu en rajouter, ayant déjà été sauvé par cette dernière. Elle préférait s’assumer seule, combinant la vie de travail à la vie étudiante.

Si vous ne connaissez pas Europolis, je suppose que vous n’êtes pas du coin et que vous venez d’arriver. Qu’est-ce qui vous a amené par ici ?

En effet, la barmaid avait raison. On n'a pas forcément notre mot à dire lorsque le destin s'acharne. Ce mutisme involontaire, s'exprimait par la violence et par la frustration. Sorcha devait extérioriser sa colère, son manque et son désarroi. A regarder la jeune femme derrière son comptoir, elle lui sembla simplement résignée, du genre à attendre un lendemain pour un jour meilleur. Tout ce que Sorcha exécrait. L'Atlante était patiente, mais non sans ronchonner. Ce sentiment de solitude et d'inutilité la tiraillaient depuis trop longtemps. Des semaines, des mois s'étaient écoulés depuis la destruction de son peuple tout entier.
Non, elle ne pouvait attendre un jour meilleur, elle voulait les faire payer là tout de suite !
Et comme elle n'y arriverait pas, elle écoulerait sa frustration dans l'alcool puis certainement dans le sexe. Un sexe sale, sans émotion aucune, une vibration du corps sans celle de l'esprit et encore moins de l'âme.

La Barmaid déposa l'addition sous ses yeux et tira la brune de sa rêverie temporaire. Comme convenu, Sorcha retira un billet de la poche arrière de son pantalon et le glissa sur la note. Agir comme la nouvelle arrivée sembla payer et bientôt, malgré son air surpris, la jeune femme lui signala ce qui se trouvait dans le quartier. Bars, restaurant, discothèques...elle oubliait les putes et leurs patrons, le dealers et leur camés.
La mise en garde sur sa présence lui arracha un sourire en coin. Du haut de son mètre soixante-treize et de ses 58 kg, Sorcha devait passer pour une petite fleur fragile, mieux, un putain de mannequin de mode qui bouffait trois pommes la semaines. Evidemment, on ne pouvait imaginer un brin de femme si frêle déambuler dans les quartiers malfamés. Si elle savait...

Elle lui conseilla donc des zones plus en sécurité d'Europolis, comme Blue Island ou Acropolis District.
Avec un sourire un peu forcé, Sorcha la remercia et touilla son cocktail. Elle en reprit une gorgée, ruminant les paroles de la jeune femme. Des beaux quartiers, des quartiers riches...elle doutait fortement que les Atlante rescapés se soient planqué là-bas. Avec quel argent ?
La barmaid reprit son travail, essuyant les verres propres un à un avant de les ranger. Sorcha l'observa un moment, imaginant la vie quotidienne de cette fille qui devait avoir quoi ? Moins de vingt-cinq ans c'était certain. Une jolie fleur à peine éclose... Si Europolis devait sauter, ferait-elle partie des rescapés ?

A nouveau, la barmaid engagea la conversation et Sorcha se raidit légèrement. Elle porta la paille à sa bouche et sirota un moment son cuba libre en plantant son regard dans celui de la jeune femme.
Lorsqu'elle eut fini, elle lâcha une exclamation satisfaite avant de reposer l'ensemble. Mentir, c'était facile.
- On m'a trouvé inconsciente aux abords de la ville. J'ignore tout de mon passé.

Voilà qui couperait court aux questionnements. Pour appuyer ses propos, elle lui offrit un sourire un peu niais, comme si elle était légèrement simplette.
- Et vous, c'est quoi votre histoire ? demanda-t-elle en achevant le verre. Vous m'en servez un autre ?
Alors elle lui tendit le verre en l'agitant doucement et de sa main libre, attrapa un nouveau billet.

Sa nouvelle cliente semblait être arrivée ici plus par hasard qu’autre chose. Et même si on disait que le hasard faisait parfois bien les choses, pour le coup, la barmaid trouvait qu’il les avait très mal faites. Personne de censé n’aurait conseillé à la brunette de venir se balader et s’installer à Coal District. Les gens biens qui se trouvaient dans ce quartier de la ville y étaient par manque de choix. La vie à Europolis n’était pas donnée après tout et toutes les personnes qui avaient des finances peu élevées finissaient dans un coin pourri. Evidemment, elle ne connaissait pas le moins du monde la situation de la jeune femme qui lui en apprit plus par la suite. A priori, elle était amnésique aussi cela n’était pas franchement évident de s’y retrouver. Se souvenait-elle au moins de son nom ? Avait-elle déclaré sa perte de mémoire à la police des fois qu’un avis de recherche pour personne portée disparue ait été lancé à son sujet ? Tant de questions se bousculèrent dans l’esprit de Kate qui cogitait toujours autant. Cela devait être perturbant de tout oublier du jour au lendemain, ne pas savoir qui on est ni d’où l’on vient. De toute évidence, la personne qui lui faisait face semblait s’être faite à l’idée. Peut-être que sa situation actuelle durait déjà depuis plusieurs mois en arrière et qu’elle s’était faite à l’idée.

Je suis désolée de l’apprendre. Vous souvenez vous au moins de votre nom ? Je ne pourrais pas vous être d’une grande aide, c’est la première fois que je vous vois ici. Vous êtes-vous présentez au poste de police pour qu’ils fassent des recherches ?

De toute évidence, le cocktail qu’elle lui avait fait lui convenait parfaitement, le buvant à une vitesse incroyable. Alors qu’elle venait de lui demander pourquoi elle était ici, la brune lui demanda un nouveau verre. Attrapant le verre vide ainsi que le billet, Kate prépara tranquillement son nouveau verre tout en réfléchissant à ce qu’elle pouvait dire à son sujet. Toujours aussi méfiante, la jeune femme jouait très bien son rôle de barmaid qui a de la conversation sans pour autant déballer sa vie à quiconque passait par là. Le maître mot était la vraisemblance. Tout ce qu’elle pouvait dire était vrai, elle omettait uniquement les choses qu’elle ne voulait pas dévoiler à des inconnus. Ainsi elle était plutôt tranquille. Poursuivant la confection du verre de sa cliente, la brune reprit la parole :

Oh elle est plutôt banale. Je travaille ici en attendant d’avoir terminé mes études en sciences.

Simple, court, vrai mais surtout, ce que la jeune femme venait de confier était d’une banalité déconcertante en plus d’être très vague. Terminant le verre de sa cliente, elle lui tendit son verre à nouveau plein puis jeta un oeill à la salle. Personne ne réclamait ses services pour le moment aussi elle attrapa un élastique pour se nouer les cheveux grossière en une queue de cheval haute puis elle prit quelques minutes pour se poser devant l’amnésique, les bras reposant sur le comptoir.

Vous avez trouvé des gens pour vous aider au moins le temps que votre mémoire vous revienne ? Je veux dire, ne se rappeler de rien ça ne doit pas être évident. Je comprends mieux votre question du début mais vous savez … Ici n’est vraiment pas un quartier fréquentable. Coal District c’est les bas-fonds d’Europolis, là où tout ce qui a de plus mauvais se trouve en quelque sorte.

Etant amnésique, il était préférable de la mettre réellement en garde. La barmaid pourrait s’en vouloir si jamais il lui arrivait quelque chose alors qu’elle avait eu l’occasion de la prévenir. Les rues d’Europolis n’étaient pas sûres, mais celles dans Coal District l’étaient encore moins. C’était entre autres pour cela que Kate souhaitait être formée par sa mère : pour se défendre elle-même ainsi que ceux qui ne le pouvaient pas le faire eux-mêmes.

L'humaine était désolée mais Sorcha ne pouvait la croire. Pourtant, elle poursuivait en lui posant des questions comme si elle souhaitait en savoir plus et surtout, l'aider en lui donnant la marche à suivre. Le poste de police ? Elle eut envie de rire à gorge déployée. Cette sollicitude était elle feinte ou la barmaid faisait-elle vraiment oeuvre de gentillesse ?
L'atlante plissa légèrement les yeux, suspicieuse quant aux intentions de la brune. Elle se moquait bien de ces conseils puisque l'amnésie n'était qu'une excuse bidon, une invention de toute pièce pour rester évasive sur son passé. Passé que Sorcha ne pourrait jamais oublier, car comment oublier l’annihilation de sa famille, la destruction de son peuple et de sa cité ? C'était impossible et le sang bouillant de l'Atlante réclamait réparation. Elle aurait sa vengeance, d'une façon ou d'une autre, même si elle devait tuer ces satanés humains un à un.
Ne pouvant toutefois oublier qu'elle donnait le change auprès de l'humaine à ce moment là, elle secoua lentement la tête de haut en bas et reprit son petit air souffreteux.

Enfin, la barmaid commença à préparer un nouveau cocktail et Sorcha observa ses faits et gestes à l’affût  des prochaines paroles de la jeune femme. Elle en fut presque déçue tant sa vie semblait d'une banalité à pleurer. Etudiante en sciences. Elle aurait bien été curieuse de savoir ce qu'elle étudiait. Comment disséquer un poisson ? Comment créer une bombe atomique ? Se dirigerait-elle vers de l'ingénierie pour mieux assouvir le monde au nom de l'espèce humaine ?

Le verre arriva devant elle et un léger sourire étira ses lèvres. Cela au moins lui mettait du baume au coeur. Elle sirota le cuba libre avec l'attitude d'une gamine devant un sac de bonbon, un éclat de ravissement dans la prunelle.
Alors l'humaine se pencha légèrement vers elle, les bras posés sur le comptoir. Elle la regardait et Sorcha lui rendit son regard.
Par Poséidon, était-elle sérieuse ? Tout laissait à croire qu'elle s'inquiétait vraiment pour l'Atlante. C'était à la fois risible et déstabilisant.
Sorcha haussa un sourcil, partagée entre l'idée de lui dire qu'elle cherchait justement les coins les plus sombres d'Europolis, là ou le mal rongeait les âmes perdues, là où l'on ne viendrait pas la chercher elle.

- Ah bon ? releva-t-elle, feignant la surprise. Alors pourquoi vous y travaillez ? Vous n'avez pas peur ?


Elle prit une nouvelle gorgée avec sa paille, creusant ainsi ses joues avant d'avaler le breuvage.

- Je veux dire, une étudiante...vous pourriez tomber sur n'importe qui... Même moi, je pourrais être une créature maléfique en quête de sang, sortie des abysses pour vous attendre à la sortie afin de vous trucider.

Il y avait quelque chose de malveillant dans le sourire que l'Atlante afficha et elle se tue un instant, laissant planer le doute, avant de se mettre à rire sous prétexte de cette bonne blague.
Mais était-ce vraiment une blague ? Le sang appelait l'Atlante autant que la vengeance, elle devrait passer à l'action. Bientôt.

Sa cliente garda le silence pendant un certain temps. Il faut dire qu’en étant amnésique, la vie devait pas être facile. La jeune femme ne devait plus avoir aucun point de repère. Évoluer ainsi, sans même savoir son prénom, devait être déroutant. Une fois le cocktail fini, Kate le déposa devant la brune qui sembla être ravie d’avoir un verre à nouveau plein. Peut-être était-ce plus simple de se contenter des petites plaisirs de la vie lorsqu’on n’avait plus que ça après tout. De toute évidence, la boisson qu’elle lui avait choisi lui convenait à la perfection. Faisant face à l’amnésique, l’étudiante continua de la questionner mais surtout elle la mit en garde concernant Coal District. Si elle ne se souvenait plus de qui elle était, traîner par ici allait être sacrément dangereux. Qui sait sur qui elle pourrait tomber d’assez mal intentionné pour profiter de son amnésie ? Peut-être même pour la manipuler et faire croire à une vie qui n’est pas la sienne ? La barmaid était bien placée pour savoir qu’il y avait ceux qui dirigeaient et ceux qui exécutaient dans ce quartier. Si quelqu’un s’amusait à faire ni l’un ni l’autre, sa durée de vie se voyait drastiquement raccourcie en règle générale. Lorsque sa cliente reprit la parole, elle fut surprise par ses questions. Un sourire sincère se dessina sur les lèvres de la jeune femme tandis qu’elle répondit à son interlocutrice.

Avoir peur ne changera rien à la situation. Je suis née ici alors je suis un peu habituée si on peut dire.

Cela ne voulait pas dire qu’elle recommanderait à quiconque de vivre ici. Elle-même ne restait que parce que cela était plus simple pour sa mère et que la brune commençait à savoir se défendre. Depuis quelques mois, Fallon l’entraînait, ayant enfin cédé et concédé que sa fille avait besoin de savoir se défendre seule. Sa cliente avait fini de boire une gorgée et reprit la parole. Kate ne put s’empêcher de rigoler à la remarque de la jeune femme. Elle, une créature maléfique en quête de sang ? Enfin en soit, pourquoi pas. Tout le monde était capable du pire comme du meilleur.

Pourquoi pas en effet ? Mais dans ce cas, je peux aussi vous retourner la question en vous demandant ce qui vous fait penser que je suis une simple étudiante qui travaille et non pas une psychopathe qui aurait drogué votre boisson ?

Un regard pétillant, un petit sourire à la commissure des lèvres et la barmaid éclata de rire. C’est à ce moment là qu’une table l’appela pour une nouvelle commande. Faisant un clin d’oeil à la cliente, Kate partit en salle avec son plateau pour récupérer les verres et les bouteilles vides et écouta deux tables d’affilées qui souhaitaient être resservi. Revenant derrière le bar, elle déposa les récipients vides et attrapa les bières en bouteille qui avaient été commandé puis retourna servir en salle. De retour derrière le comptoir, la brune s’activa à la vaisselle

Ce que je vous ai dit n’était que des conseils. Vous êtes libre de faire ce que bon vous semble après tout.

L’avant ces verres un par un, elle observait sa cliente qui semblait déguster son verre. A vrai dire, sa façon d’apprécier le cuba libre ressemblait à celle d’un enfant à apprécier un bonbon. Il faut dire que Kate était fan de cette boisson elle aussi. Le bar commençait à se vider pour son plus grand plaisir. Le reste des verres pourrait loger dans le lave-vaisselle ainsi la brunette pourrait se concentrer sur le reste. Attrapant le torchon pour essuyer les verres, elle relança la conversation.

Mais dites-moi cela fait longtemps que vous êtes amnésique ? Vous avez tout de même un logement ? Un travail ?

Oui la curiosité pouvait être un défaut. Seulement la brune n’obligeait en rien à répondre. La preuve en était que ses questions précédentes que son interlocutrice avait ignoré n’étaient pas revenues au goût du jour. Son job était, entre autres, de faire la conversation. Si un client ne désirait pas répondre, cela ne lui posait aucun problème.

Sorcha haussa les épaules. La peur n'empêchait pas le danger, elle aussi possédait cette certitude. Quand bien même, si le quartier était si dangereux, pourquoi ne pas avoir trouvé de travail ailleurs ? Peu lui importait au final, depuis quand s'intéressait-elle réellement à la vie d'une humaine ? Elle s'en fichait bien ! Celle-ci autant qu'une autre, elle pouvait bien mourir durant la nuit que cela ne lui ferait ni chaud ni froid.

Cependant, lorsque l'autre renchérit sur sa plaisanterie, Sorcha ne put s'empêcher d'observer le fond de son verre un instant, le regard dubitatif. Du poison vraiment ? Cette idée la fit sourire et elle se demanda si son corps pouvait y survivre comme il survivait aux virus en tous genres. Probablement.
Le poison pouvait donc potentiellement être une excellente arme contre les humains.
Comme on l'appelait, la barmaid lui fit un clin d'oeil avant de se diriger vers les tables en question. Sorcha demeura là, à siroter son cocktail le regard droit devant elle. Elle souriait toujours, jouant avec sa paille de sa langue et de ses lèvres.
Elle revint rapidement pour attraper quelques bières qu'elle retourna servir en salle. Sorcha la suivit du regard, toujours amusée.
La jeune femme se mouvait avec aisance, elle était dans son élément ici, comme un poisson dans l'eau. Aux yeux de l'Atlante, elle avait ce petit je-ne-sais-quoi d'attachant. A moins que cette soudaine envie de copiner soit lié à la boisson qu'elle lui servait. Ne pouvait-on boire à l'oeil en étant la copine de la barmaid ?

Sorcha afficha une moue lorsque l'autre revint poursuivre ses activités derrière le comptoir. Des conseils, elle n'en avait cure, elle n'était pas venu à Europolis pour se sentir en sécurité mais bien pour réclamer vengeance. S'il fallait y laisser du sang, l'Atlante le ferait sans broncher. Après tout, on a rien sans rien pas vrai ?

La soirée se poursuivit, chacune à sa place. Sorcha continuait à boire tranquillement, observant les environs et les gens qui quittaient peu à peu le bar. La barmaid vaquait à ses occupations qui consistaient toutefois en beaucoup de nettoyage. Tandis qu'elle essuyait les verres, elle relança la conversation sur l'amnésie inventée de l'Atlante. La sollicitude de l'humaine était telle, qu'elle regretta presque de lui avoir servi ce mensonge.

- Je ne sais pas, j'ai oublié, railla-t-elle effrontément.

Elle lui offrit un sourire toutefois, amusée par sa propre blague.

- Oui, j'ai un logement, un travail et même de quoi boire...soupira-t-elle avec nonchalance en glissant un nouveau billet sur le comptoir.
En lui tendant le verre, elle lança :

- Vous vous appelez comment ? Juste histoire que je sache qui fait les meilleurs cuba libre de tout Europolis.

Le bar commençait à se vider petit à petit. La jeune femme qui lui faisait face ne semblait pas si dépaysée par son trou de mémoire. Kate se demanda comment les proches faisaient pour supporter l'absence de souvenirs. Cela devait faire terriblement souffrir la personne qui restait à ses côtés, qui se souvenait pour deux et qui restait totalement. Si ça se trouve, la brune avait un mari, un travail, des enfants … La barmaid se demanda comment cela était possible de ne se souvenir d’absolument rien. Il parait que très souvent, c’est le cerveau qui fait un blocage tout seul pour protéger son propriétaire d’un événement traumatisant. Mais sa cliente semblait très bien se porter, continuant de déguster son verre avec l’enthousiasme d’une enfant.

La nouvelle venue restait cependant assez stoïque devant son verre. Elle n’était capable de répondre à aucun question concernant sa vie privée. Pour autant, cela ne semblait pas la gêner plus que cela. Peut-être qu’elle s’était déjà fait à l’idée de ne se souvenir de rien, absolument rien ? Ou bien peut-être qu’elle était arrivée à Europolis avec ce trou de mémoire énorme. Le bar continuait de se vider. La brune allait pouvoir commencer à remonter les chaises dans un coin de la salle. Son interlocutrice lui glissa alors son verre lui demandant une nouvelle fois de le remplir, lui fit un sourire elle prit le verre et lui rendit le billet, lui adressant un clin d’oeil en même temps. Se hâtant, elle lui prépara un nouveau cuba libre et lui rendit son verre.

Appelez-moi Kate. Et merci mais c’est mon travail.

Sur ces paroles, elle retourna en salle récupérer les derniers verres et essuya toutes les tables du fond avant de relever les chaises dessus. Il lui restait encore quatre tables à servir en plus de la nénette au comptoir. En repassant, certains lui demandèrent de nouveaux verres aussi la jeune femme arriva charger derrière le bar et dû se dépêcher de vider son plateau pour le remplir de consommations à distribuer. Comme très souvent, parmi les derniers clients, il y avait un groupe un peu trop joyeux que l’on commençait à entendre un minimum dans le bar et dont deux des membres commençaient à faire gentiment du rentre-dedans à l’étudiante. Cela arrivait assez régulièrement du fait que les clients qui venaient ici buvaient généralement de l’alcool. Kate n’était pas vilaine comme femme de surcroît. Repartant avec la commande, elle les servit rapidement et encaissa leur commande avant de revenir derrière le bar.

Et vous alors comment je peux vous appeler ? Pensez-vous rester dans le coin finalement ?

Avec un clin d'oeil, la brune lui servit un nouveau verre. Voilà qui était satisfaisant ! Sorcha se sentait étrangement bien dans cet environnement, à moins que ce ne soit l'alcool qui commençait sérieusement à lui attaquer le cerveau, biaisant ainsi ses ressentis. En lui rendant un verre plein, elle lui indiqua s'appeler Kate tout en accueillant le compliment comme un état de fait. "Je suis barman, c'est mon métier de savoir préparer ça". Mouais, c'était certain en effet, mais pour avoir écumé quelques bars, l'Atlante savait que certains barman s'en foutait bien de préparer un bon cocktail. Et encore, quand ils ne crachaient pas dans les verres...

Aussitôt servit, aussitôt repartie. L'humaine ne perdait pas de temps, elle était relativement consciencieuse dans son travail. Aurora ne put s'empêcher de songer à son propre travail qui la faisait vivre au jour le jour en fonction de ses besoins et surtout de ses envies.
Pas d’horaire, peu de pression. Si elle possédait la bonne info, alors on la lui achetait. Sinon, on l'envoyait simplement chier.
Les journalistes parfois la raillaient un peu, arguant qu'elle souhaiterait bien leur place. Les pauvres cons s'ils savaient...
Sa vie était bien plus intéressante que la leur, en outre, elle n'avait ni foi ni loi et agissait comme elle en avait envie sans se soucier de la société d'Europolis.
Ce soir elle serait là, à se noyer dans l'alcool, finirait probablement sa nuit les cuisses ouvertes et se lèverait le lendemain avec une gueule de bois et un parfait inconnu à ses côtés. Là, elle choisirait alors simplement de remettre le couvert, d'aller déjeuner ou de simplement se barrer sans laisser de numéro ou quoique ce soit pour être rappelée. Alors, elle choisirait à nouveau d'aller travailler ou non, de zoner dans ces quartiers sombres pour déceler les trafics et les histoires sordides en tout genre, à la recherche toujours d'indices concernant les siens.

Complètement centrée sur elle-même, Sorcha en oublia ce qui se passait dans son entourage. Les gens joyeusement bourrés qui criaient plus loin en riant comme des demeurés. Les humains n'avaient aucune tenue...Ce trait persistant l'agaçait autant qu'il l'amusait. Avec deux grammes dans chaque bras, on pouvait leur faire faire n'importe quoi.
Vraiment, n'importe quoi...elle expérimenterait tout cela prochainement.

La brune revint derrière son comptoir et s’intéressa de nouveau à elle, en lui demandant son nom, puis à savoir si elle resterait dans les parages.

- Ça se pourrait bien, répondit Aurora la paille encore dans sa bouche. Vous pouvez m'appeler comme vous voulez. Comme ça vous fait plaisir.

Usant du mensonge de la perte de mémoire, elle s'amusait comme une petite folle à faire tourner Kate en bourrique. L'expression de compassion voire de pitié que la jeune fille affichait était impayable. Du grand art vraiment et Aurora riait fort intérieurement.

La nouvelle venue semblait contente de son cocktail. Il faut dire que le Cuba Libre était l’un des cocktails qu’elle réussissait le mieux et qu’elle appréciait le plus elle-même. Le dernier groupe que Kate venait de resservir rigolait joyeusement. De toute évidence, leur boisson leur étaient montés à la tête. De retour derrière le bar, l’amnésique n’était vraiment pas très causante. La barmaid n’avait jamais compris ce principe lorsqu’on est seul de s’installer au bar pour ne pas vouloir parler. Mais bon, peu l’importait. Si sa cliente ne voulait lui donner un prénom, même un faux, c’était son choix, la brune s’en remettrait aisément, si toutefois cela le nécessitait ce dont elle doutait. Reprenant la vaisselle à la main, elle enchaîna les verres qu’elle venait de ramener, les disposant les uns les autres à égoutter le temps que la jeune femme termine de tous les laver. D’autres clients se levèrent pour partir, laissant la barmaid et l’amnésique avec le groupe de mecs bien joyeux.

L’étudiante déposa le dernier verre sur l’égouttoir et alla récupérer ce qu’il restait sur les tables tout juste laissées par les clients précédents. Déposant son plateau sans repasser derrière le comptoir, elle attrapa une lavette et un spray pour nettoyer le dessus des tables avant de relever les chaises une par une. La fermeture de l’établissement n’allait pas tarder et Kate espérait bien ne pas rentrer trop tard chez elle . Après tout, ses journées étaient bien rentrées, elle devait donc se reposer correctement le moment venu. Elle rêvait déjà de sa douche bien chaude alors qu’elle termina de lever les derniers sièges. Retournant à son poste de supervision, elle attrapa un torchon pour essuyer les verres un par un, les rangeant à leur place dès qu’elle avait terminé pour passer au suivant. L’un des hommes du dernier groupe de clients se leva et s’approcha de la jeune amnésique et commença à la harponner.

Hey beauté, tu veux poursuivre la soirée avec nous ? On comptait la prolonger dans un club du coin.

Ecoutant d’une oreille, la barmaid continuait de suivre son train-train menant à la fermeture de l’établissement. La brune restait toutefois attentive à ce qu’il n’y ait pas de problèmes dans le bar. Elle avait presque envie de croiser les doigts pour qu’il n’y ait pas de complications lors de cette fermeture. Kate avait vraiment de plus en plus besoin de rentrer se coucher pour le coup. Il est certain qu’un incident ne la ferait pas rejoindre ses appartements plus rapidement mais au contraire plus tardivement. Attrapant son plateau, elle alla récupérer ce qu’il restait sur la table du groupe d’amis ce qui permit à l’un des autres gars de la harponner à son tour.

Toi aussi t’es la bienvenue si tu veux.

Relevant la tête dans sa direction, la jeune femme lui adressa un gentil sourire, agréable mais signifiant également “lâche-moi”. Elle n’avait aucunement l’intention de sortir ce soir et encore moins avec ses hommes bourrés. La seule chose qui faisait rêver la brune était de se glisser sous ses draps après avoir pris une bonne douche.

C’est gentil mais non merci.

Revenant derrière le comptoir, elle s’occupa des derniers verres, guettant les réactions et espérant surtout le départ très prochain des trois hommes.

La soirée se poursuivait pour Sorcha que l'alcool commençait à chatouiller. Devant elle, la barmaid continuait à s'affairer pour mieux clôturer le bar. Bientôt il faudrait vider les lieux, rentrer et se coucher. Mais l'Atlante n'avait pas envie de rentrer et encore moins de se coucher. Elle voulait de l'action, elle voulait du contact.
Derrière elle, le groupe d'hommes qui riaient monta le volume, signe qu'ils étaient déjà parfaitement ronds comme des queues de pelle.
Un sourire en coin étira ses lèvres. Ils se transformaient en cibles parfaites.

Aussi lorsque l'un des hommes s'approcha d'elle au comptoir, elle se tourna sur le côté pour mieux appréhender l'humain. Il lui proposait de poursuivre la soirée dans un club du coin, c'était délicieusement parfait. Sorcha observa rapidement la barmaid qui semblait soudainement à cran à moins que ce ne soit simplement de l'agacement.
Les hommes saouls devaient l'importuner. L'Atlante pouvait aisément le comprendre si c'était le cas toutes les fins de soirées. Mais elle était du genre à transformer les ennuis en bénédictions ou presque, en quelque chose qui l'arrangeait.

Comme un autre gars du groupe invitait Kate qui refusa gentiment mais froidement, Sorcha sourit plus largement de ses dents blanches.

- Et pourquoi pas, lança-t-elle avec naïveté. La soirée ne fait que commencer. Kate vous êtes certaine de ne pas vouloir venir ? Après votre service j'entends.


Et pendant qu'elle parlait, ses yeux courraient ouvertement sur le corps de l'homme qui lui faisait face. S'humectant les lèvres, elle acheva son verre d'un trait et se leva d'un bond. Déjà l'homme, convaincu de sa victoire prenait ses aises en glissant un bras autour des épaules de la jeune femme.

- Wa, t'as le corps plutôt chaud, s'étonna-t-il.
- Toujours, souffla Sorcha, amusée mais pas décontenancée.

Il ricanât, certainement ravi de sa trouvaille qui lui promettait une belle fin de nuit entre les jambes d'une petit brune consentante. Elle aussi était ravie de sa trouvaille, un humain saoul, facile à détrousser. Et elle ne parlait pas que de son pantalon.

- Bon on y va alors ! lança-t-il à sa troupe.

L'Atlante attrapa sa veste, signalant ainsi qu'elle était prête pour le départ, avec ou sans la barmaid.

La nouvelle avait déjà pas mal bu. Mais ça n’était rien à côté du trio gagnants qui voulaient les emmener en sortie avec eux. De toute évidence, le rentre-dedans de l’un d’eux ne dérangea nullement la brune. C’était une chance en soit, Kate ne se voyait pas intervenir une fois de plus dans son propre bar. Son patron lui avait déjà mis les points sur les I plus d’une fois à ce sujet. D’un autre côté, malgré son ancien boulot, elle ne supportait pas les comportements déplacés, surtout lorsque les hommes cherchaient à forcer leur cible. C’était une toute autre histoire si la demoiselle en question était pleinement consentante. S’afférant derrière son bar, plus vite elle aurait terminé, plus vite elle aurait regagné ses appartements pour prendre une bonne douche et se coucher.

Après avoir décliné l’invitation de l’un des trois hommes, l’amnésique elle accepta. Au vue de son état, la laisser partir avec eux n’était peut-être pas le plus judicieux. D’un autre côté, la brune commençait à penser que la jeune femme ne souhaitait peut-être pas décliner son identité. Était-elle allée jusqu’à feinter son amnésie ? Aucune idée, mais ce qui était sûr, c’est qu’elle ne lui avait pas dit clairement qu’elle n’avait pas de nom ni qu’à défaut de s’en souvenir, elle empruntait tel ou tel nom. L’étudiante fut tout de même surprise de la relance provenant de cette dernière. En tout cas, elle semblait certaine de vouloir poursuivre en compagnie des trois hommes.

Non merci, amusez-vous bien.

Ecoutant les échanges qu’il y avait entre les quatre protagonistes, la barmaid semblait n’être qu’une spectatrice. Elle fut surprise de la remarque de l’un des hommes qui était aux côtés de la jeune femme. Continuant d’essuyer ses verres, la jeune fille commençait à espérer que leur sortie de l’établissement aurait lieu très prochainement. Le fait qu’elle touche au bout de sa soirée de travail commençait à faire ressortir toute la fatigue accumulée liée aux heures de travail et d’étude qu’elle alternait. Une fois que le signal de départ fut donné, Kate adressa un dernier sourire au groupe, principalement à l’attention de la petite brune.

Bonne soirée à vous.

Une fois qu’ils eurent franchi la porte, l’étudiante s’activa, commençant par verrouiller la porte d’entrée avant de nettoyer les tables, lever les chaises et enfin passer un coup sur le sol. Une fois chose faite, laissant sécher un peu, elle termina de remplir le lave-vaisselle pour le lancer avant d’aller prendre ses affaires. Les écouteurs dans les oreilles, refermant à clé la porte de l’établissement derrière elle, ses pas la menèrent rapidement chez elle où elle put enfin prendre une douche bien méritée. Alors que l’eau coulait tranquillement le long de son corps, elle songea une dernière fois à sa nouvelle cliente amnésique, espérant que sa soirée se déroulerait comme elle l’espérait et qu’elle n’aurait pas d’ennuis, loin d’imaginer qu’elle pourrait chercher les ennuis volontairement. Une fois sèche, Kate se glissa dans son lit, une jambe sous la couette et une dessus avant de rejoindre bien vite les bras de Morphée.