Le fils malade. Shot.
Le travail qui la gonfle. Shot.
Le fils qui crève dans son lit d’hôpital. Shot.
Le boss qui l’emmerde pour des conneries du style « Vous ne faite pas assez avenante puis vous avez luxé l’épaule du gamin alors qu’il piquait juste une bière. » Shot.
Les frais médicaux qu’elle ne peut pas payer à moins de vendre ses reins, son cœur, pas son foie parce qu’elle picole trop ou de braquer un putain de casino. Shot.
Le patron qui réduit la paie pour compenser les dommages et intérêts que le magasin doit à la victime de la cheffe sécu un poil trop zélée. Shot.
Le braquage du putain de casino dans cinq jours justement et l’amorce d’une période de détox dés le lendemain pour être clair le moment venu. Shot.

Puis un autre shot spécialement pour emmerder le serveur qui a l’air saoulé de devoir la servir toutes les deux secondes. Il n’a qu’à lui laisser la bouteille ce petit con, ça ferait deux heureux. Katerine lui suggère. C’est non. Trois shots. Plus le verre qu’un mec lui offre, un truc un peu trop sucré mais qui a le mérite d’être alcoolisé. Kat jauge l’homme avant de daigner souffler un merci. L’est pas trop mal. De toute façon, à partir d’un certain degré d’alcoolémie, il faut être vraiment moche et vraiment con pour que la blonde ne range pas dans la catégorie baisables. Peut être qu’elle repartira avec, peut être pas si elle trouve mieux. A regarder ou à faire. Au moins, désormais, elle boit à l’œil même si devoir faire causette la gave. Finalement, elle le sent mal, elle n’est pas d’humeur. Dans dix minutes elle lui sortira une petite anecdote sur le Yang-Tsé avec tellement de clones que t’as l’impression de buter le même type mille fois et que du coup tu te mets à compter les points ou peut-être un truc plus gore et il dégagera. Mais d’abord un dernier verre.

Il faut aller le chercher au comptoir. Du moins, elle déclare qu'il faut aller le chercher au comptoir. Elle a besoin de faire quelques pas, un petit tour introspectif aux toilettes pour évaluer son degré d'alcoolémie, de s'éloigner de son pigeon du soir quelques instants puis de récupérer sa boisson. Peut-être qu'elle sortira se griller une clope aussi. Katerine se relève, tout juste si elle ne tangue pas. Elle file aux chiottes, contrôle sa dégaine dans le miroir, se passe un coup d'eau sur le visage. Elle se dit qu'elle pourrait largement être pire, limite elle a de la gueule pour une putain d'ex militaire / braqueuse / mère d'un gosse mourant / liste non exhaustive (faire le tour des trucs qui ne vont en y ajoutant alcool, médocs, autres conneries ne ferait que la déprimer d'avantage). Soupir. Elle quitte les toilettes, la prochaine étape est le bar. Elle demande un whisky avec un peu de coca, l'heure tourne, elle commence à faiblir et donc à diluer les verres. Elle précise bien qu'il faut ajouter la consommation sur l'addition du type qui la drague. Le serveur lève les yeux aux ciel, Kat lui lance un regard mauvais en réponse.

La blonde amorce son demi tour, verre à la main. Elle a un peu la flemme de retourner avec l'autre gars mais elle ne veut pas rentrer chez elle non plus. Elle espère qu'il se révélera un minimum distrayant mais ce n'est pas gagné. Elle s'apprête à le rejoindre tout de même mais voilà qu'une pauvre fille lui rentre dedans, renversant le verre de Katerine par la même occasion. Elle en a plein les pompes maintenant. Elle grommelle contre tout ce bon alcool renversé et ses pieds mouillés. Elle est à deux doigts de passer l'éponge sans même regarder la tronche de la fautive quand ses excuses retentirent. Les yeux de Katerine se braquent sur ceux de l'autre blonde, assassins. On ne lui parle pas comme ça, on ne la regarde pas comme ça. "Pardon ?" Le ton est glacial, l'énervement perce. Les meufs hautaines, elle ne supporte pas. D'ailleurs, le spécimen qu'elle a sous les yeux a une bonne gueule de connasse finie. Elle va se la faire celle-là, définitivement se la faire. Oh, elle a enfin une idée de distraction qui lui semble bien meilleur que de se taper le pauvre type qui attend son retour à la table. Elle sourit presque à cette idée. Avant d'amorcer son poing. Plexus ou nez ? "Les putains de bonnes manières, vous ne connaissez pas ?" Plexus. Pour couper le souffle, l'adversaire se baisserait et, alors, coup de genou dans le nez. Pas mal, pas mal, allez ! Le poing part.
 

Elle n'a pas frappé aussi fort que prévu, ses phalanges n'ont même pas rougi pour dire ! Peut-être parce que Kat avec x coups dans le nez faiblit. Ou alors parce que sa conscience lui susurre que l'on ne frappe pas les femmes inconnues en plein dans le bide aussi gratuitement. La blonde ne se voile pas la face, elle sait très bien que la solution un est la plus probable. Il y a le paramètre verre dans la main aussi. Il reste un fond de whisky, il n'aurait pas fallu le gâcher en tapant trop fort et en envoyant le liquide gicler par la même occasion. Bon, elle va s'excuser correctement maintenant l'autre blondasse ?

Et bien que nenni, si elle a mal elle n'en montre rien, elle fanfaronne même. Madame serait-elle masochiste à sous-entendre qu'elle veut que Katerine tape plus fort. Parce qu'elle ne va pas se gêner, hein.. Elle lève les sourcils, dubitative, finit son verre dans la foulée et... Et putain ! Elle n'aurait pas du croire qu'elle était la seule nana avec un minimum de savoir-faire en baston dans ce bar. Un pied vient lui cogner les côtes. Paf ! Elle étouffe un cri mi de douleur, mi de surprise. C'est que contrairement à Kat, l'autre ne frappe pas à moitié. Elle va avoir un putain d'hématome demain et, le pire, c'est quelle jubile. Limite elle dégaine le sourire carnassier. Le clampin qui l'attend à sa table, elle l'a oublié. Tout comme le verre qui a alimenté le sol alors que la moindre des choses aurait été que son adversaire lui en repaie un au lieu de se la jouer pouffe condescendante. Oh, entre l'alcool qui monte, le coup dans les côtes, la gueule de la femme, Katerine sent la rage arriver. Elle n'a qu'une envie : se défouler jusqu'à oublier sa vie de merde.

Si l'instant introspection est tentant - elle est bourrée alors comme tout bourré, elle aime bien faire un point tout vaseux et tout déformé sur la situation avant de se jeter dans l'action - elle grille l'étape. Le quart de son cerveau moins embrumé - celui qui gère la partie instinct de survie / combat / t'as été militaire vingt ans ma pauvre fille tu vas pas te laisser défoncer par la première blondasse venu - s'est réveillé et il est à fond. Comme à chaque soir qui finit en baston de barre. Baston ! Baston ! Elle balance son verre désormais quasi vide en direction de son adversaire. Avec un peu de chance, elle atteint la bonne personne et pas l'innocent qui passe derrière... Quoique qu'officieusement elle n'a pas le droit à dix pour-cent de bavure ?


 

Et le verre qui vient exploser à la gueule du gars juste derrière la blondasse. Raté. On ne peut plus rater. Même si c'est bien fait pour le mec quelque part, il avait sorti le téléphone pour filmer et maintenant il chouine parce qu'il a des bouts de verre plantés dans la main et parce qu'il a lâché son portable pour se protégé et que ce dernier est cassé au sol. Katerine contemple la scène avec un rictus amusé, sa concentration flirte avec les négatifs pour ne pas dire qu'elle s'est envolée avec le sixième shot de whisky. C'est ça de boire à jeun, avec le nombre de valium ingurgité supérieur au nombre d'heures de sommeil quotidiennes.. Elle se cherche des excuses. Au moins elle en a conscience.

Il y a des mecs autour d'eux, dont son pigeon du soir qui a tenté de mettre fin à la bagarre. Il ne doit pas aimer baiser avec des esquintées celui-là. Tant pis pour lui, le combat ne s'arrête pas. Dommage pour Kat aussi qui se prend un coup de pied chassé en plein ventre. Elle part valdinguer trois-quatre mètres plus loin, le comptoir arrêtant sa course. Elle s'y cogne la tête, finit par terre, adossée au meuble, sonnée. Si elle ne se relève, un peu chancelante, c'est uniquement à cause de l'adrénaline et d'un des credo de soldats de commandos : tu restes à terre, t'es putain de mort. Elle a le goût du sang dans la bouche, elle est à deux doigts de vomir à cause du coup dans le ventre. Si Jean apprend un jour qu'elle se fait défoncer dans des bars à moins d'une semaine d'un gros coup... La blonde ne veut même pas y penser.

Focus. L'autre se la joue taekwondo avec ses coups de pied à la con qui font particulièrement mal. Elle a donc besoin qu'il y ait une distance minimale entre elle et Kat pour armer. Conclusion, y aller collé-serré et vite. Alors elle profite que les gens autour d'elle lui demandent si ça va, créant ainsi un semblant de diversion pour fondre sur son adversaire, serrer le poing, viser le nez. Y mettre toute la force qu'elle trouve. Et prier pour ne pas s'effondrer sur la fille dans la foulée. Putain, faut dire qu'elle déguste là.

 

Elle sait encore mettre des poings dans les pifs des chieuses ! Champagne ! Oh oui, volontiers. Elle regrette presque de s'être engrainée pour une boisson renversée, elle a de nouveau soif. L'alcool ferait passer la douleur. Putain, mais quelle conne aussi, elle aurait du jauger avant de foncer tête baissée. Elle aurait éventuellement que la pouffe hautaine n'est pas toute frêle. Maintenant qu'elle est toute proche, Katerine peut témoigner. Puis elle a une bonne garde en plus de tout ça. Juste un poil lente... Dommage pour son museau. Qui ne daigne même pas saigner. Et le ton monte derrière, le barman ne veut pas qu'on salope son comptoir de taches rouges ou Kat ne sait pas trop quoi. Elle s'apprête à se retourner pour lui faire un doigt et éventuellement lui coller un pain, que cela dégénère en baston générale et pas en Oppenheimer se prend une branlée, quand on lui saisit le bras. Non mais faut qu'elle arrête la déconcentration là, bientôt elle va se mettre à suivre les petits papillons des yeux.

Clef de bras des plus standards, petit discours des plus raisonnables, ton un peu paternaliste. Tsss, ça sonne flic même si ça craint leur arrivée. Katerine joue à la fille sage, elle se laisse traîner dehors. De un parce qu'elle ne paie pas son addition, de deux parce qu'elle échappe ainsi à celui qui devait initialement payer l'addition à sa place - elle est un peu redescendue quand elle s'est prise le comptoir, sans la subjectivité alcoolique, il lui semble pas terrible du tout - de trois, la clef de bras, c'est une clef de bras de minets. Elle se fait sous-estimer à ce point ou son adversaire ne sait tout simplement pas doser sa force et alterne les coups de gros bourrin et les prises sans force ? Joker. Elle passe la porte avec l'ombre d'un sourire.

Plus de spectateurs, de l'air frais, moins de bruit, ça fait du bien. Ça tourne un peu aussi, à cause du whisky, à cause de son petit tour contre le comptoir. Elle s'allumerait bien une clope mais elle a un bras tordu dans le dos alors ce n'est pas le moment optimal. Un pas dehors, deux pas dehors, trois pas dehors. Et action ! Katerine passe son bras libre par dessus sa tête pour chopper l'adversaire au col, se baisse d'un coup pour que l'autre bascule par dessus. Après, il lui suffit de suivre le mouvement pour pas se retrouver avec le coude dans le mauvais sens. Puis si la miss Je-me-la-joue-responsable-et-civilisée-maintenant-que-je-gagne daigne lâcher son bras pendant sa chute, ça l'arrangerait, du moins qu'elle ne déconne pas à le tordre au passage. Kat en a un peu besoin pour tenir son HK.

 

Et elle est à terre, vautrée sur l'inconnue, tellement couru d'avance. Un bras étranger autour du coup, moins prévu ça. Les deux mains de Katerine s'y cramponnent, essayant de desserrer la prise pour s'échapper ou juste capturer un mince filet d'air. Se débattre, un peu, pour la forme. Elle n'a plus une putain d'once de force. Ne lui reste que les vapeurs de l'alcool, le vague goût du sang dans la bouche et ses problèmes qu'elle n'arrive pas à oublier. Ça ne lui est pas arrivée depuis combien de temps d'être au sol, comme ça, à se demander si elle ne va pas crever ? Au moins trois siècles. C'est le moment de sortir le couteau caché dans la botte. Celui datant de l'époque où il y avait encore une armée allemande et non un mélange de soldats de tout horizon. C'est le moment de remarquer qu'il n'y a pas de rangers à ses pieds, juste des chaussures de ville. Putain. L'est où son couteau ?

Kat a la bouche grande ouverte, l'autre lui dit quelque chose qu'elle ne pige pas. Arrêter de se débattre, ça ne sert plus à grand chose, économiser ses forces, amorcer le décompte. Record d'apnée ? Environ dix minutes. Elle peut en tenir mettons cinq. 300, 299, 298,... Vision qui se brouille, étoiles qui se mettent à danser. Flashbacks. Merde, mauvais signe ça. Le bruit des hélicoptères se fait entendre, des cris, elle qui recharge sa HK, à moitié vautrée dans la boue. C'est où ? C'est quand ? Tout se ressemble tellement... La copie d'une copie d'une copie. Elle a l'impression que le sol tangue, que la femme sous elle aussi. Et d'un coup, noir complet.

Respiration haletante, envie de gerber, elle est où bordel ? Faire le point. Elle est dehors, elle en sent l'air sur son visage, par terre, sur le goudron. Bordel, qu'est-ce qu'elle a foutu ? Ça fait combien de temps qu'elle est au sol. Elle ouvre les yeux, se redresse en position assise, regard dans le vague. Elle a mal partout, ça tangue autour d'elle. Un, deux, trois, elle se relève vacillante, à deux doigts de se casser la gueule de nouveau. Merde, merde, merde,.. Elle regarde autour d'elle pour faire le point. Une devanture de bar, ok, elle vient de là. La rue quasi déserte, normal il est tard. La blonde qui se tient en face d'elle. Ah, ça y est, Katerine se souvient. Sourire un peu de traviole. "P'tain, vous n'y êtes pas allée de main morte. Ça faisait longtemps.." Rire un peu jaune, demain elle va déguster. Rien qu'à rire d'ailleurs, elle ne sent que trop bien qu'elle s'est prise un vieux coup dans le ventre. "Je vous dois bien une tournée mais vous avez renversé mon verre alors j'imagine qu'on est quitte..." ajoute-t-elle en mettant un semblant d'ordre dans sa tenue avant de planter ses yeux dans ceux de son adversaire. "Ce sera sans doute pour la prochaine fois. En attendant, bonne soirée." Et elle tourne les talons, se concentrant pour marcher droit sans pour autant prendre le pas militaire qui - à force d'heures d'entrainement - revient en réflexe dés qu'elle est à bout. Première mission, trouver un taxi, deuxième mission ne pas se tromper dans l'adresse, troisième mission, reprendre l'entraînement un peu plus sérieusement pour étaler la blondasse. Oui, elle compte bien avoir sa revanche.