Alourdie par la sueur, une mèche blonde tombe au milieu de la face d’Eva qui essaie de la balayer d’un gros souffle. Peine perdue ; elle devra faire avec.

*Rien ne va, journée de mmmm*

En nage et harassée, elle s’ordonne de tenir bon. Elle tourne la tête pour regarder par-dessus ses épaules la distance qui lui reste à souffler comme un bœuf. La porte d’entrée est en vue. Plus que quelques petits mètres à charrier la tonne qu’est madame Crowthorne, allez !

Sur le trajet, des pensées désordonnées s’entrechoquent dans sa tête. Entre fébrilité et angoisse. Elle imagine ses collègues de la Scientifique envahir son appartement pendant qu'un flic en pleine gueule de bois ne gobera pas un mot de la thèse accidentelle. On lui reprochera d'avoir déplacé le corps sans au préalable avoir appelé les secours ou vérifié les signes vitaux…

*C’est vrai ça, pourquoi n’avoir pas vérifié que la vieille respire encore ?!*

D’instinct, sa première pensée a été de sortir rapidement la concierge vers un air plus sain. Mais peut-être s’embête-t-elle à traîner à bout de bras un cadavre… De quoi tout ça aura l’air si en plus on tombe sur sa gamme de petits bidons de produits toxiques dont certains hautement corrosifs et réactifs à l’air ?

Elle atteint sa destination. Dans le couloir de l’étage, le froid du sol traverse ses collants dès qu’elle y pose le pied. Cependant, ce n’est pas cette sensation subite qui la pétrifie sur place. Elle n’a pas besoin de tendre l’oreille. Dans la cage d’escalier, des pas qui martèlent à bonne cadence se rapprochent. La poisse qu’elle se coltine depuis qu’on l’a dépêché dans les égouts ne lui laisse aucun espoir. Les pas ne se stopperont pas à un étage inférieur ; c’est forcément la nouvelle voisine. Celle qu’on ne voit jamais, mais qui évidemment se décide à poindre le bout de son nez juste maintenant, rrrah !

Que faire? Balancer madame Crowthorne dans l’appart, et après quoi ? Le temps de se décider, le sommet d’un joli bonnet surgit et en un clin d’œil, Eva doit avoir l’air bien suspect, avec un corps visiblement inanimé à moitié sorti de son appartement. Dans une réaction instinctive de dénégation, elle s’apprête à tout lâcher et clamer haut et fort « j’ai rien fait ! ». Elle ne remue pas un pouce, complètement figée par la tension. Et heureusement ! Manquerait plus qu’une commotion cérébrale pour achever la pauvre madame Crowthorne, si celle-ci n’est pas déjà couic…

La nouvelle venue retrousse le nez, incommodée par l’odeur nauséeuse qui flotte autour d’Eva. Puis tel un diable sorti de sa boîte, la jeune femme bondit à l’intérieur de l’appartement.

*M-mais.. hé qu’elle ne se gêne pas surtout !*, maugrée Eva, qui apprécie moyennement l’intrusion même si nécessité fait loi.

Se remettant à sa besogne, elle tire de plus belle la femme de ménage pour l’extraire entièrement de l’appartement, alors que s’entend un choc sourd suivi d’un cri de douleur.

*Est-ce qu’en plus, madame sans gêne m'abîme mes affaires ?!*

Toujours aussi vive, l’intruse revient et prête main-forte pour allonger madame Crowthorne dans le couloir. Aussitôt décramponnée sa prise, Eva fait gesticuler ses doigts ankylosés, pendant que la voisine la bombarde de questions.
– Attendez…
Elle va à sa porte et enlève le soulier qui sert de cale. Puis le jette négligemment à l’intérieur. Elle claque la porte et s’y adossant, elle prend une minute pour se rassembler. Son regard se pose sur la femme sans vie sur le sol avant de remonter sur la voisine qui brandit un téléphone.
– Non ! , l’arrête-t-elle d’un ton impératif en se catapultant en avant.
Son élan est entravé par le corps étendu entre elles, déjouant l’intention de l’Irlandaise d’envoyer valdinguer le téléphone des mains de sa voisine.
– C’est inutile. L’odeur, c’est moi , s'explique-t-elle un peu plus.
Elle pince une mèche de cheveux qu’elle étire en l’air pour appuyer son propos. Il lui faut vraiment prendre une douche, mais son appart est condamné. Pour combien d’heures ? Elle l’ignore, encore dans le flou sur les composés du gaz qui a terrassé la femme de ménage.
– Excursion dans les égouts. Longue histoire.
Sans parler que ce ne sont pas ses oignons. L'experte en criminalistique baisse les yeux sur le corps, anxieuse à l’idée d’être fixée sur le sort de cette dernière. Pourtant, il le faut. Elle perd peut-être de précieuses minutes.

*Ne soyez pas morte, ne soyez pas morte, ne soyez pas morte*, tente-t-elle de conjurer le dessein de la faucheuse.

Sans rien laisser transparaître de ses inquiétudes, elle s’accroupit pour se saisir du poignet de madame Crowthorne tout en se penchant vers le visage.
– Elle est... , marmonne-t-elle, en levant un visage livide.
La voisine a ouvert son appartement, ainsi que la baie vitrée de la loggia – seule apparat de leur logis exigu. Au signe de la voisine l’invitant à entrer, Eva se redresse. Elle peine à contenir l’émotion qui lui noue l’estomac, alors qu’elle charrie à nouveau madame Crowthorne pour l’étendre au milieu du salon.
– Avez-vous de l’alcool ? Fort, demande-t-elle en se rendant vers le canapé pour en piquer un des petits coussins décoratifs.
Soulevant la tête de madame Crowthorne, elle glisse le coussin en dessous.

De la couleur revient sur les joues blêmes d’Eva, alors qu’elle s’admoneste une paire de gifles mentales. Elle n’a pas le droit de laisser la panique la dérayer. Oh ça non, elle ne doit surtout pas perdre les pédales ! Devenir une petite chose affolée serait contre-productif. Elle a besoin de toute la vivacité de son esprit pour réfléchir aux moyens d’action efficaces qui limiteront la casse. Au milieu du tourbillon de pensées, d’impressions et de flashs dans sa tête, elle se revoit entrer dans son appartement. Sentir une odeur douceâtre qu’elle n’arrivait pas identifier, or à présent, elle a mis le doigt dessus. Soudain, elle respire mieux. Affichant du sang-froid, elle se redresse de toute sa hauteur pour s’apercevoir que la voisine ouvre son logement et l’invite à entrer. Elle plisse imperceptiblement les yeux, méfiante. Tant d’hospitalité sème le doute sur l’honnêteté, cependant, elle n’a guère de choix. Aussi ne perd-elle pas de temps en tergiversions stériles, et tire péniblement madame Crowthorne jusqu’au milieu du salon. À mi-chemin, elle marque une pause pour retrouver un second souffle. Intervenant sur le terrain une fois le crime circonscrit, jouer des poings n’est pas requis dans l’exercice de ses fonctions au sein de la police scientifique. Toutefois, au fil des lourdauds à rembarrer, l’Irlandaise s’est dotée de prises bien senties. Sauf qu’avec le déménagement, elle a momentanément lâché le sport. Erreur de priorités qu’elle se doit de rectifier. Dès demain, elle se renseignera sur ce que l’EPD met à disposition comme salles d’entraînement.

Même sans balayer la pièce, son sens de l’observation capte des éléments que son cerveau traite automatiquement. Cosy, mais sans recherche ni personnalité propre. Elle va s’emparer d’un coussin pour le passer sous la tête de madame Crowthorne, tout en demandant de l’alcool fort. De préférence de l’Irish whiskey, ça va sans dire. Ceci dit, ça serait trop beau, et cette journée calamiteuse ne l’encline plus à l’optimiste.
– Si c’est ce que vous avez en stock, ça fera bien l’affaire.
La jeune voisine disparaît dans ses placards. Eva vrille ses iris sur la femme étendue à ses pieds. L’état est critique, toutefois, le pronostic vital n’est pas engagé... La voisine refait surface et lui tend une bouteille avec un fond de vodka.
– Merci...
Elle s’empare de la bouteille, néanmoins, sur sa faim. N’aura-t-elle pas avec, un verre pour se servir ? Visiblement, non. D’une voix hésitante, la voisine pose enfin la question qui devait lui brûler les lèvres depuis la première minute.
– Elle, c’est madame Crowthorne, Coletta Crowthorne. Notre concierge, fait-elle les présentations puisque sa voisine ne semble pas avoir eu de prise de contact avec le service d’immeuble. Ou peut-être seulement avec le mari ? Je vous en prie, respirez à fond, vous allez lui attirer la guigne.
Elle porte la bouteille à ses lèvres pour une rasade. Elle l’avait échappé belle !
– Zzzzzzzeeerrgl à réveiller un mort !, clame-t-elle en secouant une fois la tête dans une grimace.
À l’instar de bon nombre de ses compatriotes, elle ne rechigne pas à lever le coude. Jamais jusqu’aux abysses éthyliques, en revanche. Son père médecin l’a très tôt abreuvée d’images-chocs qui agissent comme garde-fou pour étancher sa soif d'excès.

Consciente que la senteur de ses cheveux peut imprégner le canapé, c’est sur un pouf qu’elle se laisse choir. Elle se penche pour poser la bouteille sur la table basse, puis observe les remous faiblissants du liquide. Ça va mieux. Les rouages de son esprit ont sorti des résultats rassurants. L’odeur sucrée et écœurante qu’elle a sentie, n'est autre que du chlorure de méthylène. Elle se rappelle d’ailleurs l’avoir récemment utilisé pour décaper une peinture particulièrement résistante. Visiblement, elle l’a mal rangé. Le composé est toxique, comme la plupart des produits de nettoyage, mais pas mortel... à moins de fortes doses d’inhalation.
– Vous pouvez vérifier. Elle respire. Son pouls est dans la norme d’un adulte. Le corps est chaud.
Sans doute les constantes de madame Crowthorne sont stables. Mais comme elle ne réagit pas, on peut exclure qu’elle dorme simplement. Même d’un sommeil lourd. C’est clair qu’elle est dans les vapes… et qu’on peut raisonnablement craindre qu’elle soit dans le coma. Or, suspecter Eva de non-assistance à personne en danger serait mal juger sa nature profonde.
– Mais je suis curieuse de savoir ce que vous comptiez faire, s’il s’était avéré qu’un cadavre trône dans votre salon.. Dites, vous n’êtes pas une de ces malades qui déterre des morts pour les tripatouiller ?, s’amuse-t-elle comme à son habitude à bousculer les gens. Je m’appelle Eva, au fait. Entre complices, on peut presque se tutoyer, remarque-t-elle avec un petit sourire.

La voisine s’excuse pour la bouteille qu’elle lui a refilée. La criminaliste hausse vaguement les épaules, qu’importe. De toute façon, elle ne recherchait aucun plaisir du palais dans le breuvage, juste un assainissement de son corps et de son esprit. Dans cette visée, le tord-boyaux a rempli sa mission. Eva se laisse tomber sur un pouf. Soulagée. Elle a eu peur pour les fouilles qui auraient été menées à la suite de la découverte d’un cadavre dans son appartement. Mais rien n’égale la panique d’avoir une responsabilité dans la mort de quelqu’un. Heureusement, la situation est moins critique qu’on ne pouvait le redouter.

La voisine se renseigne sur l’état de la femme allongée. Eva se montre – et elle l'est – confiante sur le sort de madame Crowthorne. Si elle se le rappelle bien, son petit bidon de chlorure de méthylène est à moitié vide...

*Haaan mais attends c’est pour ça que je ne l’ai pas planqué ! Pense-bête, pour me rappeler de m’en procurer à nouveau*

Ok son bidon de chlorure de méthylène était pratiquement vide, c’est une certitude ! Et comme il y avait encore du liquide dedans, madame Crowthorne n’a même pas tout versé. Probablement qu’elle a utilisé le bouchon du bidon comme doseur. Petit, celui-ci ne permet qu’une quantité limitée de liquide en une fois. Dans son esprit évacué d’angoisses se dessinent avec netteté les autres produits décapuchonnés et qui ont servi de solvant : de l’alcool ménager et une bouteille de vinaigre. D’après ses connaissances sur les propriétés de ces composés, elle suppose que la concierge préparait un nettoyant écologique pour toutes surfaces. En tout cas, le mélange agrémenté d’un composé volatil comme le dichlorométhane provoque une évaporation fulgurante. Et le gaz sitôt inhalé, la pauvre Coletta a dû tomber dans les vapes. Mais un seul petit bouchon, ça va ! Pour autant, on ne peut pas la décréter hors de danger tant qu’elle ne reprend pas conscience. En évaluant approximativement la dose, l’effet devrait durer une heure, une heure et demie. Guère plus, sinon c’est inquiétant. Sachant l’heure à laquelle la femme de ménage devait venir chez elle, tenant compte aussi qu’elle a dû commencer par passer l’aspirateur et ranger le désordre qui jonchait le sol… et bien normalement le réveil ne devrait plus tarder !

*Je rayonne autant que ça, d’innocence ?*, s’étonne-t-elle alors que la voisine prend ses dires pour argent comptant.

Étant donné les circonstances de leur rencontre, elle pensait éveiller de la méfiance.
– Si vous me le dites, me voilà rassurée, répond-elle avec un de ses légers sourires en coin.
Ce ne sont pas les paroles de la voisine qui lui confirment son inoffensivité, mais les agissements de cette dernière jusqu’à lors. Et la crédulité qu’elle manifeste à l’égard d’une femme qui traînait un corps sans vie hors de son appartement. Pour cette jeune femme, ça semble inconcevable qu’il y ait eu crime. Eva est donc tentée de supposer que la mignonnette mène une vie tranquille et préservée. Est-elle aussi nouvelle arrivante dans la capitale du crime et de la corruption comme on entend dire d'Europolis ?

L’Irlandaise décolle de son pouf pour se redresser le temps de serrer la main qu’on lui tend. Elle ne manque pas de se faire la remarque à elle-même que le geste peut s’apparenter à celui d’un pacte qui scelle leur complicité.
– Enchantée aussi, Chloé.
Le prénom, dont la sonorité est agréable à l’oreille, colle bien à la jeune femme pleine de vivacité qui le porte. Eva laisse dire, mais Chloé s’avance un peu pour la vie sauvée.
– Merci, accepte-t-elle le verre qu’on lui offre.
Elle observe la belle couleur de l’alcool, certaine de ne pas apprécier le goût à sa juste valeur. Madame Crowthorne ne se réveille toujours pas. Elle s’apprête à porter le verre à ses lèvres pour une gorgée qui tout au plus, la réchauffera un peu. La demande de détails de Chloé avorte son mouvement pour lever le verre.
– Madame Crowthorne fait le ménage chez moi. Je crois bien qu’elle a voulu concocter un nettoyant maison. J’ai un produit incolore qu’elle a dû prendre pour de l’eau distillée. Il est très volatile, dans le mélange, il a provoqué une réaction d’évaporation. Le chloroforme, tu connais ses effets anesthésiques ? Eh bien, le gaz que Madame Crowthorne a dû inhaler a un effet comparable.
Ne l’ayant pas touché, Eva se penche pour poser son whisky sur la table et se lever.
– Elle devrait se réveiller maintenant...
L’inquiétude perce dans sa voix. Aurait-elle mal apprécié la gravité de l’état de madame Crowthorne ? Elle retourne vers le corps et s’agenouille près de la tête. Elle prend une main de la concierge dans la sienne et se penche sur le visage, guettant – priant même pour un tressaillement des paupières.

*Non, ne soyez pas dans le coma quand même… si!?*

Elle relève la tête, tandis que la pointe de ses cheveux chatouille le visage de Coletta.
– Chloé, ton téléphone, appel-..., commence-t-elle à enjoindre sa voisine à prévenir les secours, mais un bruit de reniflement la coupe soudainement.

Au bruit de reniflement, la blonde rabaisse la tête sur Madame Crowthorne qui donne des signes de réveil. Alléluia! Eva place une main dans le dos de la rescapée pour accompagner le mouvement et l’aider à se mettre en position assise.
– Ça va ? Vous vous sentez comment ? Vous savez votre nom ? Et moi, vous me reconnaissez ?
Avec un air visiblement désorienté, madame Crowthorne bredouille des « oui.. oui… ». Elle regarde Eva, puis la pièce dans laquelle elles se tiennent et dont le décor ne lui est pas familier.
– Où.. sommes-nous... ? .. Qu’est-ce.. qui s’est passé… ?
Dans la cuisine, on entend Chloé s’affairer.
– Chez ma voisine de palier, Chloé. Vous savez, la nouvelle qui vient de s’installer. Vous avez respiré des produits.. Venez, on va sur le canapé.
Elle l’aide à se lever et aller s’assoir sur le canapé, tandis que Chloé refait son apparition avec un plateau. À peine, cette dernière pose le tout sur la table basse que le bruit de vibration d’un téléphone se fait entendre. Le coup d’œil à l’écran donne connaissance de l’appelant qui fait alors tirer une drôle de tête à Chloé. De toute évidence, c’est un appel fâcheux. La jeune blonde part s’isoler pour répondre, alors que la chimiste prend en main la relève de la préparation du thé. En toute tranquillité, elle penche la brique de lait pour verser un nuage calculé dans la tasse de thé apportée. Pendant quelques secondes, elle attend de voir s’il faudra rajouter encore un soupçon. Puis avec une petite cuillère, elle égrène une quantité désirée de sucre avant de touiller en délicatesse, autant qu’il le faut pour que le mélange prenne en douceur. Une fois satisfaite de l’aspect de la solution, elle goûte une cuillérée.

*Mmh-mmh*, approuve-t-elle son dosage en reposant la cuillère sur le plateau.

– Voilà, tenez, buvez un peu. Ça vous fera du bien.
Avec un sourire encourageant, elle tend le breuvage à madame Crowthorne, qui cligne alors des yeux subitement sortie de cette insolite cérémonie du thé.
– … euh ah merci…
Sur un sourire silencieux, Eva se lève pour aller refermer la baie vitrée. On se les caille ! En fait, maintenant qu’elle n’a plus le tracas de l’état de Coletta, elle réalise que ses tressaillements proviennent en partie de la lutte de son corps contre le souffle froid du dehors. Derrière elle, la concierge s’inquiète de l’heure en voyant l’obscurité par la vitre. Son mari doit se demander pourquoi elle traîne tant.
– Ne vous en faites pas, on va l’appeler tout de suite.
Laissant la dame continuer à se réchauffer avec sa boisson, l’Irlandaise se rend dans son appartement où l’accueille un froid tout aussi glacial. Elle se rend à la baie pour la fermer. Elle hume l’air, mais ne détecte plus d'odeur inhabituelle. Sans prétendre rivaliser avec des mutants aux sens surdéveloppés, elle a un nez plutôt fin. De même qu’une excellente acuité visuelle. L’exercice de son travail a d’autant plus développé ses prédispositions naturelles, notamment dans sa rapidité d’association entre les odeurs et de mémorisation des éléments d’un environnement. C’est donc tel qu’elle se souvenait qu’elle retrouve « le lieu du crime ». Elle ramasse le bidon de chlorure de méthylène et prend connaissance des autres produits pour confirmer ses suppositions… Tout va bien, elle a vu juste sur toute la ligne !

Retournant dans le hall de son appartement, elle se chausse. Puis s’empare de son sac, de son manteau et de ses clés ainsi que des affaires de madame Crowthorne. Sans oublier d'emporter un bonnet, ça cloisonnera l'odeur de ses cheveux. Elle verrouille sa porte. Il faudra quelques heures pour que la température remonte. Peut-être ira-t-elle à l'hôtel pour cette nuit. En revenant chez sa voisine, elle pose le tas d'affaires à côté de la concierge.
– Quand vous aurez fini votre thé, je vous accompagne à l’hôpital pour un contrôle.
La dame bafouille comme quoi ça va bien. Elle veut juste rentrer chez elle.
– Vous pourrez appeler votre mari dans la voiture, poursuit-elle sans tenir compte des protestations.
Chloé revient avec une mine déconfite. Elle se redescend un verre de whisky. Mauvaise nouvelle ? Elles ne se connaissent pas suffisamment pour être indiscrète sur la vie de l’autre, aussi Eva ne pose-t-elle pas de questions. Chloé propose de manger. Eva a l’estomac dans les talons et lorgne sur son verre de whisky qui la requinquerait, mais elle se retient d’y tremper ses lèvres. Boire une goutte de plus d’alcool et il sera imprudent de prendre le volant.
– Merci, mais je vais la conduire à l’hôpital. Tout semble bien ok, mais un contrôle, c’est plus sûr.
Elle se penche et trie les affaires pour passer à madame Crowthorne son manteau, et pendant qu’elle revêt le sien, elle assure avec un sourire reconnaissant :
– On ne va pas te déranger plus longtemps. Merci beaucoup pour l’aide, je te renverrai l’ascenseur, Chloé.

Pendant qu’au comptoir de la réception, monsieur Crowthorne complète un formulaire d’admission, Eva renseigne le médecin sur le mélange gazeux inhalé. Ce dernier note le nom des produits. Prévoyant qu’ensuite, elle devra rendre des comptes sur la présence d’un volatil toxique à une concentration qu’on ne trouve pas dans les rayon des magasins – même spécialisés –, Eva prépare une explication qui la compromettra le moins possible. Or le médecin l’interroge sur l’origine de son « chantonnant accent »…

*Je lui avoue détenir du dichlorométhane pur à plus de 99%, et c’est ma façon de chanter les mots qui lui fait tilt !?*

Oh bon après tout ! Elle arbore un sourire charmeur pour révéler l’information qui paraît primordiale au médecin pour sa compréhension de la situation. Il raconte qu’il a toujours rêvé de visiter l’Irlande, et qu’il prévoyait justement un séjour prochainement, alors si elle a des bons plans, peut-être qu’ils peuvent se boire un verre un de ces soirs… Eva se retient de rigoler franchement en entendant cette histoire cousue de fil de blanc, mais à la façon dont ses yeux rieurs le considèrent, on devine qu’elle n’est pas dupe.
– Avec plaisir, vous me prêtez votre stylo?... Voilà, vous avez mon numéro. Et si demain, vous pouviez m'envoyer un message pour me tenir au courant de l’état de madame Crowthorne.
Elle ne sait pas encore si elle donnera réellement suite. L’homme est séduisant, mais son manque de minutie dans le travail lui fait perdre une grande partie de son attrait.

*Comme je m’en suis trop bien sortie au bout du compte !*

C’est d’un pas léger qu’Eva sort de l’hôpital. On garde madame Crowthorne sous surveillance pendant 24h, mais il n’y a pas lieu de penser qu’il y aura la moindre séquelle. Cette dernière ne lui en veut même pas, se rendant elle-même fautive de sa propre négligence. Devant l’hôpital, la blonde prend congé de monsieur Crowthorne qui reste encore un moment au chevet de sa femme. Eva reprend sa voiture et s’arrête sur le chemin dans un hôtel pour passer la nuit... sans couper le passage à la douche et au shampoing bien sûr !




Eva sourit et tape dans ses mains. Le capricieux ascenseur de son immeuble se décide à se mettre en branle, répondant pour une fois avec empressement à son appel ! Est-ce un bon signe pour la journée à venir ? Arrivée à son étage, l'Irlandaise jette un coup d’œil à la porte de sa voisine. La veille, en quittant Chloé, elle a eu la drôle d’impression d’abandonner un petit chat sur le bord de la route. Elle pensait pourtant que sa voisine avait besoin d’être seule pour digérer la nouvelle reçue. Elle esquisse une moue dans un soupir. Elle ne manque pas d’observation, mais savoir comment bien réagir, ce n’est clairement pas simple pour elle ! Ryann dit que c’est parce qu’elle prête bien trop souvent aux autres sa propre façon d’être et d’agir.

Ce n’est pas tout ça, mais elle doit se changer et repartir au travail ! Elle ouvre sa porte et baisse les yeux pour voir sur quoi son talon a légèrement glissé.
– Oh tiens…
Elle se baisse pour ramasser le bout de papier. En prenant connaissance du mot, elle sourit. Chloé est vraiment une fille adorable ! Sur un autre carré de papier, elle griffonne un mot pour accepter avec enthousiasme et note en bas son numéro de téléphone. Après avoir terminé de se préparer, elle ressort de chez elle en vitesse et glisse son mot sous la porte de sa voisine. Sachant qu’il ne faut pas abuser de la serviabilité de son ascenseur – pas le temps pour être bloquée entre deux étages –, elle ne tente pas sa chance une seconde fois et descend par les escaliers. Elle n'est pas tout en avance ! D'autant qu'il lui faut encore s'arrêter prendre cafés et croissants avant de se rendre au rendez-vous à l’Université avec un spécialiste des sols qu’elle consulte pour une analyse dans une enquête de vol par effraction.