Dans quoi je m’embarque ? Si aucune opportunité ne se déclenche dans ce qui va suivre, ce temps risque d’avoir été perdu, mal investi, et même contre-productif du fait de ses conséquences. Il fallait que je me montre encore meilleur qu’au centre commercial, sous peine autrement d’être totalement perdu entre différentes responsabilités et contraintres contradictoires entre les Foxes, les Fantômes au global, ma famille et la jeune guerrière. Tout ça était d’un compliqué... Mais c’était tout aussi dur pour moi d’aller à l’encontre de mon instinct, de devoir me contraindre un peu gratuitement, en quelque sorte. Nous quittons l’endroit où nous venions de danser, et je me rendais compte que les battements de mon coeur, d’ordinaire si bien maîtrisés, étaient sous le coup d’un rythme plus rapide qu’à l’accoutumée. Nous arrivons à la voiture. J’évite un moment le regard de Liv, qui se permet de mettre un peu de musique, assez fort pour qu’on l’entende, mais pas assez pour que cela puisse étouffer le son de sa voix quand elle m’indiquait la direction à prendre. Bien sûr, je sais où elle habite. N’étant lié de mon côté par aucune parole, je l’avais suivie... Dès le premier jour. J’étais un homme prudent.


Un renard timbré, pas un loup.


Nous finissons par arriver et je la suis dans des escaliers extérieurs. Elle pose finalement sa main sur mon bras pour me stopper et m’indiquer qu’elle a le tout dernier appart, au dernier étage. Que je ne peux pas me tromper. Je prends sa clef et opine du chef en guise d’acquiescement, avant qu’elle me dise qu’elle arrivait tout de suite. J’achève donc la montée et ne tarde plus à me retrouver devant sa porte, étudiant la serrure d’un coup d’oeil. Modèle standard. Forte torsion, mais un seul point de contact avec la chambranle. Elle ne résisterait jamais à quiconque voudrait entrer de force, mais la principale défense de l’appartement était la Valkyrie elle-même, après tout. Je sais que je n’ai que quelques secondes, alors je le mets à profit pour repérer fenêtres qui s’ouvrent, ouvertures, issues. Je n’ai le temps de rien fouiller... L’endroit en tout cas, est étonemment moderne. Je me serais attendu à quelque chose de plus rustique de la part d’une nonne guerrière, finalement. Un grand lit sur la droite, canapé au fond de la pièce, tapis et décorations bien choisies, couleurs passes-partout. J’ai bien fait de ne pas fouiller, que déjà la revoilà. Je me retourne. Souris en voyant la bouteille.


| Les gens ne boivent pas pour cinquante raisons avant de faire ça. Pour se rassurer, pour se donner du courage, pour s’anesthésier quand le partenaire est suspecté de ne pas être à la hauteur. Pour toi, c’est quoi ? |


Liv finit aussitôt pieds nus, juste en robe, et elle range la lame qu’elle avait prise avec elle pour sortir dans un tiroir de son meuble d’entrée. Information que je notais bien soigneusement, dans un coin de ma tête. Elle se rapproche. Nous sommes si proches que nos regards se croisent à nouveau et se jaugent, tandis que je sens son souffle sur mon cou.


| Maintenant, c’est à toi de voir, selon la situation. Si tu mettrais le mot « passion » ou « intensité » dans ce qui t’a permis d’accrocher ton partenaire, tu peux te permettre d’aller vite, de se retirer à toute vitesse les vêtements et de passer à la suite. Ou de faire durer le moment, de la façon la plus adéquate. Tu dois surtout toujours faire ce dont tu as envie, en tout premier lieu. A toi. |

L’appartement n’est pas sobre, loin de là. La déco est plutôt fournie. Mais on voit que c’est l’appartement d’une personne vivant seule ; il n’y a l’étalage que d’un seul jeu de goûts, ici. Rien de plus. Et visiblement, c’était aussi quelqu’un qui avait feuilleté les magazines d’ameublement. Ca collait avec le profil de la Valkyrie ; je l’imaginais mal en train de lutter elle-même dans un magasin Ikea ou Conforama pour se meubler. Personne n’aimait ça, en vérité, sauf les gens qui avaient un sérieux pète au casque. Et c’était un expert qui était présent pour les juger en la matière… Liv remonte. Elle semble un peu moins emballée que tout à l’heure ; je vois toujours de l’intérêt dans ses yeux, mais elle a récupéré son souffle et semble un peu plus maîtresse d’elle-même, un peu moins sous l’emprise de ce que j’étais en train de lui apprendre. Elle me parle de boisson et je lui explique différents choix possibles. Je lui explique alors, qu’elle n’a peut-être pas la pudeur des gens normaux.


| Parce que des gens ont peur d’échouer à satisfaire leur partenaire. D’autres parce qu’ils se croient incapables de tout, ou se dévalorisent physiquement parlant. Il peut y avoir beaucoup de raisons à ça. En ce qui me concerne, j’apprécie simplement. De toute manière, que je sois à la hauteur ou non n’est pas vraiment l’enjeu ; notre objectif est surtout que tu n’ailles pas te faire choper à faire n’importe quoi. Je te fais découvrir, c’est tout. |


Elle devait bien avoir compris que je n’étais pas en recherche de quelqu’un pour former un couple, pour oublier pour de bon Jenna et passer à autre chose. Je me doutais bien que jamais ma femme ne reviendrait vers moi ; le passif était tout simplement trop important. D’un autre côté, j’esperais quand même, même malgré moi, que les choses puissent s’améliorer d’elles-mêmes. On était toujours guidé par un rien d’utopie, et ce n’était pas un mal tant qu’elle ne dirigeait pas l’intégralité de vos actions, que vous restiez les pieds sur terre. Elle en oublie le verre ; elle ne le sert pas. Elle revient vers moi, et me débarrasse de ma veste d’un geste gracieux, presque félin. Plein de maîtrise en tout cas. Elle jette la veste sur le fauteuil, et me dit qu’elle ne comprend pas tout. Sa main, ferme et puissante, se pose sur mon torse. J’aime ce genre de contact. Cette presque caresse, mais peu mobile. Difficile à expliquer. Elle vient à nouveau effleurer mes lèvres. Mes mains se posent sur ses hanches. Tirent sur sa robe, et la font remontrer sur ses dessous… Jusqu’à épouser la courbe de ses reins.


| Faire durer, c’est ça. |

La situation est étrange. Imprévisible. Inconfortable. Donner des conseils était naturel chez moi ; avoir été officier aussi longtemps, ça m’avait naturellement poussé à me montrer pédagogue auprès de mes hommes, du coup. En revanche, venir jouer les jolis cœurs auprès d’une ennemie… C’était le job d’espions, ça, pas celui d’un soldat. Ce n’était pas tant que je n’étais pas doué en mensonges et en manipulations, parce que ça allait de paire avec le fait d’avoir tenu une unité secrète pendant des années, mais c’était surtout que ce n’était pas comme ça que j’avais l’habitude d’utiliser mon corps en opération. Je ne pouvais plus reculer ; je l’avais bien compris. Une fois que cette donnée était assimilée… Il ne me restait plus qu’à foncer et à tenter le tout pour le tout. Me ménager une faille, et profiter de l’opportunité qui en découlerait immanquablement. Essayer d’expliquer des choses que je n’avais pas tant maîtrisées dans le passé n’était pas la chose la plus facile qui soit, vous pouvez me croire. Liv comprenait vite, toutefois. En même temps, cela faisait combien de temps qu’elle avait dû commencer à s’adapter au monde des hommes ? Cinq ans ? Six ans ? Elle savait y faire, maintenant. Et elle avait compris que nous n’étions pas tant des individus de principes que d’instincts. Je maugréais lorsque la jeune femme disait que l’abus d’alcool était dangereux, et qu’elle préférait que je sois à la hauteur de ses attentes malgré tout.


| Je serais à la hauteur. Je n’entreprends rien que je ne sois pas capable de réussir. |


Les combats perdus d’avance ne m’avaient jamais attiré ; même lorsque je portais le béret rouge et pas encore le noir, je préférais bouleverser la situation tactique plutôt que de me battre bêtement par sens de l’honneur. Ca ne voulait pas dire que je n’obéissais à aucun principe martial, mais je me rappelais surtout des leçons de mon instructeur, jadis ; il n’y a pas de destin, mais ce que nous faisons. Lutter contre la fatalité était le propre des soldats. Je soutiens son regard, quand elle me dit qu’elle ne comptait pas me redemander ce genre de « service ». J’aimais toujours Jenna, mais je n’étais pas stupide ; jamais elle ne reviendrait vers moi. En revanche, je pensais à mes filles. Si je voulais les revoir un jour, le mieux serait de ne pas donner l’impression que je vivais dans la débauche… Ou que je remplaçais rapidement leur mère. De plus, entretenir une relation suivie avec une ennemie, ce n’était pas à l’ordre du jour ; Liv respectait un code d’honneur assez strict, mais nous avions un très lourd passif qui ne manquerait pas de revenir à la charge à la première difficulté.


De toute manière, il est trop tard pour réfléchir à quoi que ce soit

Tout avait basculé en très peu de temps. La lame fuse vers son cou alors que nos corps sont encore mêlés, unis. D’instinct, la Valkyrie pare avec son avant-bras et la lame, trop fine et trop longue, ne fait que riper après avoir légèrement mordu la chair pour riper sur l’os. Je serre les dents, alors qu’elle me repousse mais manquant d’assise, d’équilibre et de force, elle ne parvient pas à me faire tant bouger que ça. Son exclamation, mi-surprise mi-furieuse, suffit à me donner la diversion dont j’ai besoin ; elle veut comprendre, pas tant se battre. L’entrejambe encore humide, je dégage mon bras et me replace à genoux, au bout du lit, poings dressés et lame contre mon propre avant-bras, tenue pointe en bas.


| Tu planques ça sous ton oreiller, et tu vas me faire croire que t’allais pas faire la même chose ? C’était quoi le plan ? Me séduire, attendre que je m’endorme, et me trancher le cou ? Je suis un Fantôme, connasse. Si je disparais, les autres viendront te trouver. |


Du moins, ils essaieraient ; Par instinct de survie, par loyauté, mais aussi par pur pulsion de meurtre, qui trouverait enfin un exutoire convenable. Je ne parlais pas pour ne rien dire ; je ne voulais pas non plus l’effrayer, mais je connaissais sa force inexplicablement supérieure. J’avais parlé d’un ton haineux avant de calmer ma respiration. Et d’attaquer derechef, direct du gauche en direction de sa mâchoire, mais diversion avant de plonger la lame en direction de son diaphragme

La lame fuse et l’égratigne. L’angle, trop pointu, ne me permet pas de percer profondément ses chairs et quand bien même, son réflexe d’avoir levé son bras devant son visage est efficace ; en sus mon attaque a foiré et je n’ai pu que l’entailler sans percer la chair et le muscle entre ses os, ni fendre celui-là ; la dague est trop fine, d’étrange facture, et il faut dire aussi que sa vivacité en plus de sa résistance, ça fait forcément beaucoup pour sa protection. Je gronde et tente de la repousser, mais c’est elle qui y parvient. Le combat est brutal, sans concession. L’instant d’avant, nous jouissions l’un de l’autre. L’instant d’après, nous étions en train de nous étriper, nus et couverts de nos odeurs, de nos sueurs mêlées. Son lit commence à recevoir les premières gouttes de sang qui s’écoulent de sa blessure légère. Elle m’explique qu’elle dort toujours avec, et se répand en dénégations des plus vives ; cela montre un certain degré de sincérité… Et honnêtement, pouvais-je nier que moi aussi, je dormais avec une arme ? Pas sous l’oreiller. Trop dangereux, même avec la sécurité. J’avais déjà failli tuer ma femme comme ça. Je la rangeais, maintenant, même si elle restait à portée de main.


Liv réalise que je n’ai rien promis, et cette révélation la fige ; elle avait cru sans doute que l’honneur ou de beaux principes retiendraient toujours ma main, mais ce n’était pas le cas. Ca ne serait jamais le cas. Quand je n’étais encore qu’un jeune soldat, je montrais déjà bien peu de remords à exécuter les tâches les plus sales et les plus ingrates, mais maintenant… L’entraînement des Fantômes m’avait largement déshumanisé. Et maintenant, je pouvais sans aucun doute tuer presque n’importe qui, et n’importe quand.


| En effet, je ne t’ai rien promis. Pourquoi devrais-je te croire ? Tu m’as espionné pendant des semaines, tu as envisagé de me prendre tous ceux que tu m’as vu croiser... |


Je la fais parler tout en regardant sa défense, sa posture. Nue autant que moi je l’étais, elle semblait solide sur ses appuis, agile, féline même. Prête à me bondir dessus. Mais déjà, j’attaquais. Je la cueillais à la mâchoire alors qu’elle avait sacrifié sa sécurité temporairement, en toute connaissance de cause et au regard de son expérience, pour me désarmer et retourner la lame contre moi. Le regard empli d’une colère froide, je bloque ses mains et lutte contre elle dans une grande épreuve de force. Putain ! Comment elle m’en remontait ! Je lâchais, les dents serrées ;


| Alors qu’est ce que t’attends vraiment de moi, putain ? |


Je repousse ses mains vers le bas, avant de lui envoyer un vicieux coup du droit, jointures en avant, en direction de son œil, tandis que la main gauche la saisissant au niveau du cou.


| Qu’est-ce que tu attends de moi ! | répétais-je en gueulant

Nous nous empoignons, mais notre corps à corps n’a plus rien de sensuel, maintenant. Je ne pense plus à son plaisir, à celui que je pourrais retirer moi-même. L’instinct de survie a repris le dessus, tout comme il était à chaque fois remonté à la surface en cas de danger. Dans le ciel du Japon, sur les côtes de Chine, sur les plaines enneigées de Biélorussie. Je savais que je n’étais plus capable de raisonner clairement, dans ce genre de cas. J’étais tout juste capable de faire le vide dans ma tête, et d’éliminer tout ce qui n’était pas absolument vital. Ma colère et mon jusqu’au boutisme s’étaient un peu calmés, maintenant que j’avais l’explication. Devais-je la croire ? Une partie de moi, celle qui ne voulait pas tout jeter par terre, me soufflait que oui. Une autre partie, beaucoup plus cruelle et sans pitié, privilégiant ma sécurité avant tout, me disait que non, que je n’avais qu’à tuer cette pute de toute façon, que ça éliminerait plus tard un autre genre de problème. Une partie plus neutre, me soufflait de me calmer, de raisonner… Mais devinez qui gagnait ? Mon instinct m’avait tiré de merdes qui avaient parfois abattu des milliers de gens en quelques heures. Mon unité avait jadis soutenu des pertes plusieurs fois supérieures à son effectif de départ. Et moi, rien. Rien en dehors de quelques balles, éclats et brûlures. Rien que la chirurgie de combat moderne n’avait pu soigner en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. J’avais en outre le sentiment de faire quelque chose de mal, en l’attaquant. A cet instant précis, alors que nous jouissions, ça n’avait rien d’élégant. Mais plus que ça, j’avais le sentiment de faire vraiment quelque chose de mal par essence.


Qu’est ce qu’il m’arrivait ? Qu’est ce que je devais faire, finalement ? Elle me demande pourquoi je dois vraiment la tuer. Qu’elle m’avait donné sa parole. Naïvement. Bêtement. Elle avait cru en moi, en ce que je lui disais, comme s’il s’agissait de parole d’évangile. Incompréhensible. Pourquoi ? Elle comprenait que je voulais vraiment la tuer ; que j’en ressentais le besoin. La jeune guerrière encaisse un nouveau choc au visage, mon poing écrasant sa chair. Elle suffoque à moitié lorsque je l’empoigne, qu’elle me dit ce qu’elle attendait de moi. Elle veut que je l’aide à comprendre ce monde. Je secoue la tête, accentuant ma pression.


| Ce monde ne veut pas de toi. Il ne veut plus de moi non plus. Nous sommes les survivants inutiles d’un combat qui ne nous a rien rapporté. |


Le choc est violent, quand elle se dégage. Ses poings chassent l’air de mes poumons et me projettent au pied de son lit où je roule sur mon épaule, qui encaisse le choc. Je me prends le coin du fauteuil, non loin. Des fleurs de sang éclatent dans mon champ de vision et je peine pendant quelques secondes à saisir mes repères visuels et à recouvrer pleinement l’ouïe, tant le choc fut violent. Je trébuche de côté, pour me remettre face à elle. Je la dévisage, le regard mobile et décontenancé par le choc.


| Pourquoi tu ne m’as pas tué ? Pourquoi tu ne t’es pas vengée ? Je veux la vérité, cette fois. |


Je ne comprends pas. Et c’est ça, le fond du problème. Légitimement ou non, je tuerais tous ceux qui s’en prendraient aux survivants des fantômes. Je l’avais sauvée elle, mais ça ne m’excusait pas pour le reste. J’étais incapable de pardonner. Pourquoi en serait-il différent pour elle, qui trimballait des notions d’honneur et de devoir autant chevillées à son âme ? Je me jette à nouveau sur elle et renverse à nouveau son corps sous le mien, sous la violence du choc. Je la saisis par le cou et la plaque contre le mur derrière son lit, nos corps à nouveau pressés l’un contre l’autre.


| Tu sais trop de choses. Si tu parles, volontairement ou même si on t’y force, tu feras tuer les dernières personnes pour qui je peux encore quelque chose. Je ne l’accepterais pas. Jamais. |