Je soupire longuement alors que je reste plantée devant le frigo ouvert, la mine passablement dubitative. Va vraiment falloir que je fasse des courses, même si c’est pas mon délire. Mais à force d’avoir un locataire presque permanent à domicile, la bouffe a tendance à disparaître plus rapidement. J’attrape la boite de pizza et je l’ouvre. Il en reste un bon quart, ça ira bien. Je m’approche du four et je l’enfourne dedans, m’étirant alors que j’ai une grimace en voyant l’heure.

2h15.

Ca sent encore la nuit blanche à ce train-là.

J’arrive à dormir le matin, quand il fait jour. Mais dès qu’il commence à faire nuit, je flippe à mort. J’essaie de me rassurer pourtant. J’ai déménagé en moins de deux, Lukas ayant une capacité assez impressionnante à avoir les contacts qu’il faut pour m’aider à trouver un truc plus que potable. Carrément acceptable même, quand on voit dans quoi je vivais avant. J’ai une vraie chambre et une vraie pièce à vivre, avec cuisine équipée et tout. La grande classe. Et y a même un type qui ouvre la porte en bas. J’ai claqué une partie du fric qui dormait sur le compte, partagée entre la panique à l’idée qu’il revienne me voir pour tout réclamer et la colère en repensant à ce qu’il a demandé.

Mais j’ai quand même reversé une bonne partie du reste à une association caritative. Histoire de gagner du temps. Et puis, c’est pas comme si j’utilisais vraiment ce fric ou que je pouvais pas en récupérer autrement. J’ai pas arrêté mes magouilles, loin de là même, mais je fais carrément plus attention. Et je fais tout pour pas me faire repérer. Ca marche bien. Je crois.

J’ai changé de boulot aussi. De quartier. De dealer. J’ai effacé autant que possible tout ce qui pourrait mener à l’ancienne moi. Même si je sais que s’il veut vraiment me trouver, je suis pas sûre de vraiment pouvoir faire quelque chose. Mais je peux pas me terrer dans un coin en flippant et en attendant qu’il se passe un truc non ? Et j’ai du mal à m’imaginer en héroïne qui défend les gens. L’idée me fait même lever les yeux au ciel alors que j’attrape une brique de lait pour en boire directement quelques gorgées.

Je m’adosse contre le plan de travail, attendant que le four fasse son office, avant de lever les sourcils en voyant la silhouette de Lukas émerger de la chambre à coucher. Il vit pas là et on est pas ensemble, qu’on soit bien d’accord. Il passe juste beaucoup de nuits ici. Je sais pas ce qu’il fait du reste du temps et je suis pas sûre de vouloir une réponse en vrai. Ca fait partie de ces non-dits entre nous avec lesquels on vit très bien. Mais depuis ma « rencontre » avec Vampyr, j’avoue que l’avoir dans mon lit m’aide rapport aux cauchemars. Même si ça suffit pas toujours, comme cette nuit.

J’ai une ombre de sourire à son attention. « J’espère que je t’ai pas réveillé. J’ai essayé de faire gaffe pourtant. » Même en étant réveillée par un rêve, je me suis éclipsée le plus vite possible pour pas lui prendre la tête. « Si je te propose du lait tu me jettes la brique à la gueule ou pas ? Je me rends pas compte. Sinon je peux faire des verveines… sérieux, j’ai acheté ça moi ? » Je regarde la boite de thé, la mine circonspecte, essayant d’ignorer son regard que je sens peser sur moi. Il a eu la gentillesse de pas poser de questions quand je suis revenue et de m’aider à tout changer en un clin d’oeil. Ou alors il s’en foutait, ce qui est tout aussi possible mais, dans le fond, c’est le résultat qui m’importe. Sauf que je sais bien que je vais devoir lui en parler, vu qu’il est aussi concerné. Je trouve juste pas les mots et, à chaque fois que j’envisage d’aborder le sujet, j’ai une espèce de crise de panique qui vient toute seule comme une grande Autant dire que c’est pas simple.

Je me retourne et laisse filer un grognement en sentant le froid envahir le lit. J’ouvre un œil, avant de le refermer en voyant l’heure. Pas que je me fais vieux, mais c’est pas une heure pour se réveiller ça. Pourtant, elle est plus là, et les quelques bruits qu’elle a fait me confirme qu’elle est pas prête de revenir. Bon, j’étais déjà réveillé quand elle s’est assise et levée, on a pas le sommeil lourd en général quand on est soldat et encore moins un Fox, mais j’aurais bien aimé me rendormir, avec elle tant qu’à faire. Pas tant pour la prendre dans mes bras que pour la prendre tout court. On passe pas mal de nuits ensemble, mais faut pas déconner non plus. Elle est mignonne, sacrément bien foutue, plutôt marrante et sans doute trop intelligente pour moi, mais surtout pas prise de tête, de quoi passer de bons moments donc. Alors j’en profite, faudrait être con pour pas le faire.

Même si elle est vachement nerveuse depuis quelques temps. Mais j’ai pas posé de questions, je pose jamais de questions en bon petit soldat que je suis... enfin jamais trop, et en général, soit je m’en cogne, soit les maigres réponses me conviennent, soit ce sont des ordres, et on discute pas les ordres. Là pour le coup... j’ai fait ce qu’il fallait dans un premier temps, quand elle m’a demandé en panique, qu’elle avait besoin d’actions immédiates, prenant les mesures nécessaires, que soit pour le nouvel appart ou pour effacer les traces dans l’ancien. J’ai accessoirement posé un traceur dans son tel, sans lui dire effectivement. Et je me suis dit qu’elle m’expliquerait en temps voulu, quand elle le sentirait. Ou que ca passerait. Sauf qu’elle a beau avoir changé de quartier, de boulot et autre, c’est toujours une boule de nerfs. Et ça commence à me gaver. Qu’elle ait ses secrets, je m’en cogne, ça me regarde pas, j’en ai sûrement plus qu’elle. Mais je vois bien à sa façon de me regarder parfois que ça me concerne. De quelle façon et pourquoi, j’en sais foutre rien, mais pas besoin d’être un génie pour le sentir. Et avec toutes les merdes qui arrivent depuis quelques temps, ça m’étonne même pas.

Du coup, je finis par passer les jambes hors du lit en me frottant le visage, avant de me lever pour de bon pour la rejoindre. En plus, ça commence à sentir la bouffe. Je la rejoins en baillant et je hausse un sourcil. « T’as été silencieuse, mais il en faut pas beaucoup pour me réveiller tu sais. » Je regarde la brique de lait comme si c’était un extra-terrestre, avant de la regarder de nouveau elle. « Sauf si tu sais faire un white russian, à ta place, j’éviterai ouais. Et ce truc, t’as dit que t’essayerai pour dormir… avant de la foutre au fond du placard. » Je continue de la fixer un peu trop intensément, sachant très bien qu’elle essaie d’ignorer mon regard. Je me tourne et allume la cafetière, avant d’attraper une tasse sur le côté. « Un irish, c’est bien. T’en veux un ?... Reste de la chantilly que t’avais pour tes fraises là ?... Sinon un whisky seul, ça sera bien… » Je finis par me poser contre le plan de travail alors que le café coule, et je la dévisage de nouveau. « Je te propose un truc. Je te pose une question, tu me réponds par oui ou par non. Si j’ai plus de oui que de non, on s’envoie en l’air contre le mur. Si y a plus de non, on s’envoie en l’air sur la table. Ça marche ? »

Je devrais probablement pas me prendre autant la tête. Je devrais laisser couler. Après tout, s’il s’est pas encore manifesté, il le fera pas non ? Et puis, s’il le fait, il se passera quoi ? J’en sais toujours pas plus que la dernière fois, tout le fric que j’avais récupéré à la suite de cette histoire a disparu de la circulation d’une façon ou d’une autre. Peut-être pas comme l’autre taré psychopathe aurait voulu mais c’est toujours mieux que rien non  Okay, j’essaie de me convaincre mais ça marche pas terrible, je veux bien l’admettre.

Je soupire de plus belle alors que Lukas finit par débarquer dans la cuisine. Je devrais probablement avoir mauvaise conscience vu qu’il doit se lever tôt pour bosser mais je suis pas vraiment en état pour ça. Et puis, si je prenais le temps de réfléchir deux minutes, je réaliserais qu’il a probablement passé autant de temps que moi dans cet appartement au final. Et ça devrait me faire tiquer mais je me suis habituée à sa présence. Il me rassure, quand bien même je sais que tous les silences entre nous cachent un paquet de trucs, de son côté comme du mien. Mais ça nous permet d’avoir une espèce d’équilibre ou un truc du genre. Je le fais pas chier, il me fait pas chier et on fait nos affaires chacun dans notre coin.

J’ai une grimace contrite quand il reprend la parole et je hausse une épaule, non sans froncer le nez. « Ouais j’ai tendance à oublier que t’es toujours aux aguets. Désolée quand même. Mais je me suis dit que c’était moins pire que de passer des heures à me retourner jusqu’à ce que tu me pousses hors du lit. » Ou on aurait pu s’envoyer en l’air, ce qui aurait probablement évité cette discussion. Difficile de réfléchir à cette heure de la nuit, dommage. J’ai un bref regard dans sa direction, songeant que c’est quand même un peu dingue de le trouver toujours aussi sexy et d’avoir toujours autant envie de glousser malgré les mois qu’on a déjà passé ensemble. Je devrais pas m’habituer à force ? Faut croire que non. Et je vais pas m’en plaindre, on va pas se mentir. « Je sais faire un white russian. Et je dois même avoir de quoi le faire. » Je lève un sourcil dubitatif au reste de ses propos. « J’ai fait ça moi ? Marrant. » Si je garde le nez rivé sur le paquet de tisane, ça marchera ou pas ? Ou pas, surtout vu le mec que j’ai en face de moi. Mais je pouvais toujours essayer hein. Je hoche la tête, attrapant la chantilly avant de chercher deux verres et la bouteille de whisky pendant qu’il continue de parler. « Tu fais le café ? » Je vois qu’il a déjà commencé à s’exécuter avant même que je pose la question et j’ai une ombre de sourire, arrivant vaguement à lever les yeux vers lui cette fois.,

Et puis, ça me fait gagner quelques secondes parce que, vu le reste de ses propos, même si le plan est hyper tentant, je me rends bien compte que je vais finir par passer à la casserole. Pas que j’ai pas envie de baiser contre le mur ou la table, les deux me vont bien d’ailleurs. Mais les questions qui viennent avant ça, j’ai pas spécialement envie. Je fronce le nez, m’approchant de lui alors que j’effleure son torse du bout des doigts, songeuse. « Je suppose que si je te propose de me prendre là de suite contre le plan de travail en esquivant les questions, ça va pas marcher hein. On va dire que ça marche donc. » Ma main glisse jusqu’à l’élastique de son pantalon et j’hésite un instant à descendre encore plus bas, même si je me doute bien qu’il finira quand même par me poser les questions qu’il veut. Alors, je me décide quand même à m’éloigner avant de reprendre, à mi-voix. « Tu m’as jamais demandé pourquoi j’avais fait ça. Me tirer, changer d’appart, de boulot et j’en passe. Je me doute que ça t’intéresse pas plus que ça et je m’en plains pas, qu’on soit bien d’accord. Tu me prends jamais la tête sur ce que je fais et mes… affaires, c’est ce qui fait que nous deux, ça marche pas trop mal… mais… t’as pas été curieux ? » Tout en parlant, j’attrape la tasse de café et je prépare les deux irish alors que la sonnerie du four finit par retentir. Le repas parfait à deux heures du mat’ non ? Pour la discussion qui va avec donc.  

Je grogne et me frotte le visage en essayant de finir de me réveiller pour de bon. C’est dans ces moments-là que je me dis que je serais mieux dans mon appart, à pouvoir pioncer sans être emmerdé. Mais ça impliquerait de réfléchir au temps que je passe ici, dans son appart à elle, avec elle, et au pourquoi je suis là, et j’en ai carrément pas envie, sans doute parce que ça impliquerait trop de conséquences et autres trucs. Ce qui serait complètement con vu que ça veut rien dire. Enfin d’un autre côté, je veux bien reconnaître qu’il est peut-être possible que… Non que dalle. C’est pas parce que tout part en vrille, que certains se font descendre, eux ou leur famille, et que les Fox se sont disloqués, que je vais forcément m’inquiéter pour ceux qui restent. Enfin si, évidemment, mais elle fait pas partie de l’équipe, pas vraiment, ni de la famille, donc voilà.

Quoi qu’il en soit, n’empêche que ça me saoule de la voir sur les nerfs. Et de pas pouvoir dormir. Je suis patient comme gars, je suis discret et sage, j’obéis sans poser de question, même quand ça vient d’une gonzesse visiblement, et je me prends pas la tête. Genre jamais. Je dis pas que j’aime pas emmerder les autres, mais les faire chier eux, c’est amusant. Bref, je disais quoi ? Ah ouais, qu’il va donc falloir qu’elle se décide à parler la miss, sinon ça va rapidement me gonfler.

Je la fixe et me contente de hocher la tête, sans relever pour autant que ça reste son lit, parce que ça m’aurait pas empêché de la foutre dehors effectivement. Ou de trouver un autre moyen de s’occuper, ce qui aurait été pas mal, mais n’aurait pas résolu le problème donc. J’hésite un instant quand elle rajoute qu’elle a de quoi faire un russian, mais le irish sera très bien. Les yeux plissés, je hoche la tête à sa question rhétorique concernant cette foutue tisane de grand-mère. Je la suis des yeux quand elle se décide à reposer ce truc pour trouver de quoi faire l’irish, esquissant un sourire en réponse au sien.

Et je ne la quitte pas des yeux, quand elle daigne enfin me regarder ou quand elle s’approche de moi. Elle m’arrache néanmoins un sourire, et un frisson, quand sa main se pose sur moi, descendant à la limite de la décence. « Plan on ne peut plus tentant, mais je préfère le mien ouais. » Sans bouger du plan de travail, je croise les bras et souffle un rire alors qu’elle commence à préparer les trucs. « C’est marrant, j’oublie parfois que t’es une nana, et paf, tu me sors un truc comme ça. Enfin, j’oublie pas vraiment que t’en es une, je le vois bien assez, mais en général, t’as pas le comportement de… des autres. À vouloir que je pose des questions, pour être sûr que ça va, pour savoir le pourquoi du comment, à chercher la p’tite bête et toutes ces conneries, tu vois ? » Je la dévisage une seconde, avant de me décider à sortir la pizza du four pour la poser sur la table. « Pour te répondre donc, je suis pas spécialement curieux de base, je me contente de ce qu’on me dit, surtout quand ça concerne pas directement. Question d’entraînement je suppose. Dans l’absolu, c’est pas que je m’en cogne, pas totalement, mais si tu veux pas en parler, je vais pas me faire des nœuds au cerveau c’est clair. Tu me poses pas de questions non plus, et comme tu dis, ça marche plutôt bien comme ça. » Je m’assois en attrapant une part de pizza, mon regard toujours rivé au sien. « Et pas besoin d’être devin pour deviner qu’il s’est passé un truc craignos, que t’essaie de disparaître du radar de quelqu’un qui te fait encore flipper malgré tous ces changements. Donc vu que ça passe pas, que ça commence à être passablement exaspérant, et que t’as pas trop l’air de savoir sur quel pied danser, autant mettre les choses à plat. » Je bois une gorgée, avant de rajouter une rasade whisky. Je fais tourner un peu la boisson, avant de relever les yeux vers elle, sans doute plus sérieux que je ne l’ai jamais été avec elle. « On protège les siens, du moins, c’était comme ça dans l’unité. Ça l’est toujours pour moi. Et tu fais partie du groupe, de ce qu’il en reste… Autrement dit, je te protégerais s’il faut. Mais là, la première question qui me vient, c’est plutôt : pourquoi j’ai la foutue sensation que ça me concerne tout ce bordel ? »

Ca fait combien de temps que Lukas squatte chez moi exactement ? En vrai, j’ai jamais vraiment réfléchi à la question. Quand tout est parti en vrille pour lui, il a fini par limite poser ses valises pour de bon. Il passe encore quelques nuits ailleurs, mais je suis même pas sûre que ce soit vraiment pour y dormir. Enfin, je dirais pas que je me moque de ce qu’il peut faire. Simplement que j’ai pas à poser de questions. Et ça marche plutôt pas mal comme ça. Un peu trop bien peut-être, je saurais pas dire. Même si je sais pas ce que ça veut dire maintenant, après plusieurs mois à fonctionner comme ça.

En tout cas, il a les clés de chez moi. Et il va et vient comme il a envie, sans que je pose de questions, sans qu’il me prenne la tête. C’est agréable au final. Sauf que là, je suis sur les nerfs et je me doute bien que je vais finir par passer à la casserole. Pas parce qu’il a vraiment envie de savoir ce qui m’arrive, même si c’est pas impossible. Mais parce que ça va finir par l’impacter, d’une façon ou d’une autre. Et si le moment est pas idéal, il est pas pire qu’un autre au final.

Je tente quand même ma chance une dernière fois pour éviter la discussion et, si je vois bien qu’il réagit toujours autant à mes attentions, il garde cette mine butée que je commence à bien connaître. Maintenant qu’il a décidé qu’il voulait savoir, je vais pas pouvoir faire autrement. J’ai un soupir à la limite du mélodramatique. « Tu sais pas ce que tu rates, j’aurais pu faire des trucs qui t’auraient rendu complètement dingue. » Ou pas, on est bien d’accord. Je suis un peu trop préoccupée pour ça, là de suite. J’ai une ombre de sourire quand il reprend, lui jetant un regard en coin à ses propos. « Je dois prendre ça comme un compliment je suppose. Et je suis pas… une fille normale. Enfin… j’ai jamais pu vraiment me le permettre, doit y avoir un lien. J’ai besoin de garder mon espace. Toi aussi et, en effet, ça marche plutôt bien comme ça au final. » Tant que les deux n’étaient pas mêlés. Sauf que c’est plus vraiment le cas en fait. Je m’en rends bien compte. A passer tout mon temps libre avec lui ou presque, forcément, tout finit par s’imbriquer, qu’on le veuille ou non. Surtout qu’on est bien ensemble, même si on a jamais vraiment réfléchi à la question.

J’inspire alors qu’il continue de parler, pas vraiment décidé à m’assoir à mon tour. Je suis probablement trop nerveuse pour ça, je saurais pas dire. « Je sais que c’est pas une question de s’en cogner ou pas. Que… on fonctionne comme ça et ça me va. Vraiment. Je suis pas le genre à te secouer par le bras en te demandant de me raconter ta vie ou tes problèmes. Si t’as envie de le faire, tu le fais. Et c’est pareil de mon côté. Et j’aime bien ça. » Plus que bien en vrai, mais c’est pas le sujet. Je finis par m’assoir avec un soupir, fixant mon verre et la pizza, avant de finir par me décider à prendre une part et à croquer dedans. « S’envoyer en l’air sur la table c’est toujours pas en option hein j’imagine… » Je tente un pauvre sourire avant de froncer les sourcils. « Pourquoi t’as cette sensation ? Parce que c’est le cas. Ça te concerne. Ça vous concerne. Enfin, ce qui reste des fox. » Bon, maintenant que je suis lancée, va falloir que je continue j’imagine. « Tu connais Vampyr ? Ce connard qui se prend pour un héros à vouloir défendre la veuve, l’orphelin et son foutu cochon d’inde ? » Je me frotte le bras nerveusement après avoir reposé ma part de pizza. « Il est venu me voir, il y a quelques semaines. Il savait tout. Ce que j’ai fait pour vous, où je vivais, le fric qu’on a récupéré. Ce genre de trucs. » Mes yeux s’écarquillent alors que je fixe le vide, me remémorant cette soirée pas franchement agréable. « Mais il savait pas où vous trouver. Il m’a… menacée, d’un paquet de trucs. Pour avoir vos adresses. J’ai dit que je savais pas, que je vous connaissais pas. Il m’a pas vraiment crue je crois. Je saurais pas dire. Il m’a laissé le bénéfice du doute je suppose. Je me suis quand même dit que disparaitre des radars habituels était pas la pire idée du monde. » Bon, on va déjà voir comment il réagit à tout ça. Je lui jette un regard en coin, un peu intimidée par son air si sérieux alors que j’ai une moue, attendant le verdict d’une certaine façon.

Mettant de côté les questions fondamentales sur le pourquoi du comment je me retrouve à squatter ici, me retrouvant avec quasiment autant de fringues que chez moi, et écartant une nouvelle fois la colère, la culpabilité et la rancœur qui ne font qu’enfler depuis que tout est partie en vrille, je parviens à me concentrer sur elle et sur ce qu’elle raconte. Enfin, ce qu’elle doit raconter, vu qu’elle a pas l’air super open pour le coup. Mais comme je vais pas lâcher l’affaire, elle sera bien obligée de cracher le morceau, qu’elle le veuille ou non.

Alors je la fixe, et pour un peu, je m’amuserai de ses réactions exagérées, si ça ne signifiait pas qu’elle essaie juste de gagner du temps. Sauf que personne ne viendra lui sauver les miches et qu’elle n’aura pas d’aide providentielle pour l’empêcher de tout me dire. Vu qu’en plus, c’est à moi qu’elle a demandé de l’aide la dernière fois, autant dire qu’elle est mal barrée. Ça va que je suis hyper patient et sympa comme mec… Sisi je vous jure, elle a de la chance. Je plisse les yeux quand elle surenchérit et je secoue la tête. « Pas besoin de faire des trucs de folie, tu me rends dingue de base. » Et pas forcément dans le bon sens cette fois-ci. Pas que j’ai la sensation qu’elle se foute de moi, mais elle continue de tourner autour du pot, et c’est pas vraiment le moment. Même si je souffle un rire et que je finis par acquiescer à ses paroles. « Être normal, ça craint de toute façon. Et donc ouais, chacun son espace, chacun sa vie, et on s’emmerde pas. »

Durant une seconde, je me demande si j’essaie de la convaincre elle ou de me convaincre moi. Pas sur le fait d’avoir son espace ou que j’ai pas l’intention de me prendre la tête en lui posant des questions quand ça me regarde pas, mais sur le reste. Parce que le chacun sa vie, en sachant que je passe la moitié de mon temps avec elle, c’est moyen convaincant. Mais j’arrive encore à m’en persuader donc tout va bien. Comme elle dit, ni elle ni moi, sommes du genre à emmerder l’autre en étant intrusif. Bon, sauf là, mais c’est uniquement parce que ça me gonfle qu’on soit d’accord. Et ouais, je me contredis un peu moi-même, en ajoutant qu’elle fait partie du groupe et qu’on se protège, alors que je pestais juste avant argauant que j’allais pas m’inquiéter pour elle vu qu’elle faisait pas partie de la famille, mais qu’importe… Je suppose que si, elle en fait partie, sinon je me ferais pas aussi chier pour son cul. Bref.
Je me contente de la dévisager quand elle fait une dernière tentative d’humour, et je plisse les yeux alors qu’elle commence enfin à parler. Et ça pue. Encore plus que ce que je pensais. Ma mâchoire se crispe et mon regard dérive sur son bras quand elle le frotte, mais je n’interviens pas, hochant simplement la tête à sa question, histoire de pas la couper sur sa lancée. Oubliant tant la pizza que mon verre, je dois pas avoir mon visage le plus sympa qui soit, mais j’y suis pour rien.

« Donc… Depuis quelques semaines… des mois ? Il y a un clown qui interroge les gens sur nous, et toi, tu m’as rien dit ? Tu déconnes là ? Des semaines Sasha ? » Je me penche un peu en avant sans la quitter des yeux. J’inspire, reprenant d’un ton sourd après l’avoir haussé un peu trop. « Comment… Vampyr est censé être mort, ça a fait la une des médias, ça a été le silence complet durant des mois, comment tu peux être certaine que c’était lui ? Tu te souviens de ce qu’il a dit exactement ? De ce qu’il voulait ?… Pas nous faire la causette là-dessus on est d’accord, mais il a mentionné des noms ? Il savait quoi ? Et à part que tu nous connaissais pas, tu lui as dit quoi ? » Je me pince l’arrête du nez, avant de jeter un nouveau coup d’œil à son bras et de la fixer de nouveau. « Il t’a fait quoi ? »

Okay. On va respirer et souffler. La gueule qui fait peur, ça servira à rien avec elle, au contraire, même si ouais, je suis légèrement en rogne contre elle aussi pour le coup. Sérieusement ? Des semaines ?
Comme s’il y avait pas assez d’emmerdes, comme si les ennemis étaient déjà pas assez nombreux. Manquait plus qu’un pseudo-héros censé être 6 pieds sous terre.

« Tu sais quoi de lui ? Il t’a dit comment le contacter ? Au cas où, la mémoire te reviendrait… »