Un petit tour et puis s'en va [Lauren]

18 Mars 2050

J'avais fait une promesse à Kate et j'entendais la tenir. Je lui avais promis que j'arrêterai tout ce qui était illégal et je comptais bien le faire. J'avais retrouvé un poste dans une entreprise qui employait des chauffeurs pour des particuliers. Je commencerai début de la semaine prochaine. J'avais aussi dit à Kate qu'il y avait un client pour qui j'entendais faire une dernière course, une toute dernière livraison. Peu enthousiaste à cette idée, l'étudiante avait finalement abdiqué, comprenant que je ne reviendrai pas sur ma décision mais sans comprendre pourquoi ce client en particulier. Il y avait une raison très simple à cela : il n'y avait jamais eu le moindre imprévu avec cette cliente. Elle payait rubis sur ongle, souvent même un peu plus généreuse que ce qui était convenu, lorsqu'elle s'installait avec moi dans la voiture pour accompagner une livraison elle n'essayait pas de me dire par où passer et comment conduire. Ca pouvait paraître peu de choses finalement : un petit pourboire et la politesse de laisser le chauffeur conduire. C'était bien souvent beaucoup plus que ce à quoi j'avais droit. Et il y avait le fait que j'entendais faire une petite surprise à Kate et que Lauren était la personne parfaite pour cela. Je n'avais aucun doute sur le succès de ma petite amie à son concours et j'entendais lui offrir un cadeau qui sortait de l'ordinaire, quelque chose d'inhabituel, quelque chose auquel elle ne s'attendrait pas venant de moi. Que peut-on offrir à la fille d'une tueuse à gage, justicière en herbe et future policière ? Des armes comme on en voit peu, pas de collection, des armes fonctionnelles mais dont la rareté font la beauté. Aujourd'hui je comptais en faire la demande à Lauren.

Je suis à l'heure, soit dix minutes en avance, à l'entrepôt pour récupérer les trois mallettes d'armes à livrer à trois adresses différentes. Deux sont en ville et seront très facilement accessibles, la dernière est hors de la ville, à plusieurs heures de route. J'avais prévenu Kate que je rentrerai tard, sans lui dire pour autant combien de temps je serai absent ou l'adresse à laquelle je me rendais. Elle ne savait rien de mes activités illégales, je ne lui demandais rien sur ses sorties nocturnes. Je préférais ne pas savoir qu'elle risquait sa vie avec des hommes armés jusqu'aux dents et prêts à arracher les siennes. Les ignorants sont bénis, disait Sypher dans Matrix avec parfaite raison. L'ignorance est souvent la meilleure des choses. Je regarde l'heure, démarre la voiture et fait les derniers mètres me séparant du point de rendez-vous. Je m'arrête devant le box qui m'avait été communiqué et compose le code qu'on m'avait donné. Ce dernier s'ouvre, découvrant un box tout ce qu'il y a de plus classique. Rien de superflus. Dans le box trois mallettes, exactement comme prévu. J'ouvre le coffre de la voiture et les enfourne toutes trois avec une certaine précaution et délicatesse malgré leur absence de fragilité. Je referme le coffre, des pas résonnent par-dessus le bruit de la musique dans mes oreilles. Je referme le box, agissant naturellement, comme une personne qui serait venue chercher quelque chose dans son box. De toute façon il est pratiquement minuit et il n'y a pas un chat. A part pour l'auteur de ces pas qui s'avère être Lauren en personne.

« Madame Anders. »

Signe de tête poli pour accompagner mes mots. J'avais eu le sentiment de la vexer au téléphone quand je lui avais dit que c'était ma dernière course ce soir. Etait-ce pour ça qu'elle était là ? Pour tenter de me convaincre de continuer ? Bien sûr je me doutais de ce que sa présence signifiait. J'ouvre la portière passager, il y avait longtemps qu'elle ne s'asseyait plus sur la banquette arrière, d'abord parce qu'elle n'était pas une cliente silencieuse avec qui je ne partageais que des consignes. Ensuite parce qu'à cette heure-ci une femme derrière dans une voiture qui n'est pas un taxi ça attire l'attention. Je la laisse s'installer et m'installe au volant, bouclant ma ceinture avant de démarrer et de commencer à conduire vers la première adresse. Je connaissais les adresses par cœur et j'avais mon trajet bien en tête. Je déposais dans des casiers, je repartais. Je ne comprenais pas trop la présence de ma cliente, il n'y avait pas de contact avec quiconque ce soir. Ce qui veut dire qu'elle était là pour moi. Restait à élucider un mystère important qui me mettait sur mes gardes, Kate serait fière je lui piquais un peu de sa parano : était-elle là pour me parler ou se débarrasser de moi et ce que je savais une fois le travail accompli ?

Un petit tour et puis s'en va

Henry & Lauren

Lauren ne participait que rarement à la remise des armes qu'elle vendait à ses clients. Elle appréciait avoir un service personnalisée, c'était d'ailleurs ce qui avait fait sa réputation. Le soin qu'elle prenait avec ses clients, des clients qu'elle triait sur le volet, ne s'intéressant qu'aux personnes d'envergure mais dont une certaine façon elle était certaine qu'une fois le marché convenu, l'arme qu'elle venait de vendre n'allait pas immédiatement se retourner contre elle. Après, malheureusement ce monde était pourri jusqu'à la moelle, il n'y avait strictement plus rien ni personne qu'il était encore possible de sauver alors, si un jour quelqu'un en avait après elle, ou plutôt après son « alias », le business était le business et il lui faudrait se défendre comme elle le pourrait quand on viendrait à chercher une nouvelle fois à l'éliminer. Non, elle faisait en sorte de pouvoir obtenir les armes nécessaires et précises que ses clients lui commandaient, pour autant c'était souvent par le biais d'un coursier que la transaction se faisait. Lauren préparait soigneusement ses commandes, les emballait dans la plus grande des discrétions, ensuite la transaction se faisait dès qu'elle obtenait l'argent. Il fallait bien faire un peu confiance dans ce métier, sinon il fallait qu'elle change directement sa façon d'agir ou tout simplement le métier qu'elle faisait et qu'elle prenne un long congé bien loin d'Europolis. Car clairement, si elle n'était plus vendeuse d'arme alors elle ne servait plus à rien ici, elle avait déjà tout perdu et seul son désir d'un jour avoir les moyens de se venger la faisait continuer à se battre ici, rien d'autre. Et comme il était difficile de pouvoir accorder sa confiance, c'était également la même chose pour ceux qu'elle employait pour le transport. Lauren en avait trouvé un d'ailleurs qui était une vraie perle. Discret, efficace, intelligent et d'agréable compagnie, elle n'avait pas spécialement d'attirance pour lui même s'il était plutôt joli garçon. Tout ce qui comptait c'est qu'il fasse bien son travail. Ils avaient tous les deux réussis à trouver leur rythme dans leur collaboration et elle ne faisait plus qu'appel à lui quand il s'agissait des clients les plus importants. Il savait parfaitement ce qu'il avait à faire et elle appréciait sincèrement cette façon de travailler.

Pour autant, elle avait appris quelques jours auparavant que la course qu'il allait faire pour elle cette nuit était la dernière. Lauren avait été fortement déstabilisée par cette annonce, plus que surprenante, il n'avait jamais fait part jusqu'ici d'une quelconque répugnance à faire le travail qui lui était demandé. Voilà bien longtemps que les deux collaboraient ensemble, elle ne souvenait même plus de la date où elle l'avait engagé, mais en tout cas, elle ne se voyait sincèrement pas se passer de ses services. Elle avait besoin de lui pour continuer le travail qu'il faisait si bien. Alors ce soir n'était pas un soir normal, Lauren avait pris la décision de l'accompagner dans cette dernière course, espérant peut-être qu'elle pourrait ainsi réussir à le faire changer d'avis, car il lui était difficile de se séparer de son collaborateur mais également, elle pouvait le dire, d'une certaine façon de son ami. Le matériel était prêt depuis longtemps, elle lui avait envoyé l'adresse de l'entrepôt où il pouvait aller les récupérer, ainsi que les adresses des différentes personnes qu'il fallait livrer. Chose tout à fait habituelle. Lauren s'était habillée de façon un peu plus féminine et de plus classe. Ce n'était pas pour charmer son chauffeur loin de là mais certains des clients de la soirée appréciaient les jolies choses comme les jolies femmes, et si elle ne permettait à aucun de ses clients de toucher, elle pouvait au moins satisfaire les yeux. Une fois qu'elle avait fini sa transformation, elle qui était une grande fan du jean basket, elle avait pris sa moto et avait pris la route du hangar. Le rendez-vous était prévu à minuit mais ce n'était pas pour autant qu'elle ne s'était pas présentée là avec presque une demi-heure d'avance, attendant patiemment son arrivée. Elle ne fut pas déçue de voir qu'il était pile à l'heure, dans la discrétion la plus totale. Lauren l'observa alors en train de charger les colis dans le coffre de la voiture et c'est à ce moment-là, qu'elle se décida à sortir, faisant claquer les talons de ses bottes sur l'asphalte, rejoignant la voiture d'un pas tranquille. Il la salua et elle inclina légèrement la tête dans sa direction. « Bonsoir Henry ... » Pour une fois, chose rare, elle avait pris le soin d'attendre qu'il lui ouvre la portière pour qu'elle puisse s'asseoir à l'avant du côté passager. Elle attendit qu'ils aient parcouru plusieurs kilomètres avant de reprendre la parole. « Alors c'est la dernière nuit, la dernière course … Peu de regrets j'imagine ? »

Habituellement il n'y a pas de surprise avec Lauren. C'est pour ça qu'elle a toujours figuré tout en haut de ma liste de clients préférés. En fait je pense même pouvoir affirmer sans me tromper qu'elle était ma numéro Un. Avec elle, aucune mauvaise surprise, aucun changement de dernière minute, pas d'annulation en urgence, pas de changement de point de livraison. Quand elle me disait qu'il fallait récupérer le matériel à un endroit et le livrer à un autre, rien ne changeait jamais, il n'y avait pas de surprise. J'aimais cela. Transporter des armes est une chose qui peut s'avérer délicate quand il y a des imprévus comme un passager par exemple. Je sais gérer un flic qui contrôle mes papiers sans attirer l'attention sur moi ou ma voiture, sur la raison pour laquelle je roule aussi tard. En revanche si on me met un passager un peu fou de la gâchette ou paniquant dès qu'il voit un uniforme, les choses peuvent rapidement mal, voir très mal, se passer. Alors quand j'entends des pas, mes sens s'éveillent mais je fais comme si de rien était. Ne pas s'inquiéter, agir naturellement pour ne pas attirer l'attention tout en restant bien attentif. Ceux sont des pas féminins qui résonnent, ceux de talons. Avec les années depuis l'apparition de mes soucis d'audition j'avais fini par apprendre à reconnaître les sons par-dessus la musique, j'avais trouvé le volume idéal pour entendre le monde normalement par-delà la musique. Surtout j'avais appris à ne plus entendre la musique. Elle est toujours là, toujours présente mais ceux sont les sons du monde qui dominent, que j'entends le mieux et c'est préférable ainsi. J'avais essayé la surdité, en usant de cire, de bouchon d'oreille et de casque anti-bruit pour totalement m'isoler, n'entendre plus que le silence et j'avais découvert que le silence était encore pire que de tout entendre. Le silence était effrayant, il était terrifiant, ne plus rien entendre provoquait un état de peur incroyable que je ne parvenais pas forcément à m'expliquer.

La présence de Lauren en revanche je peux aisément l'expliquer. C'est mon dernier contrat. Non seulement avais-je signalé que c'était la dernière fois que je souhaitais travailler à son service, prenant ma retraite mais j'avais également passé une commande de deux armes pour la toute première fois. J'avais une politique anti-armes, je lui avais dit dès le premier jour, ça avait fait partie de notre négociation lors du premier contrat. Je travaille seul, je ne veux pas d'imprévus et je n'en provoquerai pas, je ne veux pas de changement de plan à la dernière minute et je ne veux aucune arme, je ne veux rien savoir ce que je livre, ni de l'identité des destinataires. Deux adresses c'est tout ce que je voulais. Où récupérer la marchandise et où la laisser. Cela faisait presque un an et demi que je livrais des colis pour Lauren. Elle avait parfois participé aux livraisons, sans s'imposer chose que j'avais énormément apprécié dès le départ, elle avait respecté ma politique anti-armes, elle n'avait jamais demandé pour mes oreillettes ni pourquoi je ne mettais pas de musique dans la voiture. Ca m'allait bien. Ce soir était donc une soirée des premières : d'abord ne pas avoir été prévenu de sa présence ce soir, ensuite elle imposait sa présence. Je n'allais pas lui refuser, notre collaboration ayant toujours été sans histoire, je peux comprendre qu'elle souhaite me faire changer d'avis. Je n'avais aucune envie d'arrêter en réalité. Du moins pas certains aspects de mon emploi. Je n'avais pas envie d'arrêter de conduire pour elle, je n'avais pas envie d'arrêter les sorties nocturnes avec des tueurs à gages ou des collecteurs de dettes. En revanche je me passais volontiers de conduire des mafieux libidineux avec leur nouvelle acquisition peu vêtue. Seulement j'avais promis à Kate d'arrêter, sans qu'elle ne me le demande mais c'était un effort que j'avais estimé nécessaire. Je me faisais du mauvais sang chaque fois qu'elle sortait, je ne voulais pas qu'elle vive la même chose. Lauren prononce mon prénom en me saluant, nous avions fini par abandonner nos alias en voyant que notre collaboration fonctionnait bien. Cependant je n'avais jamais partagé plus que mon prénom, je me demandais même si elle ne s'imaginait pas que ça puisse être un prénom choisi au hasard de mon cerveau.

Nous étions en route depuis plusieurs kilomètres déjà quand elle prit finalement la parole. Elle n'allait pas droit au but mais ne tournait pas non plus longtemps autour du pot pour me confirmer définitivement la raison de sa présence ce soir. Elle voulait donc parler de mon souhait d'arrêter de travailler pour elle. Je dois dire que je n'y étais absolument pas enthousiaste.

« Arrêter de livrer pour vous est quelque chose que je fais à regret. »

Je ne souhaitais pas lui mentir, je ne crois pas dans le mensonge.

« J'ai toujours eu beaucoup de plaisir lors de nos collaborations. Il n'y a jamais eu de mauvaises surprises, moins encore d'imprévus et c'est ce qui fait de vous ma cliente préférée et la dernière à qui je dis "adieu". Ceci n'est pas que ma dernière course pour vous mais également ma dernière course tout court. »

Elle avait le droit de savoir que les conditions de notre collaboration n'étaient pas ce que je remettais en cause, elle avait le droit de savoir que j'avais aimé travailler pour elle.

« Nous nous sommes rencontrés à un moment précis et étrange de mon existence, je suis maintenant à un nouveau moment précis et étrange qui demande des changements. Même des changements dont je n'ai pas envie comme celui de raccrocher les clefs. »

Honnête jusqu'au bout, je l'avais toujours été avec elle et je l'étais autant que possible dans ma vie de tous les jours.

Un petit tour et puis s'en va

Henry & Lauren

Lauren n'avait jamais imaginé un seul instant qu'elle allait un jour vivre ce genre de vie, c'était tout simplement à l'opposée de la jeune femme qu'elle avait toujours voulu devenir. Bien évidement, cette passion pour les armes, et plus particulièrement pour les armes à feu, avait toujours existé, depuis son enfance. C'était un truc de famille apparemment, et c'était une des raisons pour laquelle elle avait décidé de rentrer au service de l'armée. Son père avait strictement refusé, la guerre n'était pas une action de femme comme il n'avait eu de cesse de le lui dire au cours des années, et puis finalement, Lauren avait compris quelque chose. Elle laissait aux soldats d'aller à l'autre bout du monde et elle, elle avait décidé d'agir directement au plus proche, de travailler pour la police et de pouvoir réussir à se faire une place dans ce monde, une place où elle pouvait être très largement nécessaire au bien commun. Ou elle pouvait mener directement des actions, pour pouvoir améliorer la vie des gens à Europolis. Lauren s'était retrouvée dans une position des plus délicates, mais au fil des années, elle avait réussi à se convaincre que ce qu'elle faisait n'était pas une si mauvaise chose, et que même si elle avait vendu une partie de son âme sans vraiment en prendre conscience, elle s'était dit qu'elle avait quand même un peu les mains libres pour pouvoir sauver au moins quelques vies. Une mauvaise action pouvait-elle être pardonné parce qu'elle était motivée par de bonnes intentions ? Elle avait essayé de s'échapper du cercle vicieux dans lequel elle s'était elle-même emprisonnée et elle avait payé de sa liberté et de la vie de son enfant. C'était des blessures qu'on n'oubliait jamais, et cela faisait à présent quatre longues années qu'elle regrettait presque chaque instant de sa vie, se souvenant avec une horrible mélancolie des moments de bonheur qu'elle avait pu notamment connaître en étant flic et surtout en étant auprès de Christopher. Mais tout ça faisait parti de son passé, d'un passé encore terriblement vivace et qui influait sur toutes ces décisions actuelles. Ce n'était certainement pas en continuant son travail de trafiquantes d'armes qu'elle allait sur le chemin de la rédemption. Néanmoins, il fallait bien qu'elle trouve quelque chose pour pouvoir vivre, gagner de l'argent, tout en gardant cet anonymat qui était plus que nécessaire. Après tout, d'après l'état civil, elle était bel et bien morte même si on n'avait jamais eu l'occasion de retrouver son corps. Un jour, elle mettrait définitivement fin à la menace que les Fire Metals faisaient planer sur elle et alors, alors le moment des choix viendrait, ou il faudrait se décider entre le fait de rester cette trafiquante d'armes réputée pour son service personnalisé, se rendre à la police et faire amende honorable et finir sa vie en prison, ou alors partir, partir pour ne jamais revenir … Tout cela avait quelque chose de terrifiant, mais c'était son combat à elle.

Cependant, il fallait être consciente d'une chose, elle ne pouvait compter sur personne ou pratiquement sur personne. Les bonnes âmes étaient une chose qui se faisaient de plus en plus rares, et la femme qu'elle était n'était pas seulement que noirceur, elle appréciait sincèrement de pouvoir trouver encore des personnes en qui elle pouvait avoir confiance pour pouvoir travailler avec elle. La confiance était pourtant une chose fragile et encore plus, une chose sincèrement dangereuse dans sa position, c'est pour cela qu'elle mettait du temps à estimer si elle pouvait avoir confiance en quelqu'un ou non, mais pour autant une fois qu'elle accordait sa confiance, la personne devenait alors quelqu'un de particulier à ses yeux. Henry avait toujours été une personne avec qui elle avait toujours été très professionnelle, même si les deux avaient réussi à trouver leur rythme de croisière comme on pouvait le dire et il n'y avait jamais eu de problème ni d'un côté, ni de l'autre, toutes les livraisons s'étaient très bien passées et elle était extrêmement satisfaite de son travail. Autant dire qu'elle avait été fortement surprise d'apprendre qu'il allait abandonner ses livraisons et donc d'une certaine façon l'abandonner elle également. Cela n'avait pas été facile à accepter pour Lauren et c'était pourquoi elle avait décidé de tenter sa chance et de pouvoir le faire changer d'avis. Elle n'avait pas vraiment changé d'attitude par rapport à lui, mais elle était un peu plus fermée que d'habitude. Une certaine tristesse l'avait alors envahis et elle n'avait pas tardé très longtemps à lui parler directement de ce qui la tracassait. Cependant, Henry se livrait à elle tout naturellement. Alors qu'il lui disait faire cela avec regret, elle faillit lui lancer qu'elle ne comprenait pas pourquoi il avait pris alors cette décision, mais alors qu'elle allait parler, elle avait préféré laisser le jeune homme s'exprimer jusqu'au bout. Elle soupira doucement, ferma quelques instants les yeux avant de tourner son visage vers lui. « J'ai toujours apprécié votre façon de travailler, tout autant que votre franchise à mon égard. Ce sont des qualités appréciables et travailler avec vous a été ou je dirais plutôt, est un plaisir. Je n'ai jamais eu aucune plainte d'un client par rapport à votre professionnalisme et c'est une chose appréciable dans un tel domaine … Mais si vous n'avez pas enfin de raccrocher pourquoi le faire ? Nous pouvons nous organiser pour que notre collaboration soit un peu moins problématique pour votre vie de tous les jours ? Vous voulez une augmentation de salaire ? Je serai vraiment triste de perdre quelqu'un comme vous … Je sais que je vous en demande peut-être beaucoup et que ce n'est pas un contexte très simple. Cela ne l'est pour personne je crois bien, enfin quand ce genre de vie nous est imposé. Mais je peux m'adapter s'il faut cela pour pouvoir vous garder à mes côtés. »

18 Mars 2050

C'était ma dernière course. Enfin je crois. Ca devait être ma toute dernière course, la course ultime, après ça terminé, je raccroche définitivement les clés et on en parle plus. Seulement ce n'était pas si simple parce que Lauren était assise à côté de moi et que dans le fond, je l'apprécie vraiment. C'est une vraie professionnelle, chose que j'ai toujours apprécié chez elle. Avec elle aucun imprévu, aucun changement de dernière minute, ça change énormément de choses par rapport à certains de mes clients qui avaient pour habitude de toujours tout changer, tout chambouler. Alors peut-être que ce n'était pas la dernière fois, après tout c'était aussi la première fois que je lui demandais quelque chose en supplément de mon paiement. J'avais demandé deux armes, même si je commençais à réfléchir à en prendre aussi une troisième. Elle devait s'interroger sans doute sur les raisons de mon départ, d'ailleurs elle ne tardait pas à me le faire savoir. D'accord elle essayait d'être discrète, on dirait presque une fliquette en uniforme qui essaye de faire en sorte que je dise quelque chose sans vraiment poser la question. Une question discrète pour en savoir plus sur mes motivations, sur mon départ. Je n'allais pas la faire languir dans ma réponse, je n'avais aucune raison de le faire et j'ai l'impression de provoquer de la déception chez elle. Si c'était le cas elle la dissimule plutôt habilement même si sa présence elle-même semblait confirmer mon hypothèse sur son manque de volonté à me voir partir. Très sincèrement, j'avais promis à Kate d'arrêter mon métier criminel mais par rapport à Lauren … Je n'aimais pas ça. Je n'avais pas envie d'arrêter et je le faisais. Arrêter de travailler avec Lauren était plus dur et désagréable encore et si je continuais ? Cette idée vicieuse commençait à poindre dans mon esprit, après tout ce n'était qu'une cliente, sans surprise et sans mécontentements, sans aucun problème, jamais, alors pourquoi arrêter ?

Ses compliments me touchent et me font sourire un peu, le masque professionnel tombe un peu, pour la toute première fois, ça fait du bien d'entendre qu'elle apprécie mon travail parce que je détesterai que ça ne soit pas le cas. Ce que j'appréciais surtout était de l'entendre parler de mon professionnalisme, de ses clients à elle qui m'appréciait et appréciait mon travail, ça faisait plaisir de le savoir. Je n'en partirai que plus heureux encore. Ca aurait presque été trop beau qu'elle s'arrête là, ça m'aurait rendu la tâche trop facile, elle me parle des regrets dont je faisais part à l'idée d'arrêter. Elle propose de s'arranger, de trouver un moyen pour faire fonctionner notre collaboration, je suis vraiment touché qu'elle pense ainsi. Soudainement on quittait le monde professionnel, elle ne touchait pas Henry le chauffeur professionnel, elle ne touchait pas 404 mais le jeune homme qui se trouvait derrière, qui avait vécu grâce à ces courses illégales.

« Merci pour ces compliments, ça fait plaisir de savoir que mon travail est apprécié à ce point-là. »

Cependant ça risquait bien de ne pas suffire à me motiver à rester. Même si le reste de ses propositions étaient alléchantes, je ne m'imaginais pas revenir sur une promesse faite à ma petite amie, pas concernant ce domaine. Alors soit je me laissais avoir par les mots tentateurs de Lauren, par ma propre envie de céder à ses mots et je disais la vérité à Kate, soit je résistais totalement et j'oubliais mon métier. Il n'y aurait pas de milieu et si avant cette rencontre inattendue les choses paraissaient claires, la présence de Lauren seule avait réussi à me faire voir les choses autrement.

« Ce n'est pas ma façon polie de demander une augmentation de mon salaire, ni même un aménagement de mes conditions de travail. J'aime notre façon de travailler, j'aime le fait de pouvoir refuser et j'aime la façon dont vous payez toujours rubis sur l'ongle et à un prix correct. Ainsi que je l'ai dit, ça n'a rien à voir avec le travail en soi. »

C'était difficile à expliquer à une vendeuse d'armes, cette femme avait-elle jamais aimé ? Si je savais qu'elle était la raison pour laquelle l'inspecteur Hart s'était senti si proche de moi à la perte de Sarah, les choses seraient tellement différentes.

« Je le fais parce qu'il y a désormais quelqu'un dans ma vie. Que je tiens à cette personne et que je lui ai promis de prendre du recul sur cette part de ma vie. Ca m'en coûte de le faire mais c'est mon choix. Comme je l'ai dit, ce n'est pas un hasard si vous êtes la dernière cliente avec qui je travaille. »

Je réfléchis tout en conduisant, laissant plusieurs longues minutes défiler.

« Si je devais continuer ça ne serait qu'avec moi, dans les mêmes conditions mais je souhaite d'abord lui en parler, avoir son approbation. Si vous êtes prête à attendre quelques semaines, je vous recontacterai à ce sujet. Je comprendrai également que vous preniez un autre parce que vous avez un besoin immédiat. »

En disant cela je laissais une porte ouverte. Petite porte, toute petite porte mais une porte tout de même. Si je savais dans quelle condition nous allions rediscuter de tout cela, je rirai sans doute en cet instant. Pour l'heure, je me contentais de lui dire que je ne tirai pas un trait sur notre collaboration.

Sujet: Re: Un petit tour et puis s'en va [Lauren]

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