You keep dreaming and dark scheming.
La tour était gigantesque, parsemées de larges baies vitrées propres qui renfermaient des bureaux austères et des machines à café aux buts tout aussi lucratifs que les nombreux mails et courriers envoyés dans la journée. Il ne faisait pas chaud, le vent était agressif, les nuages gris qui flottaient dans le ciel menaçaient d'éclater en gerbes de pluie à tout moment et les lumières des lampadaires ne rendaient pas la rue plus rassurante. En plein jour le quartier devait probablement fourmiller de monde qui faisait des allers et retours d'un bloc à l'autre, mais une fois les travailleurs rentrés chez eux Victory District n'avait plus rien de vivant. Tout était vide, sombre et silencieux. Et au milieu de tout ça, assise sur le banc de l'arrêt de bus en face de l'immense bâtiment qu'elle scannait du regard, Sera attendait. Elle savait comment ça allait se passer. Ce petit branleur qui avait à peine vingt-cinq ans allait débarquer dans son véhicule avec chauffeur, il lui filerait un sac de fast-food quelconque dans lequel il y aurait tout ce dont elle avait
besoin pour tenir au moins la semaine en échange d'une liasse de billets, et il repartirait, probablement avec une remarque sexiste ou raciste, voir les deux en même temps. Tout cela n'avait que très peu d'importance pour la jeune femme qui avait clairement établi ses priorités.
Elvis, puisque c'est comme ça que le petit bourge se faisait appeler, vendait cher, mais il vendait de la qualité. Elle payait plus que si elle ramassait un sachet au petit dealer de quartier mais les effets étaient tels que la dépendance s'élargissait dans le temps. Elle avait toujours autant envie, mais une dose lui suffisait plus longtemps qu'avec une autre merde coupée avec des substances inutiles. Souvent, il lui arrivait de penser à tout le désastre que serait sa vie si elle se faisait un jour attraper par la police. Et puis elle repensait à ses années au laboratoire, aux souffrances qu'elle avait endurées, et elle déculpabilisait. Elle avait essayé de se sevrer, mais elle en avait été incapable. Pendant sept longues années son sang avait été intoxiqué de médicaments à la composition mystérieuse, à forte dose, et aujourd'hui elle était tout bonnement incapable de s'échapper de tout ça. Elle en avait perdu l'envie, aussi. Ses pouvoirs lui filaient des migraines et des angoisses qu'elle ne contrôlait que de cette façon, parce qu'on lui avait toujours appris à faire de cette façon, et le manque des médicaments ne se calmaient que comme ça. Son père était retourné en Israël sous ordre militaire et elle était seule à gérer cette vie malheureuse qu'elle gérait derrière l'image si pure qu'elle entretenait. Le petit travail au starbuck n'était qu'un complément pour justement s'offrir les drogues qui la comblaient, ses études en biochimie toxicologique étaient purement égoïstes puisqu'elles ne servaient qu'à assouvir cette soif de connaissance quand aux limites des modifications du corps humains lorsqu'il est exposé aux drogues qu'on ne trouve pas sur le marché. Elle étudiait pour sa propre condition dans l'espoir de l'arrêter un jour. De comprendre ce qui formait ces "capacités" uniques en elle et comment les supprimer définitivement.
Des phares illuminèrent le bout de la roue tandis qu'un doux ronronnement de moteur s'approchait. La voiture, luxueuse, noire, aux vitres teintées, s'approcha de l'arrêt de bus. Sera se leva et s'approcha du bord du trottoir, suivant le véhicule du regard. Elle l'avait vu tellement de fois qu'elle en avait l'habitude, maintenant. La vitre arrière se baissa, laissant apparaître un jeune homme très mignon, blond aux yeux bleus, le sourire étincelant.
Trop parfait pour être vrai. "Bonsoir mademoiselle." dit-il d'une voix sérieuse. Un blanc s'installa entre eux, tandis qu'ils se regardaient avec un air sérieux... Puis ils se mirent à rire en même temps et Sera se pencha pour lui claquer une bise sur la joue.
"Comment ça va ? T'es en retard, sérieux, ça fait vingt minutes que je poireaute." lui reprocha-t-elle. Pas de quoi ternir le sourire colgate du petit prince.
"J'ai fais ce que j'ai pu, tu m'as tiré de soirée..." Sera tira une légère grimace désolée.
"Désolée... T'aurais du me le dire, ça aurait pu attendre demain." "Et puis quoi encore ? Je fais pas attendre ma petite San. T'as de la monnaie ? Sinon je te fais créd..." "J'ai de la monnaie." le coupa-t-elle. Il lui tendit le sac en papier de chez Burger King et elle y plongea son regard avec un sourire en coin.
"Une snackbox chicken fries et un sprite ?" Genre, vraiment. Il n'avait pas juste récupéré un vieux sac, il était passé au drive pour lui prendre à manger. Alors bien évidemment, sous les serviettes elle savait qu'il y avait les petits sachets diverses qu'elle prenait toujours, mais l'attention était touchante.
"Je te connais, je sais que t'aimes pas cuisiner, surtout quand tu... Enfin, quand ça fait longtemps, quoi. Je suis sûr que t'as rien mangé ! Alors ce soir tu avales ça avant de te coucher, d'accord ?" Elle lui sourit, presque tendrement. Elvis n'était pas un ami. Il était parfois un plan cul, parfois juste son dealer, parfois un connard qu'elle ne pouvait plus supporter. Ce soir, il était particulièrement mignon, et elle savait qu'il l'aimait bien. Sera posa son sac de nourriture par terre et fouilla dans son sac à main pour en sortir un livre.
"Le retour des communs : la crise de l’idéologie propriétaire. Recopie pas mot pour mot ce bouquin dans tes dissertations, d'accord ?" le taquina-t-elle en lui tendant le bouquin. Evidemment, cachés dans quelques pages du bouquin, quelques billets servaient de marque-page en attendant d'être récupérés. Le jeune homme attrapa la main de Sera avant qu'elle ne la retire de la vitre et y déposa un baiser sur le dos. Il planta son regard dans celui de l’israélienne.
"Je te ramène ? Tu vas pas rentrer toute seule à cette heure-ci..." proposa-t-il. Sauf que Sera n'était pas dupe. Il voulait coucher avec elle et c'était légitime, il lui arrivait souvent de dire oui, mais pas ce soir. Elle voulait rentrer, prendre sa dose et se morfondre dans son lit jusqu'au matin.
"Pas ce soir. J'ai eu une longue journée. Je t'appelle dans la semaine si tu veux." Elvis sembla un peu déçu mais n'insista pas et lui relâcha le bras. Sera avait pourtant presque une bonne heure de marche pour rentrer chez elle, mais ce n'était pas important. Elvis lui souhaita une bonne nuit et referma la vitre de sa voiture tandis que Sera serrait légèrement son sac Burger King contre elle en suivant la voiture qui s'éloignait du regard.