Je buvais rarement un café qui vous coûtait un bras sans trop que vous sachiez pourquoi quand vous pouviez faire un café tout aussi bon en achetant de bons grains pas très chers chez un torréfacteur. Seulement aujourd'hui le temps avait décidé de n'en faire qu'à sa tête et tandis qu'il pleuviotait quand j'avais quitté mon loft, il pleuvait à présent de véritable trombes d'eau. Quand ce déluge soudain avait commencé, tout avait été trempé en à peine quelques secondes, m'incluant moi et je n'avais aucune envie de tomber malade ou de finir frigorifié. Alors Starbucks, parce que c'était ouvert et qu'un café chaud, même hors de prix, aurait le don de me réchauffer le temps que ce déluge arrête de tomber. Une pluie pareille ne pourrait pas durer. Enfin c'est ce qu'on dit en général mais j'ai grandis en Angleterre, je sais qu'une pluie diluvienne peut s'abattre pendant des heures, voir des jours, sans discontinuer et que ça n'a absolument rien de surprenant. Les gens à Europolis s'en surprenaient encore, moi j'espérais qu'un malheureux aurait oublié son parapluie, je ne suis pas pour le vol mais qui récupère son parapluie quand il l'oublie dans une boutique ? Personne. Un parapluie ça doit vivre des aventures, ça doit s'oublier à un endroit pour changer de propriétaire et ensuite être oublié à un autre endroit en attendant un nouveau propriétaire. Finalement un parapluie c'est comme l'anneau unique du Seigneur des Anneaux, ça choisit son porteur et ça n'hésite pas à le quitter.

Déception en entrant dans le café, je suis obligé de monter ma musique pour monter par-dessus celle qui "ambiance" les lieux de façon bien trop prononcée. Je ferai avec le temps que ce déluge se calme, s'il se calme. En attendant je me dirige vers la caisse, il y a peu de monde dans le café, la pluie ça décourage beaucoup de monde de sortir finalement. Mon choix était déjà fait, je ne regarde pas les propositions aux prix alarmants. Je me demandais parfois si les serveurs, pardon les barista, qui travaillaient dans ces lieux se disaient que ces prix étaient incroyablement élevés pour une boisson aussi simple que du café. Je regarde la vendeuse, charmante d'ailleurs en m'approchant avec un sourire aux lèvres. Elle n'a de yeux que pour ce que je devine être un ordinateur vers lequel elle tend les doigts, sans le toucher pour autant. Elle resserre ses doigts, était-elle en train de marabouter l'ordinateur pour faire cesser la musique ? Mon sourire meurt quand mes oreilles se font agresser par quelques stridences désagréables le temps de quelques secondes et puis le silence règne dans le Starbucks. Je baisse la musique dans mes oreilles, si on oubliait la petite pointe de migraine que l'agression sonore avait provoqué dans ma tête. Je souris à nouveau quand la jeune femme prend ma commande.

« Un café long, s'il vous plait. »

Rien d'exceptionnel, le bête café de base … à 5 eurodollars quand même parce que … Rien ne dit plus café hors de prix qu'un gobelet recyclé et recyclable en carton de je ne sais quoi avec mon prénom écrit avec un "i" à la fin. Récupérant ma commande, je m'installe à une petite table, un peu à part, je sors mon ordinateur de mon sac pour voir si j'arrive à écrire un peu. Dehors le temps ne s'est pas amélioré, c'est même l'inverse. Je tape quelques mots sur mon ordinateur mais ça ne sera pas concluant. Alors je lance un jeu vidéo, Super Mario Bros 3, rien ne bat les classiques mais ma concentration est presque nulle. Avais-je vu cette jeune femme démolir les enceintes avec son geste de la main ? J'avais un doute mais quand même … Juste quand elle resserrait ses doigts, le timing était trop parfait pour être lié au hasard, d'autant qu'elle avait semblé être la seule à ne pas être surprise quand les enceintes avaient craché leurs sons affreux. Depuis que Kate m'avait parlée de personnes aux dons particuliers comme moi, je n'arrivais pas à m'empêcher de faire beaucoup plus attention et là … Etait-ce possible que j'ai raison ? Je termine mon café, une heure a filé depuis mon arrivée mais je n'ai pas progressé dans mon jeu, les pensées trop occupées par cette jeune femme. Il faut que je discuter avec elle. Que je sache. Je reviens donc commander un café.

« Je reprendrai la même chose s'il vous plait. »

J'hésite une brève seconde, devais-je lui parler de ce que j'avais vu ? Avant de retourner à mon ordinateur quand elle me tend mon café, je  la regarde dans les yeux avec une expression sérieuse, je murmure pour elle, à son adresse uniquement.

« J'ai vu ce que vous avez fait. Je sais ce que vous êtes. »

Je m'éloigne sans attendre de réaction ou de réponse, retournant m'asseoir. Soit elle avait fait quelque chose et allait s'interroger sur mes propos. Soit elle n'avait rien fait et elle allait me prendre pour un fou. L'un ou l'autre, je serai sans doute fixé rapidement.

Si j'avais bien vu ce que la jeune femme avait fait avec ce qui ressemblait beaucoup à un pouvoir, je n'avais rien vu de son petit vol de cookie. Trop absorbé par la page blanche qui vivait sur mon ordinateur alors que je réfléchissais à ce que j'avais vu. Même lorsque j'avais mis un jeu vidéo en route je n'avais jamais fait attention à ce que j'avais fait. Je passais en revue le film de mon entrée dans le café pour être sûr de n'avoir rien raté, de ne pas me tromper. Je vois encore ses doigts approcher de l'écran de l'ordinateur, puis se replier sur eux-même et à ce moment précisément que les enceintes ont décidé de mourir après un dernier baroud d'honneur des plus désagréables. Pas de surprise sur son visage dans ce film, elle savait ce qui arriverait. Soit ça avait été le timing le plus parfait de tous les temps grâce à un improbable hasard, soit elle avait effectivement mis son grain de sel pour faire dérailler les enceintes auquel cas elle devenait particulièrement intéressante. D'abord parce qu'elle a un don très particulier comme j'avais le mien, ensuite parce que je voulais savoir sur quoi elle avait agit. Sur l'électricité pour provoquer un court-circuit ? Un court-circuit aurait fait sauter d'autres choses que juste l'enceinte. Sur l'ordinateur pour détruire ses composants ? L'ordinateur semblait en bon état de marche. Sur le son pour faire trembler l'enceinte jusqu'à ce qu'elle ne rende l'âme ? Cette dernière hypothèse avait quelque chose d'enchanteur. Mais elle avait aussi pu influencer sur les vibrations de l'air pour les accentuer dans l'enceinte, cela expliquerait le son violent pendant quelques instants. Si elle manipulait le son alors j'étais très intéressé. Avec mes problèmes d'audition, plutôt mon contre-coup de pouvoir comme dirait Kate, une telle aptitude pourrait être merveilleuse pour moi. Pourrait me rendre une vie normale qui n'était pas faite de musiques incessantes.

Un cookie pris dans un rayon, c'était le cadet de mes soucis en ce moment et je n'avais absolument pas fait attention à cela. Ni d'ailleurs qui que ce soit dans le café. Alors tandis que je cherchais une recharge de café, je décide de confronter la jeune femme face à son pouvoir. C'est une surprise qui marque mon visage quand elle me demande de ne rien lui dire … A qui ? Son regard passe sur son manager et je comprends mais je n'entendais rien dire de sa particularité à quiconque. Je n'allais déjà pas parler de la mienne alors de celle d'une autre, c'était un secret qui se méritait d'être gardé si on ne souhaitait pas être cible d'une attention qui promettait d'être copieuse et nourrie. Soudainement elle me parle de … de cookie ? Sans mauvais jeu de mot, nous n'étions pas sur la même longueur d'onde et alors que je m'apprête à répondre, je réfléchis un petit peu. Rapidement.

« Diner avec moi ce soir et je vous promets que personne n'en saura jamais rien. Je vous promets aussi que ça ne sera qu'un simple dîner sans arrière-pensée, j'ai déjà quelqu'un dans ma vie et je lui suis fidèle. Mas je crois que vous et moi avons à discuter. »

Pour motiver sa décision, je décide de rajouter encore quelques mots.

« Je ne parlais pas du cookie, je parlais de ce que vous avez fait avant. Je vous ai vu rendre cet endroit silencieux. »

Prenant mon café, je retourne sur mon ordinateur en attendant que l'appel soit fait pour les clients de la fermeture de l'établissement. Je range mes affaires, la pluie s'est arrêtée, sans doute très temporairement et j'attends la jeune femme devant la boutique.

Je ne voulais que discuter avec la jeune femme, essayer de comprendre ce qu'elle avait fait, si elle influait sur le son alors peut-être qu'elle pourrait aider mes problèmes d'audition que Kate qualifiait de contre-coup de mon pouvoir. Si elle pouvait me soulager des sons que j'entendais sans cesse, de ce volume bien trop fort avec lequel je vivais, je devais lui parler. Je devais au moins essayer de le faire. D'accord mon "invitation" qui n'en était pas une puisque je n'avais jamais demandé si elle voulait dîner avec moi ou non ressemblait vraiment à un début de harcèlement. Au risque de passer pour un gros macho qui espérait bien la draguer mais ce n'était pas mon objectif. Un macho gros-lourd qui voulait l'inviter à dîner dans le but de se glisser entre ses draps aurait profité de ce qu'elle avait dit concernant le cookie. Il lui aurait dit qu'il ne dirait rien si elle acceptait un dîner, moi j'entendais rien faire de ce que je savais désormais. Elle avait mangé un cookie, tant pis, il y en avait plein d'autres et je suis même persuadé qu'elle n'était pas la première et ne serait pas la dernière. Je suis même prêt à parier qu'elle n'en était pas à son coup d'essai et qu'elle recommencerait encore, peut-être plus discrètement à l'avenir. Moi en tout cas je n'avais vu que du feu sur son vol de cookie mais après tout mes yeux étaient rivés sur un écran auquel je n'avais porté aucune attention alors la voir elle en train de grignoter … je crois que même si je l'avais surprise à le faire, je n'y aurai porté aucune attention.

J'étais sans doute en train de prendre un mauvais départ avec elle compte-tenu de ce qu'elle avait imaginé mais il était trop tard pour faire marche arrière. Mais ce qui était fait était désormais fait et faire demi-tour n'était pas possible, je peux voir le temps quelques secondes à l'avance pas revenir dans le temps. Quoi que je crois que j'aurai préféré ça. Revenir dans le temps, ça aurait été vraiment utile ça. Mon pouvoir à moi semblait en faire à sa tête tout le temps, s'appliquer seulement quand il le voulait et jamais quand j'en avais véritablement besoin ou que je voulais l'utiliser. J'avais réussi à faire démonstration de mes capacités à Fallon, c'était finalement déjà pas si mal que ça. En revanche je me rendais compte qu'il n'était d'aucun secours quand j'affrontais Kate dans nos entrainements. Elle me battait toujours et souvent à plate couture. Quand je parvenais à la touche, je mettais ça sur le coup de la chance ou même parfois je me disais qu'elle se laissait faire. Se battre ce n'est pas mon truc et mon pouvoir m'y aide un peu … définitivement pas assez. Si seulement il y avait un moyen de le mettre d'avantage sous contrôle. Si seulement il y avait un moyen d'apaiser mon audition par la même occasion.

Ce moyen je voulais croire que c'était la jeune femme que j'attendais devant la boutique puisqu'elle avait finalement fermé ses portes. Je n'étais pas encore sûr qu'elle allait venir, je n'étais pas capable de savoir ce genre de choses, en fait je me rendais compte que je ne ressentais vraiment le futur que quelques instants avant qu'il arrive. Ca aurait été plus pratique de voir plus loin mais j'imagine que toute aptitude a forcément une limite. Mon contre-coup en revanche semblait n'en avoir aucune lorsque commençait la migraine. C'est pour ça que j'avais besoin de parler à cette jeune femme. Malheureusement elle se fait vindicative dans ses mots, elle est clairement sur la défensive mais elle va trop loin pour demeurer vraiment crédible. Harcèlement pour l'avoir invitée au restaurant ? Elle était nerveuse et visiblement peu contente de me voir face à elle, comme un animal apeuré et ces derniers sont toujours à redouter.

« Attendez, vous ne comprenez pas … Nous sommes pareils. »

D'accord, nous n'avions de toute évidence pas la même capacité mais dans l'image nous étions tous les deux pareils, enfin je crois. Sa peur semblait indiquer que je voyais juste, à moins qu'elle ait un autre secret que j'aurai aperçu sans le savoir.

« Vous avez un don. Je ne sais pas ce que c'est, si vous avez le pouvoir d'influer sur les vibrations, sur l'électricité, sur le son ou sur l'informatique mais vous avez un don. C'est comme ça que vous avez fait taire la musique dans la boutique. »

J'espérais qu'elle comprendrait que si je savais ça c'est que j'étais comme elle, comme je l'avais dit, que nous étions pareils.

« Vous êtes extraordinaire et cela veut dire que vous vivez aussi avec un mal, que vous payez le prix de votre don. C'est mon cas également. Je possède une super-audition. Que je ne peux jamais faire taire malheureusement. »

Un petit mensonge, du moins à demi, pour attirer son attention, pour lui faire comprendre que je ne lui voulais pas de mal. Que je voulais comprendre qui elle était et ce dont elle était capable. En commençait par parler de moi.

Beaucoup trop direct. Elle avait entièrement raison, j'avais été beaucoup trop direct dans ma façon de l'aborder et de lui parler. Cela était en grande partie liée à ma volonté de lui parler, de pouvoir m'entretenir avec elle. J'avais oublié toute notion de discrétion, il faut dire qu'à vivre sans cesse en devant tout entendre et en ayant du mal à m'isoler totalement du monde extérieur j'avais parfois l'impression d'être perdu au milieu d'une île déserte où n'affluerait par le vent que des voix qui parlaient encore, encore et encore. Je détestais les lieux publics pour cela, pire encore les églises où les gens pensent que personne ne les entend s'ils se contentent de souffler quelques paroles entre leurs lèvres comme si de rien était. Seulement la jeune femme avait raison, j'avais oublié, en venant l'aborder, toute notion de discrétion ou même de logique. Je n'aurai pas dû agir ainsi. Seulement quelqu'un capable de toucher aux sons ? Et si elle pouvait faire taire mon audition pendant juste quelques secondes ? Et si elle pouvait me faire entendre à nouveau un bonheur que je n'avais plus entendu depuis des années ? Le doux son du silence. Avec des "si" on peut refaire le monde mais c'était tout ce que j'espérais. Pouvoir entendre à nouveau le silence, pendant juste quelques secondes.

« En faites vous êtes la première et je me suis laissé entrainer par mon enthousiasme. Je suis désolé. »

Des paroles sincères et honnêtes, j'avais fait une gaffe j'étais le premier à l'admettre. Je ne sais pas si j'étais inconscient comme elle le proposait mais définitivement peu réfléchi pour ce coup. Normalement je suis plutôt quelqu'un de posé, de rationnel c'est juste que si elle influence vraiment le niveau sonore … Cela faisait des années que je subissais mon audition, alors pouvoir me libérer quelques secondes de toutes les voix, tous les grincements, tous les sons de la vie ça serait agréable. Non ça serait un petit coin de paradis.

« D'accord, plus à ce propos au milieu de la rue. »

D'ailleurs c'était parfaitement logique et cohérent comme réflexion de sa part. Quel crétin. Je m'étais laissé emballer par ce qu'elle avait fait et j'avais simplement arrêté de réfléchir en agissant de la sorte. Kate m'avait pourtant mis en garde sur les dangers que je pourrai courir, sur ceux qui étudient les pouvoirs, ceux qui s'intéressent aux mutations provoquées par le vaccin universel ou celles qui furent volontairement provoqué chez d'autres. Dans quel cas pouvait-elle être ? Victime d'expérience ? Du vaccin ? Cobaye volontaire pour savant fou ? Tellement de questions se bousculaient, j'avais besoin … envie de parler à quelqu'un qui pourrait comprendre. Je parlais rarement de mon pouvoir et mon contre-coup à ma petite amie, même avec tous ses efforts et ses sourires, elle ne pouvait pas comprendre comme le pourrait cette jeune femme. Je crois que c'est aça qui m'emballait. Parler avec quelqu'un qui pourrait comprendre exactement ce que je vie et je ressens.

« Personne n'a de recette miracle pour ça je crois. »

Je voulais croire le contraire et si quelqu'un était assez têtu et obstiné pour trouver ça serait bien ma petite amie. Désignant un petit restaurant à burger de bonne réputation et qualité, je demande une petite table au calme et c'est rapidement chose obtenue. Je m'assois face à la jeune femme, mille et une questions fleurissent dans ma tête mais finalement aucune ne me semble plus importante que :

« Comment est-ce que vous avez fait ? »