Sous le nom de Saskia Strugatsky, tu es venue au monde dans un village près de Kazan. Un lieu désertique et pauvre de chaleur, tout autant que la famille dans laquelle tu es arrivée. Perdue au milieu des arbres, la maison solitaire dans laquelle tu as grandi, affronte chaque jour le vent du nord avec courage. Désirée par un père pauvre de douceur, non désirée par une mère pauvre de sentiments, tu grandis dans un désert blanc. Mais tu vis, tu grandis, tu endures, tu te satisfais, de cette existence froide.

Ton père t’initie à la chasse, aux pièges, à la patience, à la précision et plus tard, aux armes. Parce que, d’après lui, c’est la nature de l’homme. Chasser pour manger ; manger, ou se faire manger. Tu dois choisir ton camp et tu as choisi. Tu mangeras. Ces maigres instants passés auprès de ton père, seront les seuls que tu connaîtras, les seuls que tu apprécieras. A ces moments, tu avais l’occasion de montrer que tu en valais la peine, tu pouvais le rendre fier et, tu existais alors, à ses yeux.

Le vent du nord aura eu raison de ton père, et l’emportera avec lui dans un souffle. Papa est parti, et maman dit que vous ne pourrez vivre sans lui. Elle n’a personne, et toi tu n’as qu’elle. Elle aurait pu s’allier à toi, tu l’as appelé, tu l’as attendu. Vous auriez pu être forte ensemble. Mais elle a préféré se replier dans l’amère solitude de son âme, et t’abandonné à ta détresse. Elle te repoussa telle l’orpheline que tu étais à ses yeux, bien que tu sois la seule à pouvoir la nourrir de tes chasses. Bête faible et ignorante, tu acceptais sa haine envers toi.

Tu as beau marcher des heures, chasser des journées, travailler sans relâche ; l’argent et la nourriture manquent cruellement, dans ce qu’il reste du foyer Strugatsky. Tu dépéris, mais pas autant que ta mère s’étouffant de rage. Tu es responsable de tous ses maux, tu endures ses injures, tu supportes ses coups, parce que tu as toujours tout supporté et parce que tu n’as nulle part où aller. Mais le manque, ta mère elle, ne le tolérait plus. Ainsi, pour s’en sortir, elle te vendit à une organisation étrange, guidée par un homme d’ombre, mais qui payait bien. Elle n’avait aucune idée de ce qui allait t’arriver, elle s’en fichait, puisqu’elle était sauve désormais. Toi, tu serais arrachée à ta plaine blanche, à ton calme, à ton monde. Un monde que tu avais si soigneusement construit autour de toi. Il disparaissait, tout comme toi tu disparaitrais.

Saskia était morte dès que tu fus entre leurs mains. A la place naquit Nimhoë. Tu devins une enfant soldat, au service d’un groupe mystérieux, mais surtout, au service d’un homme appelé Liev, dont les ambitions restèrent à jamais floues. Avec d’autres enfants, tu appris tout ce que tu devais savoir du monde, d’après l’éducation traditionnelle, ce que tu n’avais encore jamais eu. Mais tu appris aussi le maniement des armes, du combat, du mensonge, de la dissimulation, de l’informatique. Mais toutes ces choses que tu acquis, fut au détriment de ton âme.

A 22 ans, ton entraînement touchait à sa fin, mais il fallait maintenant s’assurer de ta volonté sur le terrain. Et comme épreuve, tu fus renvoyée là où tout avait commencé. Tu retrouvas alors ta maison tordue par le vent au milieu de sa plaine glacée. Ils te demandèrent d’exécuter ta mère, et tu l’exécutas.

Durant les années qui suivirent, tu obéis à tous les ordres qu’Ils te donnèrent. Sans poser de questions, sans émotions, sans réfléchir, tu accomplissais toutes les tâches qu’ils t’ordonnaient d’accomplir. La troisième guerre mondiale fut ta propre gloire, tu ne te battais pas pour la Russie, un pays aussi inconnu pour toi que le monde entier, tu te battais pour toi-même. Pour te prouver ce que tu valais, et au combien, tu pouvais être utile. Sur tous les fronts tu récoltais des informations, non pour le salut de ce pays, mais pour celui, de ton maître. La troisième guerre mondiale, dont la précarité ne t'a jamais affaibli, étant née dedans, fut l'expérience la plus enrichissante, de ta vie, et la plus dévastatrice. Les années suivantes, tu prouvas ton acharnement et ta dévotion ; jusqu'à devenir, non pas la meilleure, vous l'étiez tous, mais la plus dérangeante, par ton instabilité et ton impulsivité. Tueuse, aux yeux larmoyants, tu faisais couler le sang avec abondance. Maîtresse de la torture, tu découpais la chair pour quelques informations. Jamais par plaisir, toujours par obéissance. Toujours incomprise sur la manière dont tu pouvais réagir, fragilisée et dangereuse, Liev se demanda si tu étais assez forte pour continuer. Il avait surtout peur que tu viennes faire foirer tous ses plans avec ton imprévisibilité.

Il t’envoya alors à Europolis, dans le but uniquement de récolter des informations. Il voulait savoir ce qu’il se passait dans cette capitale, ce qui patientait là-bas et attendait le bon moment pour surgir. Tu n’as jamais compris ce que recherchait Liev, tu n’as jamais cherché à savoir. Tu as pour ordre de, pour l’instant, faire profil bas ; tu dois construire une vie normale. Mais comment fonder une vie normale après cette existence ?

Salut ! Moi c'est Marion mais appelez moi M . J'ai connu le forum via des topsites et je pense que c'est un forum dont le contexte et l'histoire m'a l'air tout à fait super méga intéressant.
Sur une échelle de présence de 1 à 7, je pense être présente 4/7.

CHAPITRE 1 -
Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon ;
Il nage autour de moi comme un air impalpable ;
Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon
Et l'emplit d'un désir éternel et coupable.- Baudelaire


2030 - Les flocons fragiles se posent sur ton visage découvert. Disparaissant, ils prennent la couleur de ta peau rougis par le froid, venant titiller tes narines. Imperturbable, tu restes immobile, fixant ta proie. Concentrée, ta bouche laisse échapper un souffle blanchâtre, qui s’élève dans le ciel. Ta joue collée au métal froid, ton cœur commence à s’emballer. Clignant d’un œil, tu espères faire de ton tir, un acte plus précis : « Ouvres les deux yeux, Saskia. » Rappelée à l’ordre, tu t’exécutes. Cela fait des heures que vous le suivez à la trace, que tu lis ses pas dans la neige. Tu l’attends, celui aux grandes oreilles, qu’il veuille bien se montrer. Mais tu sais qu’il est là, tu le sens, tu le sais. C’est enfin le moment, l’homme à tes côtés t’observe, il t’analyse et tu veux bien faire. Tu veux lui montrer que tu en es capable. Tu gonfles tes poumons, un mouvement, un bruissement, un tir. La détonation résonne dans la plaine et se fait emporter par le vent. Un long silence de mort s’installe et alourdit l’atmosphère. Emmitouflée dans ta fourrure grise, tu te redresses indécise. L’as-tu eu ? Pas sûr. Inquiètes, tu regardes ton père avec interrogation : « Allons voir ça. » Souffle-t-il en se relevant. Dépoussiérant son manteau épais de la poudreuse, il commence déjà à avancer. Tu fais de même, après avoir remis la sécurité à ton arme. Le vent souffle sur la plaine désertique et joue avec le sable blanc qu’il fait danser sur l’étendue immaculée et lumineuse. Il te brûle le visage autant que l’écorce des arbres, fatigués de cet hiver sans fin. Leurs cimes pointent difficilement le ciel férocement gris, accusateurs.

« Pas tout à fait on dirait. » Les mains dans les poches, il fronce les sourcils et se penche en arrière. Il est déçu, c’est certain. Pourtant tu ne t’es pas précipitée cette fois, tu as été minutieuse. Tu te penches à ton tour, sur le corps tremblant de la bête poilue. Le sang vient souiller la neige, écarlate. Tu ne pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de sang, sortant d’un si petit être. Un si petit être. Tu te surprends à ressentir de la peine pour cette boule agonisante. Ces gémissements déchirent ton cœur et tu te demandes alors ce que tu fais là. Qu’as-tu fait ? Tu t’agenouilles devant la créature immobilisée par la peur et les pattes arrière déchiquetées par le plomb. Tes yeux brillent de larmes naissantes, quel sinistre spectacle. C’est toi qui as fait ça. C’est toi. Mais qu’as-tu fait ? Agacé, le paternel claque sa langue contre son palais : « Tu dois faire bien mieux que ça, tu abîmes du produit en tirant aussi salement. Tu dois être plus précise. » Tu n’oses lever les yeux vers lui, tu préfères fixer le sol, lâchement troublée par la victime. Tu es faible, c’est tout. Tu es détestablement faible. Sans réponse, il secoue la tête, impatient et sort un canif d’une poche intérieure : « Maintenant, finis le travail. » Tu t’en sens incapable, mais tu redoutes d’autant plus les conséquences d’un refus. Bien moins assurée que tout à l’heure, c’est d’une main tremblante que tu lèves ton bras pour empoigner l’arme blanche. C’est toujours plus facile, de faire du mal à distance. Mais devant cette chose, si frêle, si innocente, si anéantie, la tâche devient plus ardue à assumer. Il te faudra regarder la mort s’emparer de ses yeux terrifiés, sans défaillir. Tu es si faible Saskia, si faible. Tu lèves la lame au-dessus du corps à la respiration aussi saccadée que la tienne. Mais le temps se suspend, les flocons se posent sur le corps ruisselant de sang s’écoulant jusqu’à toi. Ses prunelles sombrent reflètent ton âme damnée, tu le vois dans ses yeux. La noirceur.

« Ça suffit. » Il t’attrape par les épaules et sa main frappe le vent, avant de s’écraser sur ta joue. La force du mouvement te propulse et tu échoues dans la neige. La douleur te saisit, mais tu n’es plus surprise. Tu n’es plus surprise par les coups. « Qu’est-ce que j’ai dit ? Aucune faiblesse. Aucune douleur. Aucune pitié. Répète. » Tu reprends ton souffle, le froid brûle tes poumons, tu peines à te redresser, sonnée : « ... Aucune faiblesse ... Aucune ... douleur ... » « Redresses-toi ma fille, plus fort ! » Allez Saskia. Tu t’agenouilles de nouveau, droite, affrontant faussement la situation : « Aucune faiblesse, aucune douleur, aucune pitié ! » Ta respiration est forte, il te terrifie parfois. Pas toujours. Souvent. Ta mâchoire se contracte. Tu te sens si minable, si misérable. Bonne à rien, incapable d’achever ce que tu commences. Tu n’es qu’une incapable, c’est toi la petite chose frêle, qui se débat avec la vie : « Finis. » Sa voix, son regard, tout son être est aussi froid que les lieux. Es-tu aussi glaciale ? Poupée gelée, finis de trembler. Pinçant tes lèvres, tes mains s’élèvent et déchirent l’air jusqu’à transpercer la chair. Les gémissements cessent, le silence reprend ses droits. « Rappelles-toi Saskia, aucune pitié. ».



CHAPITRE 2 -
Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

A travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s'en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature. - Baudelaire


2033 - L’air s’est allégé d’un être il y a de cela quelques années maintenant. Il s’est allégé d’un être tout comme il a allégé ton cœur. Tu t’es retrouvée alors partagé entre le soulagement et la crainte ; le soulagement de plus avoir un poids, une pression à tenir, et la crainte de voir naître dans cette maison, quelque chose de pire. A travers la fenêtre, tu regardes aujourd’hui ta forêt s’appauvrir et s’affaiblir, et bien que tu la dépèces chaque jour, de ces habitants, elle reste implacable et résistante. Tu voudrais avoir cette force, cette hargne, cette sagesse aussi. Mais tu es si jeune encore, si jeune. Et tu te vois endosser des tâches qui semblent te dépasser. Il t’aurait fallu du temps, il t’aurait fallu apprendre bien plus, pour être parfaite, pour survivre. Dans l’obscurité d’une nature agonisante, tu aperçois parfois sa silhouette te suivre telle une ombre. Elle vient te susurrer ses folles paroles qu’il te répétait sans cesse, un rappel permanent de ce qu’il doit être fait. Mais la pauvreté vous assaille chaque jour, et tu as beau te débattre avec la fatalité, tu sais qu’aujourd’hui, tu es impuissante face au destin qui vous est prédestiné. Ton ventre hurle et son écho résonne dans ton estomac vide. Qu’est-ce que tu peux faire ? Qu’est-ce que tu peux faire, maintenant ? Tes mains viennent cachés ton visage désespéré, tu crois pleurer, mais tu n’oses l’envisager. Pleurer, c’est pour les faibles. Et tu dois être forte Saskia, tu dois être implacable, comme cette forêt.

Le bois grince, ça bouge au-dessus de ta tête. L’âme au premier étage, se réveille et tes dents se serrent. Tu ne veux pas la croiser, tu ne veux pas l’entendre, cette femme au coeur noirci par la rancoeur. Elle ne cherche pas à t’aider, elle ne cherche pas à te comprendre, elle supporte seulement ton absence comme tu supportes la sienne. Tu n’as jamais compris pourquoi, elle exprimait autant de haine à ton égard, et tu t’es déjà demandé, si cela avait été toujours le cas. Son coeur vide de toutes émotions, ne cherche qu’à se nourrir de misère et de peur. Maintenant qu’elle est levée, il a faim de ta désolation. Tu te diriges vers la porte tel un courant d’air et la refermes aussitôt. Face à ton monde enseveli, tu suffoques. Les montagnes dressent une muraille entre toi et le monde. Combien de temps faudra-t-il encore tenir ? Combien de temps faudra-t-il endurer ? Tu n’as qu’elle dans ta vie, mais elle, ne veut pas de ta présence dans la sienne. Tu n’as nulle part où aller. Tu es si jeune, si jeune encore. Il faut attendre encore, il faut attendre que les montagnes te paraissent moins hautes, et le monde, moins vaste. Il faut attendre que tes yeux d’enfants, laissent place au regard d’une femme. Avançant dans la neige, tu inspires profondément, plongeant dans la profondeur d’un paysage silencieux. Toi, tu te nourris de cette grandeur.

« Saskia Strugatsky ? » Surprise, tu sursautes et détournes les yeux de l’immensité nacrée. Trois hommes et une femme, se dressent non loin de toi, comme venus de nulle part. Jamais personne n’était venu jusqu’à vous, depuis la mort de ton père. Nerveuse, tu regardes la porte d’entrée, te demandant si tu ne ferais pas mieux de rentrer chercher ta mère : « Vous êtes qui ? » Tentes-tu, suspicieuse. L’un des hommes s’avance, autant que tu recules, et il s’arrête alors, un sourire aux lèvres. Pas un sourire qui rassure : « Des amis de ta mère. » Tu ne comprends pas. Tu sens que ça ne va pas, tu sens le danger qui flotte autour de ces étrangers. Le mutisme de ta forêt en dit long sur ce qui va arriver : « Ma mère n’a pas d’amis. » S’ils sont ses amis, ils ne sont alors pas les tiens. Tu dois partir, tu le sens, tes montagnes t’appellent. La porte s’ouvre et ta mère cadavérique, sort sur le palier. L’homme qui parle s’éloigne de toi pour se rapprocher d’elle, tu n’entends pas ce qu’ils se disent, tu ne cherches pas écouter. Il n’y a que le battement de ton cœur qui retentit dans ton crâne : « C’est elle je suppose ? »elle hoche la tête, tu sautes vers la plaine. Glissant le long de la colline, tes jambes te portent. Tu dois courir, tu dois courir très loin et ne pas t’arrêter. Tu ne sais pas ce qu’ils te veulent, et tu ne veux pas savoir. Tu dois juste courir. « Attrapez-la. » Cours, cours. Le vent siffle et porte tes cheveux, tu penses pouvoir voler et disparaître avec lui. Tu aurais aimé qu’il t’emmène, tu aurais aimé qu’il t’emporte loin de cette folie. Mais une force te tire soudain en arrière et précipite ta chute. Agrippant tes cheveux, un des hommes te tire, laissant ton corps traîné. C’est la fin.

« Elle court vite la gamine. » Rit-il. Ta mère se saisit d’une enveloppe et regarde, excitée, à l’intérieur ; après avoir approuvé d’un hochement de tête, elle te regarde enfin. Désespérée, tu l’implores du regard, de la voix. Tu l’appelles sans relâche et tes plaintes s’élèvent dans la plaine. Tu te débats comme tu peux, mordant, frappant, tu convulses ton corps en espérant le voir libérer de leur emprise. « Maman ! » Tu es le lapin à l’agonie et au souffle court. Tu sais que la fin arrive, tu te bats avec ce qu’il te reste, et ce sont dans tes yeux maintenant que se reflète la noirceur. C’est toi, la pauvre petite bête frêle ; et c’est au-dessus de toi, que se dresse le glaive de la mise à mort. Perçant les airs, il te frappe au visage avec violence. Pas le temps de revenir à toi, qu’ils te redressent : « Ferme ta gueule où je te coupe la langue, tu me seras toujours utile sans. » La douleur te fait gémir, tu sens le liquide chaud couler de ton nez jusqu’à tes lèvres. Son goût envahit ta bouche et te pousse à la cracher, grimaçante. Ton sang tâche maintenant l’immaculée. Dans l’incompréhension tu cherches à nouveau ta mère du regard, mais son expression en dit long sur ses intentions. Tes larmes se mêlent au sang, mais les sanglots, tu les gardes pour toi. Vous partez, elle vous suit jusqu’à leur véhicule, tenant fermement son enveloppe entre les mains. Tu ne la quittes pas des yeux, espérant toujours. Espérant jusqu’au bout. La peur t’agrippe, que va-t-il t’arriver ? Qu’a-t-elle fait ? Tu ne peux plus te battre, l’effroi te tient paralysé. Elle finit par s’approcher, avant que tu ne montes avec eux ; tu espères toujours, encore : « Rappelles-toi Saskia, aucune faiblesse, aucune douleur, aucune pitié ... ça vaut pour tous les animaux de cette planète. »



CHAPITRE 3 -
Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve.- Baudelaire


2038 – Ces murs gris, ces sols cirés, ces pièces identiques et impersonnelles ; ces lieux, c’est tout ce que tu connais depuis maintenant cinq ans. Tout ce que tu connais. Par cette nuit calme, tu la dessines à travers les yeux de la lune. Par sa blanche lumière, elle éclaire les souffles tranquilles de ceux qui dorment. Assise sur ton lit, les draps à tes pieds, tu poses ta tête sur tes genoux remontés jusqu’à ta poitrine, pensive. Tes yeux te brûlent d’avoir passé des heures, des journées, sur les écrans, à tenter de pirater des logiciels, des sites, des programmes. Tes pieds rugueux te somment d’arrêter de courir, de sauter, de gravir, de frapper. Tu observes ton corps, tes mains craquelées, ensanglantées, tétanisées par la douleur. Recouverte d’hématomes et d’égratignures, tu fais peine à voir. Poupée abîmée par les tourments, tu souris au clair de lune. Brisée à chaque coup, à chaque violence ; de jour en jour, inhibée de la souffrance, tu te complets dans cette destruction. Toi qui n’as jamais rien su, sur la vie, sur le monde, sur les gens, sur toi-même ; aujourd’hui, tu sais beaucoup, et tu apprends toujours. La pauvre devenue riche, riche de connaissances. Tu te sens poussée par un but, quelque chose pour lequel tu es douée, quelque chose pour lequel tu existes. Tu sens que dans ces lieux, aussi monotones soit-il, tu as trouvé ta voie. Le prix du sang coulé ne t’est d’aucune valeur, comparé à ce que ton cœur comprend. Cette noirceur qui te côtoie depuis toujours, que tu n’as fait que croiser jusqu’ici, en ce jour tu la sens, plus proche que jamais. Et elle ne t’effraie point. Plus ils te détruisent, plus ils te nourrissent de l’horreur, et plus tu l’apprécies. Tu lui ouvres les bras, comme envers une vieille amie. Tu changes, chaque seconde. Et si la violence grandit et empoisonne ton coeur, ce sont les démons dans l’ombre qui te font glisser dans les abysses. Et tu la savoures, cette chute, car au plus tu descends dans les profondeurs de ton âme meurtrie, au plus tu te sens hors du monde. A deux pas de la folie, tu apprécies ces sensations nouvelles, tu te sens exister, tu te sens vivante : « Saskia, ça va ? » Un des jeunes, arrivé en même temps que toi, s’est réveillé. Saskia n’existe plus, elle est partie, elle est restée dans sa plaine, avec son passé. C’est une nouvelle existence qui commence, une nouvelle personne. En changeant ta vie, ils changèrent ton identité, car Saskia n’avait plus à faire partie de ce monde. Personne n’a besoin de Saskia. Saskia n’est pas bonne, Saskia est inutile. Plus jamais tu ne serais cette fille faible et grelotante, plus jamais : « C’est Nimhoë. »



CHAPITRE 4 -
Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence!
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront ! - Baudelaire


2048 - La voluptueuse et meurtrière fumée s’échappe d’entre tes lèvres rouges, elle oppresse l’air de son odeur, et soulage ton esprit enragé. Tes yeux brûlants fixent silencieusement l’être suffoquant en face de toi, la peur commence à l’envahir, il réalise doucement la manière dont va se terminer la journée, pour lui. Tes doigts ensanglantés jouent avec la cigarette, avant de la porter à nouveau à tes lèvres. Il ne tiendra pas bien longtemps encore, le jeu touche à sa fin. Tu le regardes, pauvre être prisonnier et impuissant. Quatre heures de souffrance, et il est toujours là, se vidant de son sang comme de son énergie. Bientôt, il capitulera de fatigue. Les cadavres de ses compagnons parsèment le béton, et dans ce chaos morbide, tu restes impassible. Tes prunelles reflètent la sombre couleur de ton âme déchirée par les années de sauvagerie, et les cadavres que tu sèmes, poursuivent ton cœur vide de pitié. Tu te sens toujours glissé vers plus obscure, jusqu’où peut-on descendre dans l’inhumanité ? Tu en sais trop maintenant sur la mort et le sang, pour pouvoir vivre sans. Tu ne connais que ça, la souffrance.

Tu soupires d’une fausse impatience : « Bon tu sais, il va falloir parler à un moment. » Non pas que cette faible grange dans laquelle s’engouffre le vent, te déplaise, mais tu as une mission. Tu dois le faire parler, comme tu en as déjà fait parler beaucoup : « Ce qu’il y a de bien avec ... La torture constante, c’est que ... peut pas faire pire ... » Tu t’arrêtes, et lentement un sourire se dessine, illuminant ton visage glacé : « C’est ce que tu crois ? Que je ne peux pas faire pire ? » La moquerie tinte ta voix sage, il est joueur le gaillard. Tu te lèves de la table sur laquelle tu étais assise, la clope au bec, tu t’approches de la créature à demi-morte. Agrippant un des multiples couteaux que tu lui as enfoncé dans le corps, tu le sors délicatement, laissant place à un jet de sang supplémentaire. Une cascade rouge de plus qui vient salir tes fines mains. Ses cris percent l’espace et assombrissent encore ton cœur. Mais cela ne te fait rien, pas plus que cela ne te réjouis. Tu ne vois en lui, qu’un animal apeuré, qu’il est nécessaire de blesser. Un être pour lequel, il ne faut avoir ni faiblesse, ni douleur, ni pitié. Il ne cesse de hurler, mais tu ne l’en empêches pas, tu hurlais de la même manière pendant les entraînements : « Je suis en train ... de mourir ! Tu pourras pas ... me garder vivant ... t’auras ... rien ... » C’est toujours pareil, ils pensent toujours, que tu ne sais pas ce que tu fais. S’il savait. S’il savait à quel point, tu es consciente, de chacun de tes actes. Tu regardes le plafond vieilli, prêt à s’effondrer à n’importe quel moment, le soleil perce entre les planches de bois, laissant passer de minces filets lumineux. Tu te réjouis encore, des belles journées, c’est la seule chose qui te réchauffe, toi qui ne connais que le froid. Qu’il soit de l’intérieur, ou de l’extérieur. Tu poses de nouveau tes prunelles sur la bête lugubre : « T’en fais pas va ... » Ta main se balade sur la table de bois, passant d’un ustensile à un autre, la fumée grise enveloppant ton doux visage. Tu attrapes finalement un pistolet à clous que tu pointes sur la victime, dont les yeux se remplissent d’un nouvel effroi : « J’ai étudié la médecine et l’anatomie ... On a tout notre temps. » Tu souris.

« Nim ! Ça suffit ! » Liev apparait derrière la créature défigurée, aux portes de la grange grandes ouvertes. Mécontente, tu ronchonnes et laisse tomber l’arme le long de ton corps. Il est suivi par d’autres, qui viennent s’emparer de l’homme crachant rougeoyant et l’emmènent loin de toi. Fronçant les sourcils de déception tu reposes la machine sur la table. Aspirant une dernière bouffée de ce poison en barre, avant de l’écraser sous ton pied, tu te retournes vers le patron, les fesses posées sur la table aux allures macabre. Tu sens arriver le sermon, et ça t’agace déjà : « Nim ... Pendant combien de temps encore vas-tu me ramener des morts que je désire vivants ? » Tu détournes son regard de lui, soumise, tu ne dis rien. Il n’y a rien à dire. Ces derniers temps tu n’as pas été, très nette, dans tes missions. Il les a considérés comme des échecs, parce que tu n’agissais pas selon sa volonté, bien que tu lui ramènes toujours les informations dont il avait besoin. Tu sentais naître doucement en toi, une légère rancune à son ingratitude. Il soupire et s’approche pour s’adosser à la même table : « J’ai une nouvelle mission pour toi. Tu vas à Europolis, je veux que tu t’y fasses un trou tranquille, fonde une vie normale et propre. Je communiquerais avec toi les détails de que je veux, une fois que tu seras sur place. » Tu le fixes, interrogée, les instructions te paraissent bien floues. Il te fixe à son tour, et tu décèles dans ses yeux, une certaine incertitude : « C’est une mission de renseignements, Nim. Je ne veux aucune éclaboussure. » Insensible à ses recommandations, tu acquiesces. Aucune éclaboussure, d’accord. Tu te lèves et quittes la grange pour aller te préparer au voyage. Tu n’as pas peur, tu pars découvrir le monde un peu plus encore. Tu n’as pas peur, parce que ce monde, tu le vois enfin, avec des yeux de femme forte. Le soleil caresse ton visage et alors que tu t’apprêtes à monter dans le véhicule, tu l’aperçois au loin, tapis dans l’ombre d’un arbre. Elle t’observe, et depuis quelque temps, elle te suit. Tu la sens s’immiscer doucement dans ton âme, telle une fissure qui se fraie un chemin. Elle veut te déstabiliser, te rappeler qui tu as été. Cette gamine avec ses pièges et son fusil, qui poursuit les lapins blancs. Tu l’as oublié à jamais ; elle peut essayer de revenir, elle ne t’atteindra pas. Brièvement captivée, tu sens la présence de Liev dans ton dos. Rapidement tu montes et claques la portière, impassible.

« Envoyez quelqu’un avec elle, discrètement, pour nous renseigner et la surveiller. Je ne veux pas qu’elle soit au courant, et qu’il se tienne prêt à agir, si elle doit commettre, le moindre écart. » « Bien monsieur. »

Ma célébrité

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Mon métier officiel

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Mon métier officieux

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Mon Alias

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Mon Groupe

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