La guerre, l’environnement et la maladie ont sapé les fondations de l’Ancien Monde, le faisant trembler avant qu’il ne vacille pour de bon. C’était à l’horizon des années 2020. On pensait à la reprise économique, à l’unification politique. Les droits n’avaient jamais été aussi étendus pour la population, la pauvreté et la faim reculaient partout. Et puis il y a eu une nouvelle forme de grippe, qui a dévasté l’Asie, puis le monde. Les gens mourraient en masse. Les catastrophes environnementales se succédèrent en cascade, jusqu’à la destruction de villes entières par les eaux, les vents ou par le feu. Certains pays traversèrent une crise alimentaire très grave. Les Etats-Unis d’Amérique, ex-première puissance mondiale, s’enfoncèrent dans la crise politique, qui dégénéra en conflit armé, en Seconde Guerre Civile. L’Afrique s’enfonçait dans le chaos, comme l’Asie, comme l’Europe de l’Est. Les vieilles inimitiés resurgirent. Les querelles dégénérèrent en conflit.

La Vieille Europe tremblait, alors que l’Ours se réveillait à l’Est, que le Dragon jouait son va-tout en Mer de Chine et que l’Oncle Sam cessait d’être le gendarme du monde. Il y eu vingt années de guerres, d’épidémies, de famines. Le monde entier s’enfonça dans le chaos, mais les pays qui s’unirent dans la tourmente parvinrent à tenir bon. Les fortunes rassemblées et redistribuées permirent d’accomplir un formidable effort de transformation agraire et écologique. On recommençait à respirer et à cultiver, à vivre, à sortir.

L’Union Européenne assit sa stabilité sur la « croissance verte », et rétablit la paix, éliminant les menaces, en envoyant des troupes de par le monde. La guerre dura longtemps, dégénérant en des dizaines de micro-conflits en Afrique ou en quelques conflits destructeurs en Asie ou en Europe de l’Est. Les champs de bataille étaient ravagés par les armes chimiques, bactériologiques. La guerre avait changé de visage, et des milliers d’hommes et de femmes s’engagèrent pour faire renaître ce monde au bord du gouffre. La méditerranée connut une apocalyptique bataille navale sur des semaines, les plaines de Biélorussie et d’Ukraine furent balayées par les chars et les tempêtes de blizzard électro-magnétique, tandis que les villes d’Europe étaient bombardées par ce qui fut qualifié « d’Empire du Mal ». Les allemands appelèrent cette période le « Crépuscule des Dieux », une sombre référence à la partie la plus noire de leur histoire, mais sur tous les continents, les signes d’apocalypse se multipliaient. Il fallut des années et des sacrifices énormes pour que la paix revienne. Par la force, l’argent et la diplomatie, ce monde instable fut ramené en dehors des ornières de l’histoire, et la vie reprit son cours.

Récoltant les fruits des sacrifices immenses consentis pendant la guerre, l’Union Européenne avait commencé à construire sa capitale, Europolis. Une cité bâtie sur les ruines des vieilles artères du continent européen, une communauté humaine tentaculaire ou bravant les risques d’épidémies, les gens vinrent en masse participer à sa construction et y commencer une nouvelle vie, pour éradiquer une bonne fois pour toutes la faim, la maladie et la misère. Il était temps de se raccrocher au train du futur.






En dix ans, le rêve s’était accompli. Les mégalopoles avaient fusionné, des quartiers faisant la taille de villes entières avaient été érigés. Tout sentait le neuf, jusqu’au nouveau parlement. Et pourtant, le vice s’était déjà insinué dans les fondations de la nouvelle capitale. La drogue refit son grand retour après la guerre, avec tous ces soldats soumis aux « médicaments » de synthèse pendant les conflits africains ou asiatiques, et la chimie agricole qui produisait sans cesse de nouveaux produits. La paupérisation de toute la classe laborieuse, qui avait édifié la ville et l’avait ravitaillée, s’était accompagnée de son habituel lot de violences, de vols, de trafics et de leurs bains de sang. Les troubles psychiatriques, hérités d’une alimentation corrompue depuis des décennies, se répandaient dans toute la population. La police s’était laissée corrompre, incapable d’incarcérer une nouvelle génération de criminels entraînés jadis par l’armée, rendus fous par la nouvelle société et ses rigueurs, ou par la tentation d’intégrer le « business » qui pouvait faire d’un jeune de la banlieue un homme richissime en quelques mois.

L’institution judiciaire se retrouva sclérosée par la lourdeur des procédures, et l’ensemble fut paralysé, du flic de stationnement au gardien de prison en passant par les procureurs de l’Union. La pègre, anciennement héritée des vieux empires mafieux d’Europe ou importés avec les réfugiés de dizaines d’années de drames de par le monde, régnait en maître sur des quartiers complets. Là où il y a de la misère, il y a du crime, et Europolis qui s’était construite et développée comme une ville pour tous, n’était pas préparée à lutter contre ce cancer qui la rongea dès le début. Dans l’ombre, des milices se constituèrent. Les flics devinrent plus brutaux que jamais. Mais rien n’inspirait autant la terreur aux criminels que l’Ombre Noire, un monstre sorti des légendes, croque-mitaines de l’ombre, qui s’attaquait aux dealers et aux proxénètes.

Vampyr. C’est le surnom gravé au fer rouge sur le front des criminels arrêté par celui qui était le premier « Vigilante » de l’histoire, celui que les journalistes traitaient tour à tour de fou, de paria, de héros ou de monstre. Vampyr était le premier. Mais bien vite, on parla de fous réchappés des unités spéciales durant la guerre, d’expériences vivantes échappées d’un laboratoire de l’Union, vouées à gagner à supplanter les combattants traditionnels sur le champ de batailles, et même d’extra-terrestres qui infestaient la civilisation. Les théories du complot se multiplièrent.


Les bas-fonds d’Europolis résonnaient des hurlements des fous et des damnés. Et chaque jour amenait son lot de disparitions, d’overdoses, de faits divers impliquant des sectes, de soit disant « mutants ».


Insaisissable, Vampyr livrait une guerre sans merci au monde de la nuit, et un temps, les choses allèrent mieux en ville. Pour un temps seulement. Le 24 décembre 2049, Vampyr fut filmé par un drone de la police, sur le toit d’un des plus hauts immeubles de la ville. Il se battait bec et ongles, drapé dans sa cape noire, contre une vingtaine d’hommes de main d’un des parrains de la ville. Le combat tourna court, et le Justicier fut aperçu, tombant du soixante-deuxième étage avec deux types qui l’avaient fait basculer.


Vampyr disparut, la violence s’accrut encore, juste après Noël. La ville semblait calme, de jour. Mais la nuit, dans le brouillard et dans la neige, trafiquants, dealers et meurtriers se répandaient dans les rues. Cette ville avait peur. Les rues étaient devenues des égouts à ciel ouvert, et ils débordaient de sang. Les monstres étaient de sortie, et allaient dépecer la ville. Les pauvres gens regardaient le ciel où flottait parfois l’ombre de Vampyr, et ils hurlaient au secours.