Je rencontre rarement mes clients. Pour ne pas dire jamais. Il n’y qu’avec les Fox que j’ai fait exception et, vu les conséquences, je me demande encore à quel point j’ai pas fait une connerie. Difficile de faire marche arrière maintenant, surtout vu le temps que je passe avec Lukas. Enfin, on peut pas vraiment dire que les Fox existent toujours si j’ai tout pigé. Et ils sont dans une sacré merde. Encore pire que moi donc. A cette pensée, j’ai une grimace, alors que je garde le nez plongé dans ma Guinness et que je vois une tête blonde entrer dans le pub. J’ai un bref regard en direction de ma tablette et je fais glisser quelques images avant de hocher la tête, de boire quelques gorgées et de manger des cacahuètes.

Et je continue d’attendre tranquillement, de voir ce qu’elle fait et, surtout, de voir les mouvements suspects qu’il pourrait y avoir suite à son entrée dans le pub. Si quelqu’un l’accompagne ou, pire encore, la suit pour nous choper. Ou juste moi. De là à dire que je suis devenue parano, il n’y a qu’un pas que je ne veux pas encore franchir. D’autant que je sais plus trop comment me comporter avec tout ce qui a pu se passer ces derniers mois. J’ai toujours pensé qu’à ma gueule, à ma propre survie mais, à terme, est-ce que je peux continuer comme ça ? Est-ce que j’aurais pas préféré qu’on veille sur moi ? Qu’on m’aide ? Un peu comme la superwoman qui est venue m’aider dans la rue, ce fils de pute de Vampyr qui se dit défendeur de la veuve et de l’orphelin ou je sais pas quelle connerie… bref. Du coup, j’ai un peu le sentiment de remettre ma vie en question ces derniers temps, sans bien savoir quoi en faire.

Alors, cette affaire, je sais pas trop pourquoi, j’ai décidé de l’accepter. Enfin, de voir ce que ça donne. Un mélange de curiosité et d’envie de faire autre chose donc. Retrouver une personne disparue, un peu comme j’essaie de faire de mon côté pour ma propre famille, c’est pas un truc vraiment criminel non ? Enfin, je veux dire, ça peut apporter des trucs cools non ? Bref, le truc maintenant, c’est de trouver comment l’aborder l’air de rien. Je laisse retomber le clapet de protection sur ma tablette que je range soigneusement dans ma besace et j’attrape mon verre, sortant de l’obscurité pour aller m’assoir à sa table, comme si de rien était.

Et je lui décoche mon plus beau sourire, le regard pétillant. « Je me suis toujours demandé comment aborder une fille dans un bar en fait. Si je devais me la jouer comme tous ces types un peu relou qui nous ont abordé un paquet de fois ou si je devais tenter un truc plus subtil, qui change de l’ordinaire. Du coup, balancer un truc sur votre écharpe qui met vos yeux en valeur, c’est pas terrible hein ?! Et demander de quel bord vous êtes, ça le fait moyen aussi, le râteau est bien trop vite arrivé. » Je parle d’un ton léger et si quelques regards se posent sur nous, ils n’ont pas l’air plus intéressés que ça. Les mecs osent jamais trop s’attarder sur deux filles qui discutent ensemble, encore moins si elles ont l’air proches, de peur de se prendre une double volée de claques. Et les autres sont trop mal à l’aise pour faire un commentaire. Je penche la tête sur le côté, l’appuyant sur ma main alors que mon bras repose sur mon coude et je reprends, à mi-voix. « Donc si je démarre par un salut, vous venez souvent ici, ça se passe comment ? » Histoire de voir à quel point elle est nerveuse, si elle va chercher quelqu’un du regard ou je sais pas quoi encore du même style. Que je sache à quoi m’en tenir avant de lui dire que le type qu’elle attend, c’est moi.

C’est pas souvent que je me retrouve dans ce genre de situation. A jauger la personne que je vais rencontrer, à me demander si ça en vaut la peine, si je vais pas me mettre dans le pétrin jusqu’au coup. Peut-être, pour ce dernier point en tout cas, parce que je suis déjà dedans et depuis un sacré bout de temps. Probablement depuis ma naissance, si je prends le temps de réfléchir deux minutes. Mais je suis pas sûre que le moment soit propice à l’introspection ou une merde du genre. Je dois pour le moment m’assurer qu’elle est pas accompagnée ou suivie. Et, pour le moment, on dirait que non. Enfin, si le type fait bien son boulot, je serais pas au courant de toute façon, on va pas se mentir. J’aurais peut-être dû faire pareil et embaucher Lukas. Qui serait probablement déjà en train de chauffer la barmaid en oubliant le boulot.

A cette pensée, j’ai une ombre de sourire alors que je finis par me décider et par aller à sa rencontre. Mais vu que je sais pas trop comment m’y prendre, j’improvise en mode drague. Et le pire, c’est que ça a pas l’air de la rebuter totalement. Bon, après, elle est sacrément mignonne et la question aurait presque pu se poser si j’étais pas là pour le boulot. J’ai un clin d’œil à sa réponse et mon sourire se fait bien évidemment plus large. « En même temps, si en plus d’être aussi charmante vous aviez ce don, ce serait quand même un combo sacrément mortel mine de rien. Mais super utile dans certains cas. » Je me tapote le nez, la mine songeuse avant de pencher la tête sur le côté. « Sans déconner, j’aurais vraiment pu avoir une ouverture ? Marrant ça. »

Et j’ai un bref regard autour de nous, alors que plus personne ne semble maintenant intéressé par notre petite conversation. C’est parfait. « Un autre rendez-vous ? Il est en retard ou vous êtes sacrément en avance. Je me trompe ? » Bon, maintenant, est-ce que je continue mon petit jeu à la con ou est-ce que je mets les pieds dans le plat. Je saurais pas trop dire. De toute façon, mon instinct me souffle que je vais pas vraiment avoir le choix et que si je voulais me payer le luxe de m’assurer que personne ne viendra nous piéger, ou me piéger plutôt vu que c’est ce qui m’inquiète en priorité on va pas se mentir, j’aurais donc dû faire autrement. Je lui rends un sourire tout aussi désolé avant de rétorquer, d’un ton joyeux. « En fait, je crois que je vais pas pouvoir quitter votre table Eva. » Je penche vers elle, lui décochant un nouveau clin d’œil malicieux avant de souffler, du même ton enjoué. « J’avoue que j’aurais probablement pris ombrage de la concurrence si je vous avais vu discuter avec quelqu’un d’autre. Mais comme ça, dans ce pub, tout le monde pense que je suis gentiment en train de draguer. C’est pas beau la vie ? » Et je me rapproche un peu plus d’elle, soufflant, pour être sûre qu’elle soit la seule à entendre. « J’espère pour vous que c’est pas un plan foireux, ça risquerait de me mettre de mauvaise humeur. Et je suis capable d’un paquet de trucs quand je suis de mauvaise humeur. » Puis, d’un ton plus haut, le regard toujours aussi pétillant de malice. « J’ai le droit à une bière ? Oh, j’ai jamais bu de Guinness de ma vie, ce serait l’occasion d’y remédier. » Tout en parlant, je ne détache pas mon regard d’elle, guettant une réaction qui ne manquera pas d’arriver rapidement, j’en suis sûre.